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Les rites institutionnels et les pratiques cultuelles des bénéficiaires de microcrédit constituent les rites appliqués dans le système d’octroi et de réception de microcrédit.

Au niveau des rites institutionnels, les résultats de l’enquête ont mis à nu, l’exécution d’une approche socioculturelle précédant la remise des fonds par les SFD. Il s’agit de la " bénédiction de l’argent" et des bénéficiaires, par les agents des SFD. Toutes les informatrices ont reconnu l’effectivité de ce rite. Il est constitué de prières pour le succès des activités menées. Cette opinion est exprimée par 414 informatrices soit un pourcentage de 99,04. Le reste parle d’autres faits entrant dans ce cadre, comme

117 rappeler les clauses du contrat de prêt, citer les bons clients de l’année écoulée. Le tableau VII en est plus explicite.

Tableau VII : Rite de la remise des fonds

Modalités Prières Autres

Bénéficiaires 418 418

Oui 414 04

Pourcentage 99,04 0,96

Source : Données de terrain, mai 2011- Juin 2012

Pour les agents des SFD interrogés, l’opportunité de ce rite, doit être appréciée du point de vue culturel.

En effet, le but visé par les SFD est de mettre en confiance, les bénéficiaires du microcrédit, en ce qu’il ne s’agit pas d’une quelconque somme d’argent maudite, mais l’expression d’une assistance que leur apporte l’institution, de bonne foi. L’argent sur lequel sont proférés des bénédictions, ne doit générer que ce qui est bien. C’est dans cette optique aussi, que les SFD espèrent recouvrer intégralement leur fonds. Il ne s’agit pas d’imiter telle ou telle religion, mais d’implorer la grâce du Dieu tout-puissant, qui demeure UN, dans l’univers des religions du monde.

Les rites institutionnels sont les rites organisés par les SFD dans le cadre de l’octroi du microcrédit. Il s’agit d’un ensemble de dispositions culturelles dont le but est de mettre en confiance les emprunteuses relativement à l’usage des fonds. L’argent apparaît pour l’acteur social comme un bien nécessaire à sa survie. Il permet de résoudre la plupart des problèmes spécifiés en termes de besoin.

Pour les philosophes, « l’argent, échangeable contre les choses, a la valeur des objets, il brille de tout ce que par lui nous possédons. Il a l’aura de nos désirs, la puissance de nos souhaits, il reluit de toutes les satisfactions que nous imaginons – ce pourquoi il semble indécent : l’argent est sale parce qu’il est lié au plaisir et à la quantité. Plus on en a, plus on peut jouir »61. De ce fait, l’argent a une connotation de bien utile, surtout pour les projections dans le futur. C’est donc un agent de développement. Pour Mill,

118 l’argent est une institution sociale ; il est "neutre", et s’apparente à un "voile" qui recouvre l'économie réelle62.

Contrairement aux visées de l’économie, l’argent est utilisé à des fins sociales, morales et esthétiques. Keynes dira d’ailleurs que : « avoir en sa possession de l'argent, de la monnaie, apaise l'inquiétude que l'on peut avoir quant à l'avenir »63. Il est également un moteur de distorsion sociale entre les acteurs d’une même société ou d’un groupe social. C’est ce qui fonde l’opinion de Simmel pour qui « la monnaie dissout les liens sociaux, … fonde une société basée sur la rationalité pure, … abolit les privilèges héréditaires, … permet d'évaluer toutes choses à une seule aune et même que, par son abstraction radicale, elle libère l'imagination du concret »64.

Cette nécessité de l’argent et de la monnaie, entoure son usage de précautions diverses en vue de maintenir des relations sociales harmonieuses. Ils ne doivent ni susciter de doute quant à leur origine, ni être soupçonnés de porteurs de malédictions. Ce dernier souci impose aux SFD d’encadrer moralement ou de ménager la conscience des femmes qui font recours à leurs services. Le microcrédit est alors présenté comme venant d’un être suprême, DIEU, dont on requiert la bénédiction avant l’octroi, en espérant recouvrer les fonds en totalité. Avant chaque remise mains à mains des fonds, les SFD forment des vœux de succès pour l’entreprise de chaque bénéficiaire :

« Que Dieu vous bénisse et bénisse cet argent que vous allez recevoir. Vous ne le recevrez pas pour soigner des maladies, ou pour faire des obsèques, mais que Dieu fasse que vous vendiez bien. Vos enfants et vos conjoints y mangeront et il en restera pour votre prospérité »65 . Mais quel est le but réel visé par une telle procédure ?

