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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.3 Le concept de représentations sociales (RS)

2.3.1 Trois orientations théoriques pour le concept de RS

2.3.1.2 Les RS selon l’approche structurale

L’approche structurale des RS est particulièrement appuyée par des chercheurs comme Abric, Flament, Moliner, Rateau, Rouquette et Guimelli. Cette approche définit les RS comme, à la fois, un processus sociopsychologique d’appropriation de la réalité (Abric, 1989; Beauregard, 1996; Garnier et Rouquette, 2000; Moliner, 1996) et un produit composé d’opinions, d’attitudes, de croyances et d’informations sur un objet (Di Giacomo, 1986; Flament, 1986; Garnier et Rouquette, 1999). Alors que «les représentations comme processus» rejoignent l’approche sociogénétique des RS, «les représentations comme produit» font la spécificité de l’approche structurale.

Selon cette théorie, les RS comportent deux dimensions à la fois distinctes et complémentaires, soient : le noyau central et les éléments périphériques (Abric, 1993; Moliner et Guimelli, 2015; Roussiau et Bonardi, 2002; Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012; Valence, 2010). Le noyau central (Abric, 1989), aussi appelé système central (Garnier et Rouquette, 1999; Roussiau et Bonardi, 2002) ou noyau structurant (Jodelet, 1989), est constitué d’une définition indissociable de l’objet (Seca, 2001), d’éléments qui font consensus dans un groupe, d’une zone muette non exprimée par le sujet (Abric, 2003; Chokier et Moliner, 2006) et de modalités d’inscription dans la société (histoire, objectifs et mémoire collective) (Bonnec, 2002; Deschamps et Moliner, 2008; Roussiau et Bonardi, 2002). Le noyau central assure la constance de la représentation en résistant au changement, c’est la partie stable et commune de la

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représentation (Abric, 1989; Abric, 1993; Deschamps et Moliner; 2008; Roussiau et Bonardi, 2002; Rateau et Lo Monaco, 2013). Ainsi, le noyau central assure deux fonctions : il est générateur de sens pour l’ensemble du champ représentationnel et il organise la représentation (Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012; Valence, 2010). C’est donc par le noyau central que les éléments périphériques ont une valeur et une signification (Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012; Valence, 2010).

Les éléments périphériques, aussi appelés systèmes périphériques (Deschamps et Moliner, 2008; Garnier et Rouquette, 1999), schèmes périphériques (Moliner, 1992) ou script (Flament, 1986), se structurent autour du noyau central qui détermine les relations entre les différents éléments périphériques (Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012; Valence, 2010). Relevant de l’opératoire, ces derniers s’adaptent aux contextes du moment présent (Moliner, 1992; Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012). Pour leur part, les éléments périphériques regroupent des descriptions, des opinions, des informations sur l’objet, des attitudes, des codes linguistiques, des croyances, des images, l’histoire et les expériences individuelles évolutives (Roussiau et Bonardi, 2002). Les éléments périphériques d’une RS agissent comme mécanisme de défense pour le noyau central, ceux-ci peuvent ainsi donner lieu à des prises de position interindividuelles différenciées au sein d’un groupe, tout en restant compatibles avec le noyau central (Abric, 1993; Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012).

Selon Moliner (1993, 1996), qui inscrit principalement ses travaux de recherche dans l’approche structurale, certaines conditions sont nécessaires à l’étude d’un objet pour adopter la perspective des RS. L’auteur les compte au nombre de cinq et elles se décrivent comme suit :

1) La présence d’un objet polymorphe : L’objet qui induit une représentation doit apparaître sous diverses formes, à divers moments, pour divers groupes. Ainsi, ce n’est pas la nature de l’objet qui suscite une représentation, mais plutôt sa valeur sociale pour des groupes sociaux donnés;

2) L’existence d’un groupe : Un groupe social doit exister et doit être en position d’interaction avec l’objet de représentation. Le groupe peut prendre naissance par l’intermédiaire de l’objet (configuration structurelle) ou encore un groupe

