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L’assurance d’une bonne condition d’existence aux progénitures constitue l’une des causes sociales majeures de recours au microcrédit. A la naissance d’une enfant, les géniteurs prennent conscience des implications de tous ordres que génère cette naissance.

C’est ce qui fera dire à Dasen (1978 : 67), au sujet des Baoulé, que « dans une vision du monde où la fécondité et le besoin de se perpétuer sont fondamentaux pour l’individu comme pour la lignée, il ne faut pas s’étonner de voir l’enfant devenir un personnage central, attendu avec impatience et accueilli avec joie. Dans sa venue, le monde se renouvelle, l’histoire primordiale racontée par les mythes s’actualise, il est le meilleur gage du retour de ce cycle qui relie la vie des hommes à celle de la nature ».

163 en tant que le bien le plus précieux et la procréation, le but de la destinée humaine. Pour Eschlimann (1982 : 13), parlant des " Agni " de la côte d’Ivoire, « comme autrefois, la fierté d’une femme ce n’est pas tellement de pouvoir décliner une généalogie émaillée d’ancêtres illustres, mais de pouvoir annoncer le nombre élevé d’enfants qu’elle a mis au monde. L’Agni moderne a toujours aussi soif de vie et de procréation que ses lointains ancêtres. Avec eux, il partage la conviction profonde qu’une vie n’est bien remplie que si elle a donné naissance à une nombreuse progéniture ».

En d’autres termes, la femme africaine et toute la société avec elle, accordent une place prépondérante à la procréation. Cette vision de la société traditionnelle africaine, demeure encore de nos jours et paralyse même des couples et des foyers sans enfants. Dans le même ordre d’idées, Luneau affirme, dans son étude consacrée aux chants de femmes au Mali (1981 : 88) que « …la femme trouve d’ordinaire son équilibre non pas dans une relation conjugale élective où le mari tient la première place, mais dans une maternité appelée de tous ses vœux, et que la venue d’un enfant vient exaucer. Pas de femme heureuse qui ne soit mère et ne rêve de l’être à nouveau ». En d’autres termes, l’enfant revêt une grande importance dans le fonctionnement de la famille et de la parenté dans plusieurs groupes sociaux africains.

Chez les f כֿn du Bénin, cette considération est d’ailleurs à l’origine de la formulation de nombreux noms de famille, qui rendent compte des avantages que l’on tire d’un enfant : « Vignon (l’enfant est une bonne chose), Vidolé (l’enfant est bénéfique), Vidékכn (l’enfant y veille) » (UNICEF, 1996 : 48).

Pour Tingbé-Azalou, (1987 : 42) « sur le plan social, la défense et la protection de la famille et du clan ne peuvent être garanties que par un grand nombre d’enfants qui assument en outre la perpétuation de la descendance. L’enfant est donc celui qui confère honneur et bonheur à la famille, il est celui en qui les parents, et au-delà les ancêtres s’incarnent et continuent d’exister. À cet égard le nom est une preuve de la survie du groupe grâce à la fécondité. Par exemple : dans "vi-nyí-nǔ", Le monème : / Vi/ signifie / enfant /. Le / nyí / traduit / exister, être /. Et le / nǔ / veut dire / chose / L’enfant est quelque chose /. Le nom "vinyínù" / L’enfant est quelque chose / est la preuve que l’enfantement sans cesse croissant assure dans une large mesure la cohésion sociale ».

164 L’enfant est donc au cœur de la vie de la femme. En tant que bénéficiaire de microcrédit, la satisfaction des besoins de l’enfant est son souci majeur : assurer son droit d’écolage et autres besoins connexes, veiller à son alimentation et sa santé.

Pour l’informatrice R. D., tout ce que l’on fait est pour l’enfant. Le microcrédit pris est dans l’intérêt supérieur des enfants :

« C’est à cause de l’enfant que l’on s’active. Si je n’en avais pas, je ne me gênerais pas autant. Si c’est ce que moi seul je vais manger, je n’ai pas besoin de passer de l’argent chez quelqu’un. Je me contenterais de ce que j’ai ». R. D., 36 ans, ALDIPE, Bohicon

De plus, le microcrédit permet d’assurer le développement physique des enfants. C.T. l’exprime en ces termes :

« Avec le crédit que je prend, ma fille, mon unique enfant, va à l’école et s’amuse bien. Elle ne manque de rien. Quand elle rentre à midi, elle mange, le soir aussi. Et je suis fière de ceux là qui m’ont donné le crédit, même s’il m’est difficile de rembourser comme il faut » C. T., 35 ans, UFOR, Ouidah

Malgré les difficultés de remboursement, l’enfant est l’ "élément propulseur ", qui encourage à déployer toutes stratégies concourant au renouvellement du microcrédit. Pour l’informatrice R. Y., le bonheur de ses enfants est la clé de son adhésion au SFD :

« Moi, j’ai quatre enfants. Mon mari travaille dans une boutique. Chaque fois, il me dit que son argent ne suffit pas, de me débrouiller pour les enfants. J’ai dû questionner les gens qui sont autour de moi ; et c’est eux qui m’ont parlé de CAVECA et j’ai commencé par aller. Quand je vend, les petites pièces, je les mets dans la caisse et je sais que ça là c’est pour mes enfants. A la fin du mois, je leur achète ce que je veux dedans. Mon mari aussi mange dans ça. » R. Y., 52 ans, CAVECA Agbangnizoun