Il s’agit en fait, de responsabiliser les bénéficiaires dans la gestion rentable des fonds et de dissiper les craintes relatives à la diabolisation du microcrédit. En effet, fort du dicton populaire selon lequel « le bien mal acquis ne profite jamais », les institutions de microcrédit organisent ce rituel pré-crédit. Ce bien qu’est le microcrédit n’est certes pas mal acquis, mais il n’est pas non plus le fruit d’un effort physique louable des bénéficiaires. Il n’est pas la résultante d’une prestation fournie. Il est juste un fonds reçu

62De BLIC (D.) et LAZARUS (J.), Sociologie de l’argent, http://pandorea.canalblog.com/archives/2008/09/28/10741013.html, consultée le 25/04/12

63De BLIC (D.) et LAZARUS (J.), Op. cit. consultée le 25/04/12

64 Maurice Bloch, « Les usages de l'argent », Terrain, numéro-23 - Les usages de l'argent (octobre 1994), [En ligne], mis en ligne le 18 juin 2007. URL : http://terrain.revues.org/3097. Consultée le 02 /03/ 12.

119 après avoir fourni des dossiers. Le microcrédit comme l’argent dans sa globalité porte en lui même les supputations germées par le savoir endogène des sociétés africaines. La première préoccupation des bénéficiaires donc est de savoir si ce n’est pas de « l’argent maudit », c’est-à-dire de l’argent qui s’évaderait sans qu’on ait su ce à quoi il a servi. Ce serait alors un facteur de réticence au recours des microcrédits.

D’autre part, recourir au microcrédit n’est pas une action de caserne. Les bénéficiaires sont exposées entre elles, elles se connaissent et savent que l’une et l’autre viennent prendre de l’argent. Dans un milieu f כֿn dominé par la méfiance et des vices moraux, les acteurs sociaux préfèrent le plus souvent utiliser leurs fonds dans le secret. L’autre peut vous nuire parce qu’il sait que vous venez de recevoir des fonds. De la malédiction ou des mauvais sorts peuvent être jetés sur de l’argent pour la non utilisation à bon escient ou à des fins rentables. Dans cette optique, les bénéficiaires auraient souhaité que l’octroi se fasse dans la totale discrétion. Ceci n’étant pas encore possible, les SFD doivent ménager les susceptibilités de leurs bénéficiaires.

En outre, ces rites institutionnels visent à sécuriser les fonds octroyés dans la mesure du souci de leur rentabilité. La mise en confiance des bénéficiaires aurait un impact positif sur leur volonté d’être actrice des SFD, cela prédispose leur psychologie à accepter ces fonds et à les utiliser. Elles ont l’impression d’être dans les grâces de l’être suprême qu’est Dieu. D’aucuns pensent même qu’il est l’instigateur des microcrédits par pitié aux nécessiteux que sont les pauvres. Ce rite institutionnel est complété par celui adopté par les bénéficiaires de crédit elles-mêmes.

Quant aux emprunteuses du microcrédit, elles font recours aux forces spirituelles avant et après la réception des fonds. Ainsi, sur 418 réponses à la question de savoir si les bénéficiaires prennent des dispositions spirituelles avant de recevoir le crédit, 345, soit 82,54% sont positives (Tableau VIII).

120 Tableau VIII : Opinion des bénéficiaires sur les dispositions spirituelles avant la

réception des fonds

Opinion Oui Non Total

Bénéficiaires 345 73 418

Pourcentage 82,54 17,46 100

Source : Données de terrain, Mai 2011- Juin 2012

Mais, de quelles dispositions spirituelles s’agit-il ? Le tableau IX affiche les différentes techniques adoptées par les informatrices de la recherche.

Tableau IX : Approche endogène de réception des fonds

Source : Données de terrain, mai 2011- Juin 2012

76,55% des informatrices font des prières personnelles, confient la somme à recevoir à Dieu, depuis le domicile, parfois même des jours à l’avance, avant de rejoindre l’IMF, le jour de l’octroi. Celles qui sont chrétiennes, participent au culte à cette intention (10,76%), tandis que 7,18% et 4,78%, font recours aux pratiques traditionnelles couplées de prières parfois, sacrifices aux divinités. Si 0,96% ne prennent aucune disposition de ce genre, 2,63%, adoptent d’autres attitudes culturelles comme chanter le Yu (Religion éckankar), prier entre membres du groupement.

