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Chapitre 1 : Problématique

1.3 Des enjeux scolaires au cœur de projets migratoires familiaux

1.3.2 La conjugaison du contexte d’immigration au rôle de parent d’élève

Sans aucun doute, l’exercice du rôle parental se complexifie lorsqu’il est conjugué à l’expérience migratoire (Bérubé, 2004; Bornstein et Bohr, 2011; Kanouté, 2007c; Saulnier, 2004; Vatz Laaroussi, 2001). Comme nous l’avons souligné pour les élèves récemment immigrés, leurs parents vivent aussi un processus d’acculturation, duquel l’exercice du rôle parental ne se soustrait pas. Comme le soutiennent Bornstein et Bohr (2011, p.5) :

Lorsque les parents migrent vers une nouvelle culture, ils gardent de leur culture d’origine une connaissance implicite de l’éducation des enfants et des objectifs pour le développement de leur progéniture, mais ils entrent également en contact avec de nouvelles cognitions implicites et de nouvelles pratiques explicites concernant l’éducation des enfants dans la culture d’accueil. L’acculturation oblige donc les parents à composer avec les cognitions et les pratiques parentales des deux cultures.

La rencontre effective de deux systèmes de référence pour les parents issus de l’immigration les place parfois entre deux chaises : les normes éducatives et sociales inspirées de leur expérience de parent au pays d’origine et celles proposées par divers membres de la société d’accueil (Bérubé, 2004; Changkakoti et Akkari, 2008; Hohl, 1996; Legault et Fronteau, 2008; Mondain et Couton, 2011). Ainsi, les parents récemment immigrés sont rapidement amenés à se questionner sur leur rôle parental; plusieurs d’entre eux tenteront à la fois de demeurer dans la continuité de ce qu’ils ont construit dans leur société d’origine et de répondre aux impératifs du nouveau contexte dans lequel ils tentent de s’intégrer (Battaglini et al., 2002; Benoit et al., 2008; Bornstein et Cote, 2006; Gervais et al. 2009; Legault et Fronteau, 2008; Saulnier et Quinéart, 2004). Conséquemment, plusieurs parents récemment immigrés sont amenés à transmettre à leurs enfants un système de signes et de sens aux frontières instables, et ce, en constante production (Bérubé, 2004; Vatz Laaroussi, 2007; Vatz Laaroussi, Rachédi et al., 2008).

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Aussi, par la fréquentation scolaire obligatoire dans plusieurs sociétés européennes et nord-américaines, le rôle parental en contexte migratoire se conjugue souvent à celui de parent d’élève (Bérubé, 2004; Kanouté, 2008; Kanouté et Lafortune, 2011a). Par conséquent, de nombreux parents récemment immigrés sont non seulement amenés à redéfinir leur rôle parental selon les impératifs de la société hôte, mais également selon les impératifs du milieu scolaire et d’attentes transportées par les membres du personnel de l’école intégrée par leurs enfants (Bérubé, 2004; Changkakoti et Akkari, 2008; Hohl, 1996; Kanouté, 2007b; Perier, 2015). Le rôle de parent d’élève entraîne effectivement la nécessité de transiger avec divers membres du personnel scolaire, impliquant la rencontre de porteurs et de porteuses de culture qui appréhendent les choses selon un sens qui leur est conforme et qui n’est pas toujours le même d’une personne à l’autre (Camilleri, 1989). En effet,

les parents immigrants amènent de leur contexte culturel d’origine des modèles conceptuels de ce qu’est un bon parent et de ce qui constitue des stratégies adéquates d’éducation des enfants. Quand ils migrent dans une nouvelle culture, ils constatent que les agent[e]s de socialisation de la culture d’accueil, comme les autres parents, les professeur[e]s et les professionnel[le]s, peuvent avoir d’autres conceptions de ce qu’est un bon parent et d’autres stratégies d’éducation des enfants (Bornstein et Bohr, 2011, p.2).

Au Québec, le rôle de parent d’élève se structure grandement autour de la participation parentale dans le parcours scolaire des enfants et est au cœur de la problématique de la réussite scolaire (MEQ, 2001a; MEQ, 2006; MELS, 2009). En effet, depuis les dernières décennies, l’importance de la famille pour la réussite scolaire des enfants a été notée dans diverses recherches et fait davantage partie des préoccupations quotidiennes du milieu scolaire québécois qu’auparavant (Carignan, Pourdavood, Martin et Ghaffari, 2003; Deslandes et Royer, 1994; Kanouté et Lafortune, 2010; Kanouté et Llevot, 2008; Larivée, 2011b; Montandon, 1996; Tanguay, 1998; Vatz Laaroussi, 1996). La place attribuée aux parents et aux relations école-familles dans les programmes, dans les lois et dans les projets éducatifs des écoles est également plus importante que par le passé; le Programme de formation de l’école québécoise fait d’ailleurs souvent référence aux rôles qui incombent aux parents dans le développement de l’enfant, dans les collaborations et dans les partenariats avec l’école (MEQ, 2001a; MEQ, 2006). La formation à l’enseignement est également interpellée à se pencher sur les relations école-familles;

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cette préoccupation est d’ailleurs explicite dans le Référentiel des compétences professionnelles en enseignement (MEQ, 2001b).