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préexistant peut se mobiliser autour d’un objet nouveau ou d’un objet qui se présente à lui de manière équivoque (configuration conjoncturelle);

3) La présence d’un enjeu : Les enjeux motivent le processus représentationnel, ils permettent de fonder l’identité des individus par rapport à un objet ou d’assurer la survie d’un groupe en tant qu’identité spécifique;

4) Une dynamique sociale : Un groupe social donné doit entretenir des relations avec d’autres groupes sociaux. La représentation d’un objet est donc produite par rapport à quelqu’un d’autre, elle est au centre d’interactions sociales;

5) L’absence d’instances de contrôle et de régulation : Il ne doit pas y avoir d’instances ou de systèmes orthodoxes qui imposent une idéologie, des règles ou des lois au groupe social concerné par l’objet de représentation.

L’approche structurale des RS s’attarde surtout à l’état stabilisé des représentations ainsi qu’à leur transformation. Dans l’optique de la structure «noyau central/éléments périphériques», les RS subissent trois types de transformations qui résultent généralement de contradictions entre représentations et pratiques sociales. D’abord, l’approche parle de transformations résistantes. Dans cette optique, les contradictions entre les RS et les pratiques sont gérées par les éléments périphériques qui agissent comme mécanismes de défense pour le noyau central et qui peuvent se transformer tout en laissant le noyau temporairement intact (Abric, 1993; Guimelli et Jacobi, 1990; Mugny et al., 2009). Ensuite, l’approche structurale parle de transformations progressives. Dans ce cas, les nouvelles pratiques réveillent et activent des thèmes en dormance dans le champ représentationnel (Guimelli, 1993), qui prennent de plus en plus de place dans une représentation et qui entraînent éventuellement une transformation en douceur du noyau central (Abric, 1993; Guimelli, 1993; Guimelli et Jacobi, 1990; Mugny et al., 2009). Puis, l’approche parle de transformations brutales, où les éléments périphériques n’arrivent pas à gérer les contradictions (Abric, 1993); ce déséquilibre cognitif entraîne généralement une transformation plutôt radicale du noyau central (Guimelli et Jacobi, 1990).

En résumé, l’approche structurale des RS propose de dépasser le cadre génétique des RS et amène l’idée du noyau central qui a un rôle primordial dans les représentations. Le

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schéma 6 de la page 133 propose une illustration du concept de RS, comme celui-ci est décrit par l’approche structurale. Les pointillés dans le schéma montrent l’intimité entre les deux dimensions des RS. Aussi, ceux-ci rappellent que les RS ne sont pas immuables et qu’elles peuvent subir des transformations. La partie qui suit le schéma expose la troisième orientation théorique des RS : l’approche sociodynamique.

Schéma 6: Composition d’une RS selon l’approche structurale – (Inspirée de Charette, 2009)

2..3.1.3 Les RS selon l’approche sociodynamique

L’approche sociodynamique des RS est particulièrement endossée par Doise, Clémence, Lorenzi-Cioldi et Palmonari. Cette dernière propose un modèle théorique qui vise à «concilier la complexité structurelle des RS et leur insertion dans des contextes sociaux et idéologiques pluriels» (Rateau et Lo Monaco, 2013; Rateau et al., 2012). Doise (1986, p.85) définit les RS comme «des principes générateurs de prises de position liées à des insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux, qui organisent les processus symboliques intervenant dans ces rapports». Dans cette optique, les RS sont composées de principes d’opposition, de hiérarchisation, de dichotomie, d’adaptation, d’assimilation et de différenciation catégorielle (Doise, 1989). Par rapport aux deux autres approches, l’approche sociodynamique précise donc les relations entretenues entre les RS et les positions sociales des individus et des groupes. Également, elle souligne que les prises de position dépendent des situations dans lesquelles elles sont produites (Rateau et Lo

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Monaco, 2013; Rateau et al., 2012). Ainsi, l’approche s’inscrit directement dans la lignée de Moscovici en insistant sur le processus unissant les rapports sociaux et les RS (Bonardi et Roussiau, 1999; Fraysse, 2000; Moliner et Guimelli, 2015; Palmonari et Doise, 1986).