Les informatrices qui n’obéissent pas à ces dispositions, évoquent plusieurs raisons. Pour elles, le microcrédit a été déjà prévu par Dieu. Il n’est plus nécessaire de le prier. Il est le créateur de toutes choses, précise E. Y., une informatrice :

Dispositions Prières personnelles

Culte

chrétien Pratiques traditionnelles Prières personnelles couplées aux pratiques traditionnelles Néant Autres Bénéficiaires 418 418 418 418 418 418 Oui 320 45 30 20 4 11 Pourcentage 76,55 10,76 7,18 4,78 0,96 2,63

121 « L'argent ou le crédit octroyé n’a pas besoin de prendre des dispositions spirituelles. C’est Dieu qui nous fait tout. Ma famille est dans la paix. » E. Y., 56 ans, Bénéficiaire PADME

L’argent est supposé ne faire que du Bien. De plus, comment prier Dieu, si l’on n’est pas encore en possession de l’argent ? se demande l’informatrice R. S. :

« L’argent n’est pas encore là et je vais prier ? Non, l’argent doit tomber dans mes mains d’abord. » R. S., 39 ans, Bénéficiaire RENACA

L’appartenance religieuse du Chef de l’Etat, influence spirituellement les bénéficiaires du MCPP à ce sujet, comme l’informatrice E. T. :

« Le Président (de la République) Yayi est un pasteur, il est dans les mains de Jésus. L’argent qu’il nous donne, est déjà béni » . E. T., 40 ans, Bénéficiaire CPEC

D’autres se fient au rite pré-crédit des SFD. C’est le cas de M. G. :

« Nous implorons Dieu. On ne nous souhaite que bonne chance sur nos commerces avant de nous donner l’argent. Pourquoi déranger Dieu encore ? »M. G., 36 ans, Bénéficiaire ALDIPE

Mais, que se passe t-il, dès que les bénéficiaires rentrent en possession des fonds ? Des approches spirituelles sont-elles encore développées ? Oui, répondent soit 83,73% d’entre elles, (Tableau X) :

122 Tableau X : Opinion des informatrices sur les dispositions spirituelles post réception du microcrédit

Opinion Oui Non Total

Bénéficiaire 350 68 418

Pourcentage 83,73 16,27 100

Source : Données de terrain, mai 2011-juin 2012

Quelles sont alors ces dispositions ?

Les adeptes de la religion chrétienne ont émis et justifié plusieurs opinions sur ce volet du sujet :

« J’asperge l’argent avec de l’eau bénite, pour le purifier » . I. S. 40 ans, Bénéficiaire PADME

« Je prie fortement sur l’argent de sorte à conjurer les mauvais sorts ». D. A. 28 ans, Bénéficiaire ALDIPE

« Après avoir pris l’argent, je vais à l église pour que le prêtre me bénisse çà, pour le purifier et le rendre profitable ». J. S., 42ans, Bénéficiaire RENACA

« Je jeûne,je fais des prières et demande de messes, pour implorer la bénédiction de Dieu, afin qu’il me donne la santé, à moi et à mes enfants, et fasse prospérer les affaires » R. D., 32 ans, Bénéficiaire RENACA

« Je demande à Dieu d’aider à bien gérer, pour ne pas être honni, et pour pouvoir rembourser à temps ». J.M. 48 ans, Bénéficiaire ALDIPE

« Je fais don d’une petite partie de l’argent à l’église (la dîme) pour implorer l’assistance divine dans la gestion des fonds ». P. A., 35 ans, Bénéficiaire UFOR

123 « Je fais des prières pour que les fonds encaissés puissent servir ».A. P.38 ans, Bénéficiaire UFAO

Cette prière se fait de diverses manières :

« Dieu qui a fait le ciel et la terre vient bénir cette somme pour qu’elle me soit bénéfique. » A. C., 35 ans, Bénéficiaire ALDIP

« Que cet argent qui tombe dans mes mains, ne soit pas pour l’hôpital ». J. D., 38 ans, Bénéficiaire CPEC

De même, les adeptes des religions traditionnelles se sont justifiées :

« Je remet les fonds au dignitaire du culte appelé, Hounnongan, pour qu’il demande à Dieu et aux mannes des ancêtres, de bénir et d’aider à fructifier l’activité ».M. F., 32 ans, Bénéficiaire PADME

« Je participe à des cérémonies traditionnelles », R. D., 53 ans, Bénéficiaire UFAO

« Je dépose les fonds pendant quelques jours, à la divinité « Thron », dans le couvent, pour qu’elle les bénisse ». C. N, 62 ans, Bénéficiaire RENACA

Par ailleurs, les musulmanes font des prières musulmanes sur l’argent perçu, ou recourent à celles de l’Alpha, à la mosquée. Pour les fidèles de la religion eckankar, elles chantent le yu sur les fonds, pendant que celles qui ne sont d’aucune religion, invoquent Dieu, sa bénédiction sur l’argent, elles-mêmes, leur ménage et leurs activités. Ensuite, elles déposent l’argent sous leur oreiller, et y passent au moins une nuit là-dessus.