Bien que certains membres du personnel ne reconnaissent pas toujours les gains des collaborations école-familles dans la pratique (Boulanger et al., 2011), les discours informels et les pratiques du personnel enseignant du milieu scolaire québécois sont aussi révélateurs d’exigences envers les parents d’élèves en général et, par ailleurs, envers les parents d’élèves immigrants (Benoit et al., 2008; Charette, 2009; Hohl, 1996; Holh et Normand, 2000; Vatz Laaroussi et al., 2005). Dans un article qui s’intéresse à des parents immigrants situés à une distance maximale de l’école, car analphabètes et défavorisés socialement, Hohl (1996) fait une synthèse d’exigences énoncées par des membres du milieu scolaire envers les parents nouvellement arrivés dans la province. Ces dernières se déclinent ainsi : l’adoption des objectifs de l’école, le partage des normes sociales et culturelles, le partage des codes relationnels, la présence aux rencontres convoquées par le personnel scolaire, le parent comme motivateur de l’élève et la mobilisation des ressources nécessaires pour apporter l’aide requise à l’élève «dans les formes exigées par le milieu scolaire» (p.60).

Dans diverses sociétés occidentales, la définition du rôle de parent d’élève semble principalement instituée par le milieu scolaire (Hohl, 1996; Boulanger et al., 2011, Perier, 2015). Cette dernière diffère, de façon plus ou moins importante, des définitions expérimentées par les parents immigrants dans leur pays d’origine (Alvarado, 1993; Michel, 2007; Montandon, 1996; Perier, 2015; Pierre-Louis, 1993; St-Fleur, 2007). Malheureusement, les modalités de l’implication parentale proposées par le milieu scolaire de la société d’accueil ne sont que rarement explicitées aux parents d’élèves et, entre outre, aux parents d’élèves immigrants (Hohl, 1996). Dans ce sens, de nombreux écrits soulignent la maîtrise incomplète des parents récemment immigrés au sujet du milieu scolaire intégré par leurs enfants et des enjeux qui y sont associés (rôles de l’école, des enfants, des parents; attentes des uns et des autres; missions de l’école, etc.) (Alvarado, 1993; Bornstein et Bohr, 2011; Kanouté, 2002; Kanouté et al., 2011; Mondain et Couton, 2011). D’ailleurs, le besoin des parents d’être davantage ou différemment accompagnés dans le décodage du système scolaire de la société d’accueil est soutenu

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dans de multiples écrits (Hohl et Kanouté, 2011; Kanouté et Lafortune, 2010; Kanouté et Lafortune, 2011b; Laurin, 1993; Mondain et Couton, 2011).

Il semble que la compréhension des parents récemment immigrés du milieu scolaire de la société d’accueil soit en partie appréhendée selon ce qu’ils ont connu dans leur société d’origine (Robergeau, 2007; Pierre-Louis, 1993; St-Fleur, 2007; Vatz Laaroussi et al., 1999). Dans ce sens, les parents d’élèves récemment immigrés auraient des façons d’actualiser le rôle de parent d’élève qui divergeraient, à des niveaux divers, des modalités de l’implication parentale dictées par l’école. Dans plusieurs cas, ces déclinaisons variables du rôle de parent d’élève seraient méconnues ou peu reconnues de la part du milieu scolaire, alors que ces dernières sont souvent tout aussi efficientes que les déclinaisons de l’implication parentale proposées par l’école (Alvarado, 1993; Bornstein et Bohr, 2011; Charlot et Rochex, 1996; Changkakoti et Akkari, 2008; Hohl, 1996; Vatz Laaroussi et al., 2005; Vatz Laaroussi, Kanouté et al., 2008). Dans une méta- analyse qui s’attarde à l’implication des parents en général dans le parcours scolaire de leurs enfants, Jeynes (2015) observe d’ailleurs un impact significatif de pratiques parentales qui s’avèrent être intégrées à l’atmosphère familiale et qui sont très peu visibles pour le milieu scolaire.

Selon Deville-Stoetzel, Montgomery et Rachédi (2012), les premiers temps dans la société d’accueil représentent souvent une période d’urgence pour les immigrants et les immigrantes, où tout est à reconstruire le plus rapidement possible. «Ces derniers se retrouvent dans un moment de leur parcours où ils semblent mobilisés en haut régime d’actions, mais elles se font dans l’urgence, sans informations complètes» (Deville et al., 2012, p.88). Ainsi, désirant soutenir l’expérience socioscolaire de leurs enfants dans la société d’accueil, mais ne détenant que très peu d’informations sur le milieu scolaire intégré par leurs enfants (rôles, attentes, missions, etc.), les parents fonderaient surtout leur rôle parental sur les représentations qu’ils ont et qu’ils se construisent de l’école et des enjeux qui y sont associés, comme nous le soulevons dans la partie qui suit.

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1.3.3 La place des représentations dans l’actualisation du rôle de parent