Dans ce sens, les RS précéderaient les rapports sociaux, en étant pourvues d’attentes, de contenus mentaux, de jugements et de connaissances sur les groupes et sur les individus (Palmonari et Doise, 1986). Elles participeraient aussi au déroulement même des rapports sociaux en orientant, en guidant et en déterminant les comportements des individus (Dargentas, 2002; Doise et Palmonari, 1986; Forges, 2003). Elles joueraient même un rôle de marqueur identitaire en suscitant des prises de position communes ou divergentes à propos d’objets ayant une valeur d’enjeu (Deschamps et Moliner, 2008; Rateau et Lo Monaco, 2013). Puis, la structure des rapports sociaux définirait un ensemble de règles, de normes et de valeurs qui opéreraient des régulations dans le système cognitif des individus et dans les représentations de ces derniers (Deschamps et Moliner, 2008).

L’approche sociodynamique des RS s’inspire du processus d’ancrage défini par Moscovici, mais se décline en trois dimensions (Deschamps et Moliner, 2008; Doise, 1992) :

 L’ancrage psychologique qui permet l’élaboration de processus individuels se matérialisant en prises de position diversifiées autour de points de repère communs à un groupe, auxquels les sujets adhèrent avec des intensités différentes (Bonardi et Roussiau, 1999; Doise, 1992; Valence, 2010);

 L’ancrage sociologique qui concerne plutôt l’appartenance ou l’insertion de l’individu dans le tissu social (Bonardi et Roussiau, 1999), la position des groupes sociaux dans l’environnement sociétal (Valence, 2010);

 L’ancrage psychosociologique qui désigne l’imbrication des RS dans les dynamiques sociales (Deschamps et Moliner, 2008); «il porte sur la diversité des positionnements sociaux qui impulsent les prises de position» (Valence, 2010, p.76). Ce type d’ancrage concerne concrètement la manière dont les individus se définissent par rapport à d’autres éléments du champ social, par exemple, par

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rapport aux enfants, aux personnes âgées, à l’engagement professionnel, à la liberté ou au racisme (Doise, 1992).

L’approche sociodynamique propose une définition très semblable à l’approche sociogénétique au sujet des processus de transformation des RS. Par ailleurs, l’approche sociodynamique ajoute l’idée selon laquelle le changement nécessité par la rencontre d’une source ou d’un contexte au point de vue divergent doit être perçu comme irréversible par le groupe social concerné. Sinon, les individus ou les groupes optent pour une économie cognitive en déniant les changements et en évitant de remettre en question leurs représentations (Guimelli, 1993; Mugny et al., 2009). L’approche sociodynamique des RS ajoute aussi que la dissonance est plus ou moins significative et transformatrice si elle provient de l’intérieur ou de l’extérieur du groupe social auquel l’individu s’identifie (Guimelli et Jacobi, 1990), si la source est experte ou novice ou si elle représente le groupe minoritaire ou le groupe majoritaire (Mugny et al., 2009).

En bref, l’approche sociodynamique définit le concept de RS comme des prises de position individuelles qui ne font pas toujours consensus dans un groupe social donné, bien qu’elles se construisent autour de principes, d’enjeux et de points de référence communs. Les prises de position sont déterminées par la place occupée par les individus dans la société et interviennent en amont, en aval et durant les interactions sociales. Bien que les trois orientations théoriques explorées aient des objectifs et des points d’ancrage qui diffèrent légèrement, il semble que les trois perspectives convergent lorsqu’il est question des fonctions des RS, comme nous l’abordons dans la section qui suit.