124 Le microcrédit est un bien "matérialisable" nécessitant des précautions prises par les emprunteuses. Avec toute l’importance accordée à l’argent dans son essence, l’obtention du prêt que constitue le microcrédit est sujette à la prise de gages spirituels nécessaires à l’épanouissement des actrices sociales.

Ainsi, nombre d’entre elles, quelques soient leurs croyances religieuses, forment des vœux de protection et de réussite de leurs activités économiques, ou prient les jours qui précèdent et succèdent la réception des fonds. Ce regard tourné vers un être suprême suscite la protection et le secours de ce dernier ; les fonds lui sont dédiés en vue de leur utilisation bénéfique. Dieu est le meilleur abri contre toute adversité : « Mon Dieu est pour moi un rocher où je suis à l’abri du danger, un bouclier qui me protège, une forteresse où je suis sauvé. Je cherche asile auprès de lui pour être délivré des violents »66. Cet abri protège les emprunteuses contre toutes pratiques occultes nuisibles à leurs activités économiques et visant à les induire dans la mévente, la dette sans fin. Dans la bible chrétienne toujours, le fidèle appelle Dieu à bien prendre soin de sa personne et de tout ce qui lui appartient : « Garde-moi comme la prunelle de ton œil ; cache-moi, protège-moi sous tes ailes »67.

Ainsi, Dieu veillerait sur l’argent emprunté au-delà de toutes forces contraires. Avec lui, l’emprunteuse fidèle d’église, n’a plus de crainte et est rassurée de mener à bien ses activités économiques : « Même si je passe par la vallée obscure, je ne redoute aucun mal, Seigneur, car tu m’accompagnes. Tu me conduis, tu me défends, voilà ce qui me rassure »68. Toutes ces croyances en la force de la protection de Dieu naissent de la promesse de Dieu lui-même à ceux qui auraient cru en lui : « … celui qui m'écoute vivra en toute sécurité, sans avoir à craindre le malheur » 69..

De même, il est stipulé dans le coran que : « Je cherche protection auprès du Seigneur des hommes. Le Souverain des hommes, Dieu des hommes, contre le mal du mauvais

66 Alliance Biblique Universelle, La Bible, 2 Samuel 22,3, P.379

67 Alliance Biblique Universelle, Op. cit, Psaumes 17,8, P.792

68 Alliance Biblique Universelle, Op. cit Psaumes 23,4, p.799

125 conseiller, furtif, qui souffle le mal dans les poitrines des hommes, qu'il (le conseiller) soit un djinn, ou un être humain » 70. En d’autres termes, Dieu est le seigneur de l’homme, son créateur et dispensateur, son soutien. Il prend soin de lui et lui apporte les moyens de son existence, tout en le protégeant contre le démon. Dieu a l'autorité de commander la conduite de l'homme plus que tout roi terrestre, par des chemins qui contribueront à sa réussite. Il sera le juge des actions posées par les hommes durant leur vie, et est donc le seul qui mérite l'adoration de tout temps.

Pour les adeptes des religions traditionnelles , la divinité d’adoption est la pourvoyeuse de toute sécurité. Aussitôt après avoir pris les fonds, les emprunteuses les remettent au chef de leur culte pour des prières. Ces derniers peuvent les confier aux divinités pendant quelques jours pour en recevoir la bénédiction.

Or Durkheim ne voit dans la divinité que la société transfigurée. Un dieu, dit-il, est d'abord un être que l'homme se représente, par certains côtés, comme supérieur à soi-même et dont il croit dépendre71. En d’autres termes, Dieu serait le fruit de l’imagination de l’homme qui ne trouve sa sécurité en réalité que dans la société où il vit. A cet effet, Durkheim insiste sur la cohésion sociale, gage de la sécurité de tout homme. Ce cadre social devrait donc fournir aux emprunteuses de microcrédit, la protection nécessaire à la conduite à bien de leurs activités économiques. Une société marquée par l’amour du prochain, dépeinte de crainte et de peur permanente, porterait en elle-même, les germes de sa sécurité.

La plupart des bénéficiaires de microcrédit au Bénin aujourd’hui étant des femmes, qu’est-ce-qui justifie leur affluence vers le recours au microcrédit ?

70 Sourate 114, 1 – 6, http://www.fleurislam.net/media/doc/coran, consulté le 25/04/12

71 DURKHEIM (E.), Les formes élémentaires de la vie religieuse, www.unilim.fr/sceduc/IMG/doc/Durkheim_religion.doc, consulté le 25/04/12

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CHAPITRE III : FEMINISATION DU MICROCREDIT : LES