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Chapitre 2 : Cadre conceptuel

2.2 Le rapport à l’école et à la scolarisation des parents récemment immigrés

2.2.2 En ce qui concerne les parents d’élèves récemment immigrés

2.2.2.2 Des enjeux de l’établissement comme toile de fond à la mobilisation scolaire

Dans la problématique et dans une section consacrée aux enfants (section 2.1.3.1), nous avons exploré quelques défis généraux susceptibles d’être rencontrés par les familles lors de leur établissement dans la société d’accueil. Comme il a déjà été mentionné, les enjeux d’établissement et de l’immigration en famille influencent sans aucun doute, à des degrés divers, le rapport à l’école et à la scolarisation des parents récemment immigrés. Le défi d’établissement qui ressort le plus souvent dans les écrits et qui semble prendre le plus de place dans l’expérience d’intégration des adultes dans la société d’accueil est l’insertion socioprofessionnelle (Bahi et Piquemal, 2013; Kanouté et al., 2010; Legault et Fortin,

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1995). D’ailleurs, selon Kanouté et al. (2010), l’avenir des familles immigrantes dans la société d’accueil serait soutenu par deux enjeux principaux : la réussite scolaire des enfants et l’insertion socioprofessionnelle des parents. Il faut quand même noter qu’il y a aussi plusieurs histoires de réussite en ce qui concerne l’insertion socioprofessionnelle des adultes immigrants, même si notre thèse en documente plutôt les défis. Dans cette optique, Misiorowska (2011) s’est d’ailleurs intéressée aux trajectoires socioprofessionnelles de nouveaux arrivants travailleurs qualifiés au Québec, qui pensaient avoir réussi leur insertion.

Généralement, les familles récemment immigrées ont des espoirs importants en ce qui concerne l’accès à des emplois à la hauteur de leurs compétences (Kanouté et al., 2010 ; Kanouté et Lafortune, 2010). Malheureusement, plusieurs adultes immigrants subissent une déqualification professionnelle à leur arrivée dans leur nouveau milieu de vie (Arcand et al., 2009; Bahi et Piquemal, 2013; Boudarbat et Cousineau, 2010; Chen et al., 2010; Vatz Laaroussi et al., 2008). Par conséquent, certains parents se retrouvent dans une situation de vulnérabilité sociale et économique à laquelle ils ne s’étaient pas préparés avant leur arrivée (Kanouté et Lafortune, 2010; Michel, 2007; Mondain et Couton, 2011). N’arrivant pas à moyenner à leur juste valeur leurs qualifications professionnelles (Kanouté et al., 2010), certains parents se retrouvent en position d’infériorité par rapport à ce qu’ils étaient dans la société d’origine, mais aussi, par rapport aux autres membres actifs de la société d’accueil. Ainsi, plusieurs parents subissent des désillusions et des déceptions au regard de leur projet migratoire (Bouteyre, 2004). Aussi, certains parents se trouvent ainsi à travailler dans des domaines sous-payés ou à faire de longues heures de travail (Mondain et Couton, 2011). Certaines recherches attirent l’attention sur la portée de la déqualification professionnelle au plan économique et social (Boudarbat et Cousineau, 2010; Chen et al., 2010; Mondain et Couton, 2011). Le stress et les difficultés de l’insertion socioprofessionnelle rencontrés par les parents peuvent sans doute les éloigner du parcours scolaire de leurs enfants, pendant un certain temps du moins (Kanouté et Lafortune, 2010; Mondain et Couton, 2011).

Kanouté (2008), qui traite plus particulièrement de parents issus de milieux immigrants ou défavorisés, évoque trois ensembles de facteurs pour expliquer l’implication des

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parents dans l’expérience socioscolaire des enfants, liées au profil des familles, à leurs conditions de vie et à un certain déphasage école-famille. Il est vrai que pour les parents immigrants, en plus des facteurs qui influencent la mobilisation des parents d’élèves en général, ces derniers sont concernés par certains facteurs spécifiques à leur condition immigrante. Plusieurs facteurs ont été catégorisés par Kanouté (2008), mais ont aussi été abordés par d’autres recherches dont les références sont ici ajoutées. En vrac, mais de façon non exhaustive :

