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L’IRAEC, une autre initiative des psychanalystes dans la cité, à l’opposé de ce que cherche

2. Le cheminement institutionnel : vers la conception d’un « lieu de vie » libre et ouvert à toutes

2.3. L’IRAEC, une autre initiative des psychanalystes dans la cité, à l’opposé de ce que cherche

Car à la même époque, Françoise Dolto reçoit Claude de Rouvray, Françoise Tardan et Michèle Darde, deux psychologues cliniciennes et une conseillère conjugale, qui cherchent à monter un « projet psychanalytique ». A l’époque d’après 68 marquée par l’ouverture des clapets entre les différentes couches sociales, il y avait un véritable mouvement « vers le social ». Avec un engagement fort pour la psychanalyse et un passé militant dans le mouvement des femmes234, elles avaient le soutien financier d’un mécène, qui était porté de son côté par le désir de rendre accessible la psychanalyse aux groupes sociaux « qui ne peuvent à la fois discerner la qualité professionnelle et se l’offrir »235. Après un certain échec de cette entreprise en province, sous le titre de l’Institut de recherche pour l’enfant et le couple (l’IREC), ce mécène a souhaité renouveler l’expérience en conservant en partie le nom de son précédent projet. Ainsi, l’implantation de l’Institut de recherche appliquée pour l’enfant et le couple (l’IRAEC) a été guidée par cet objectif ; une petite « boutique » a été trouvée dans le cœur du XVIIIe, un quartier nettement populaire, ouvrier, peuplé d’immigrants, d’ethnies et de cultures variées.

En avril 1975, Claude de Rouvray et Michèle Darde viennent proposer à Françoise Dolto de participer à cette création. La somme d’argent déjà suffisante pour l’ouverture semble faciliter la mise sur pied du projet, mais Françoise Dolto s’y refuse. Elle les accueille, les écoute et les encourage à chercher leur mode de travail possible.

« A la différence de la Maison Verte, l’ouverture de notre projet était plus spontanée, raconte Claude de Rouvray, notre parcours institutionnel s’est fait en tâtonnant, en cherchant, en faisant des erreurs et en les analysant. Nous étions très aidées par Denis Lecuru, spécialiste de l’analyse institutionnelle qui nous a accompagnés lors de notre trajet d’expérimentation »236. Malgré la similarité de l’intention apparente – donner au « travail la référence constante à la psychanalyse et permettre l’émergence d’une demande qui ne doit être ni pré-codée, ni

234 Françoise Tardan et Michèle Darde sont venues du planning familial.

235 Entrez donc, des psychanalystes accueillent, IRAEC, ESF éditeur, 1992, p. 83.

médicalisée »237 –, il y avait une différence nette des démarches entre l’initiative du groupe de l’IRAEC et la conception du lieu que Françoise Dolto nous fait partager en 1977, notamment, au niveau du concept de travail, au niveau des objectifs et des moyens, au niveau de la construction institutionnelle238. L’idée de Françoise Dolto ne s’est trouvée centrée ni sur l’offre de consultations analytiques accessibles à tous, ni sur le travail auprès d’une couche sociale précise, ni sur la démarche des psychanalystes qui se mettent au service de la société, mais qui interviennent comme tels.

Certainement, ce refus a permis à l’IRAEC de trouver son propre style d’approche et de l’articuler à un autre type d’organisation institutionnelle qui avait rassemblé un financement privé et public239. Ce travail a débuté sous la forme d’entretiens ou de psychothérapies pour les enfants et les parents : « entretien individuel, conseil conjugal, entretiens avant l’interruption de grossesse (une convention est signée avec la Direction de l’action sanitaire et social (DASS), comme établissement d’information, de consultation et de conseil familial) »240. C’est à partir de la demande des femmes d’avoir leurs enfants auprès d’elles pendant des exposés-débats ou des moments d’échange entre elles que l’idée d’un club parents-enfants est née :

237 Entrez donc, des psychanalystes accueillent, p. 85.

238 L’IRAEC est une association de 1901, le conseil d’administration réunit les membres d’équipe et ceux qui

financent le projet. Du point de vu institutionnel, il s’agit d’un montage réussi entre l’équipe de professionnels et les membres du conseil d’administration qui « ont des responsabilités importantes tant dans le secteur des affaires et de l’industrie que dans le champ social et familial »238. Une équipe des psychanalystes accomplit une mission dont le financement et le contrôle est assuré dans une certaine partie par les membres du conseil. Le travail commun se fonde sur la confiance et l’effort constant de présenter l’essence du travail auprès des créditeurs et financeurs potentiels du l’Institut.

239

L’IRAEC ouvrira ses portes en 1976 avec le soutien d’un mécène et ce n’est qu’en 1981 qu’il signera une première convention avec la DASS de Paris pour ses activités de prévention, puis en 1989 avec le Fonds d’action social (FAS) pour son action auprès des familles immigrées et des familles françaises en situation de précarité239 – jusqu’en 2006, date à laquelle eut lieu le politique de l’établissement public devenu Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances). In : Lieu d’Accueil Enfants Parents et socialisation(s), le Furet, petite enfance et diversité, Recherche coordonnée et dirigée par Henriette Scheu avec l'appui de Nathalie Fraioli, p. 10.

« Quand nous avons entendu parler Françoise Dolto après l’ouverture de la Maison Verte où elle a fait de l’accueil libre des parents et des enfants un concept du travail, nous étions très soutenus moralement, et nous avons laissé la place prépondérante au Club »241.

Cela étant, le premier écrit présentant l’histoire et la conceptualisation de leur travail (avec les ateliers, les groupes pour les parents, et le lieu d’accueil pour les enfants accompagnés de leurs parents) bien différent de celui de la Maison Verte, ne paraîtra qu’en 1992. Cependant la question : « qui était à l’origine du dispositif du lieu d’accueil enfants-parents ? » persistera. Dans les écrits sur les lieux d’accueil, l’IRAEC est toujours citée comme un précurseur du concept de lieu d’accueil242, avant la Maison Verte, en rajoutant certainement de la confusion dans la question de la transmission du dispositif de la Maison Verte. La Maison Verte, avec son cheminement institutionnel singulier, se trouve inscrite dans une lignée qui gomme sa recherche et ses propres voies de transmission qu’elle choisira et tentera de préserver à tout prix. Dans le contexte historique, cette situation rappelle fortement ce qui s’est passé avec le Centre Claude-Bernard qui « s’est dessous » dans le nouveau concept du CMPP, n’ayant peu de chose en commun.

Dès 1982, l’équipe de l’IRAEC intervient également à l’extérieur, dans une salle d’attente de PMI, afin d’atteindre des familles « isolées, immigrées, d’une autre culture », les familles qui « ne seraient pas venues d’elles-mêmes au Club à l’IRAEC »243. Elle fait de même quand elle va au Point rencontre familles dans le XIIe arrondissement. Assez vite, l’IRAEC va proposer des stages de formation pour les lieux d’accueil enfants-parents, cette formation sera incluse dans la formation continue, plus tard elle se proposera pour les « analyses de pratique » pour accompagner des équipes des lieux d’accueil enfants-parents.

241 Claude de Rouvray, entretien du 8 juin 2011.

242 Lieu d’Accueil Enfants Parents et socialisation(s), p. 15

2.4. Donner une forme concrète au projet : un parcours semé

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