165 africaine, le souci de contribuer au quotidien des frères et sœurs83, à l’amélioration de leurs conditions de vie, maintiennent les femmes dans la dépendance au microcrédit. C’est l’idée exprimée ici sous la forme interrogative par J. R. :

« Comment aider tous ceux-là si je ne prends pas cet argent ? je suis l’aînée de la grande famille. Et tout le monde veut manger dans ma sauce. Comment faire ? hein ? dis - le moi, si ce n’est pas crédit. » J. R., UFAO, 42 ans, Ouidah

A partir de cette affirmation, on peut conclure que le recours au microcrédit est un acte lié à la raison, la raison définie par Comte comme étant le facteur explicatif de l’évolution de la société. C’est un ensemble de réflexions logiques et sous tendues par des arguments convaincants quoique personnels, qui guident les acteurs vers les SFD. Il affirme d’ailleurs que « la base de l’investigation sociologique n’est plus la relation aux actions des individus observés empiriquement, mais une conception particulière de la philosophie de l’histoire, d’après laquelle l’histoire se déroule en trois (03) phases : l’état théologique, l’état métaphysique et l’état positif », Jonas, 1991 : 187.

En effet, pour Comte, les trois (03) états sont les états mentaux de la personne humaine dont l'évolution devrait être logique. Chacun d’eux est défini par référence à un mode de pensée. L'état théologique est caractérisé par un état mental dominé par la référence au surnaturel ; c’est l’état de l’enfance dominé par l’imagination. Le deuxième état mental est l'état métaphysique, philosophique, qui laïcise le premier en substituant la Raison à Dieu ; c’est l'état mental de la jeunesse, dominé par la rationalisation abstraite. Le troisième état mental est l'état scientifique ou positif, sociologique, celui qui élimine les préjugés et les tabous et connaît la méthode scientifique, expérimentale et déductive ; c’est l'état mental de la maturité, de l'expérience. Mais, de fait, l'évolution logique n'est pas certaine ; et à un moment donné du développement de toute personne, l'un de ces trois états mentaux est dominant chez elle.

Selon Comte, « la logique supérieure est la seule à être véritablement rationnelle. Elle est rationnelle, réellement, parce qu'elle est dégagée des images de l'enfance et des

83 Dans le contexte africain, voire béninois, les frères et les sœurs sont aussi bien les enfants des mêmes géniteurs que les cousins, et autres descendants d’alliance de liens familiaux ou villageois.

166 illusions idéales de la jeunesse. Elle entend voir les choses telles qu'elles sont et non pas telles qu'on peut les imaginer et/ou telles qu'elles devraient être »84.

En d’autres termes, les femmes bénéficiaires de microcrédit étant des actrices financièrement moins pourvues, n’ont trouvé dans le microcrédit que la seule voie d’améliorer leur niveau de vie. Elles semblent y être contraintes malgré les difficultés rencontrées. Le but majeur est d’avoir en sa possession, de l’argent pour satisfaire ses besoins et ceux des proches, dans le souci de la solidarité familiale ; car pour Comte (1839 : 61), l’objet de la sociologie est la découverte « des lois dont l’ensemble détermine la marche du développement social ». Dans ce contexte, la question de l’enfant, la solidarité familiale et le développement personnel des femmes peuvent être considérés comme des lois déterminant le recours au microcrédit par les femmes, mais des lois sociales.

Ainsi, les intentions et mobiles de recours au microcrédit divergent sur le plan social et convergent toutes vers le maintien d’une société unie et de paix. A travers ces actions, la femme commence à assumer des responsabilités contrairement au contexte traditionnel africain. La prise en charge des besoins des enfants, l’expression de la solidarité au niveau du clan et de la famille, contribuent à la participation plus affirmée des femmes à la vie politique et sociale de leur environnement.

Le microcrédit, en tant que fait séculaire, extérieur à la société béninoise en étude, est alors un fait social tel que le définit Durkheim (1937 : 5), et peut être étudié par la sociologie. Il est général dans la société béninoise ou spécifiquement en milieu f כֿn, manifeste son caractère contraignant et coercitif à travers la nécessité d’y recourir, la sauvegarde des logiques sociales. Cette coercition est le résultat de longues périodes de maintien de la femme dans la dépendance vis-à-vis de son mari. La société l’ayant confinée dans un statut de "sous homme" par rapport à son conjoint pendant des siècles, s’est imposée à elle, mieux l’a dominée, et l’a orientée par ce fait, vers le recours au microcrédit. Cette tendance des faits semble confirmer la conception holistique de Durkheim selon laquelle le tout prime sur la partie, dans une vision globalisante de la société.

84 Auguste Comte (1798-1857). Le fondateur de la sociologie philosophique positive. "L'Amour pour principe, l'Ordre pour base, et le Progrès pour but" , http://www.denistouret.net/ideologues/Comte.html, consultée le 29/08/2012

167 En d’autres termes, « il existe donc une logique sociale qui domine l’individu et le détermine mais celui-ci, n'en est pas conscient. … En privilégiant le tout sur les parties, cette théorie explique que l'individu est le produit de la société, de la structure ; le choix individuel n'existe pas. L'individu n’est qu'un pion, une marionnette soumis aux lois supérieures du social »85.

Les femmes bénéficiaires du microcrédit sont donc contraintes d’accepter les offres de microcrédit. Mais une fois en possession de ces ressources financières, elles déploient des stratégies pour les utiliser à des fins divergentes, parfois opposées aux objectifs d’aide économique du microcrédit.