 Le profil des familles : le niveau de scolarité des parents (Bouchamma, 2009; Kanouté, 2002; Kanouté, 2008; Kanouté et Lafortune, 2010; Montandon, 1996), le nombre d’enfants dans la famille, la structure familiale (Deslandes et Royer, 1994), le style parental, les ressources sociales et psychologiques accessibles aux parents, leur perception de leur enfant, leurs attitudes envers l’école, leurs appartenances religieuses et ethnoculturelles (Eccles et Harold, 1996) et leurs expériences passées et présentes avec l’école et avec la société en général (Belleville, 2009; Deslandes et Royer, 1994; Hepworth Berger, 2008), leurs ambitions et leurs projets pour leur enfant (Montandon, 1996); le degré de maîtrise de la langue de l’espace scolaire (Bouchamma, 2009; Kanouté, 2002; Kanouté, 2008; Kanouté et Lafortune, 2010), les caractéristiques du parcours migratoire de la famille (Kanouté et Lafortune, 2010; St-Fleur, 2007), le nombre d’années de résidence dans la société d’accueil (Bouchamma, 2009; Kanouté et Lafortune, 2010);

 Les conditions de vie des familles immigrantes : la situation socio-économique dans le pays d’accueil (Crosnoe et Kalil, 2010; Michel, 2007), les emplois occupés par les parents ou des situations de chômage et des expériences d’exclusion dans la société d’accueil (Kanouté, 2008), des horaires de travail rigides et chargés, des problèmes de transport, des problèmes de gardiennage pour les enfants en bas âge (Belleville, 2009), la peur d’être en contact avec des figures d’autorité (Hohl, 1996; Leithwood, 2009), la situation de la communauté ethnoculturelle d’identification dans le pays d’accueil, l’expérience d’intégration de la famille (St-Fleur, 2007; Kanouté et Lafortune, 2010);

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 Le déphasage école-famille au sujet d’attentes et de représentations des rôles de l’école et des parents: la perception des parents de l’école de la société d’accueil, la perception de leur rôle dans le projet scolaire de l’enfant (Michel, 2007), la distance entre la culture du pays d’origine et celle du pays d’accueil (St-Fleur, 2007), la capacité des parents à articuler les éléments de la société d’origine à ceux de la société d’accueil (Bouchamma, 2009; Changkakoti et Akkari, 2008), un manque de connaissances sur l’école et ses institutions, un réseau social limité pour l’aide au décodage du milieu scolaire (Crosnoe et Kalil, 2010); la compréhension du parent de son rôle parental (Deslandes, 2010; Deslandes et Bertrand, 2004; Deslandes et Lafortune, 2001; Eccles et Harold, 1996; Larivée, 2011), le sentiment du parent de sa compétence de parent d’élève (Belleville, 2009; Deslandes, 2010; Deslandes et Bertrand, 2004; Deslandes et Lafortune, 2001; Eccles et Harold, 1996; Larivée, 2011b).

Selon des études de Gibson (1991) et de Suárez-Orozco, Suárez-Orozco et al. (2010), faites aux États-Unis, les parents qui combinent un faible niveau d’éducation et une faible maîtrise de la langue du groupe majoritaire hésiteraient davantage à s’insérer dans les affaires de l’école. D’autres études faites au Québec et en France vont aussi dans le même sens (Hohl, 1996; Perier, 2015), soulignant la difficulté des parents qui ont ce profil à accompagner leurs enfants dans un système scolaire qui leur paraît souvent complexe et parfois même hostile. En contrepartie, la combinaison de la maîtrise de la langue de l’espace scolaire et d’un haut niveau de scolarité permettrait de détecter les nuances sociales à l’école, d’avoir plus aisément accès et de mieux comprendre les informations scolaires ainsi que d’entrer plus facilement en contact avec des membres de l’école (Gibson, 1991; Suárez-Orozco, Suárez-Orozco et al., 2010). Aussi, les parents immigrants avec un niveau d’éducation supérieur auraient davantage tendance à interpeller ce qui a le potentiel de menacer la réussite scolaire de leur enfant et essaieraient davantage d’actualiser leur capital humain, social et culturel afin de soutenir la réussite scolaire de leur enfant (Kanouté et Lafortune, 2011b).

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En somme, il paraît évident que le contexte migratoire influence de diverses façons le rapport à l’école des parents. La partie qui suit aborde un autre défi, qui a été brièvement souligné dans la problématique, soit le décryptage du système scolaire de la société d’accueil par les parents récemment immigrés et la rencontre de porteurs et de porteuses de culture divers dans le milieu scolaire.