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O RIGINES ET DÉVELOPPEMENT DE LA RECHERCHE PARTICIPATIVE EN BREF

LA RECHERCHE PARTICIPATIVE D IVERSITÉ ET DÉFINITION GÉNÉRALE

O RIGINES ET DÉVELOPPEMENT DE LA RECHERCHE PARTICIPATIVE EN BREF

À l’instar de la diversité caractérisant la recherche participative, il existe de multiples versions apparentées traitant de l’histoire de ses origines et de son développement. D'ailleurs, d’excellentes chroniques formulées par des témoins de première ligne étant disponibles (voir la récente monographie éditée par Reason et Bradbury, 2001b), je ne tiens donc ici qu’à relever les quelques points de repère qui apparaissent les plus pertinents eu égard à ma démarche de recherche.

À prime abord, il semble que cette approche de recherche soit inscrite, du moins en

Occident, dans le prolongement de la philosophie pragmatiste américaine du début du XXe siècle, puis plus particulièrement dans la tradition de la recherche-action proposée par Kurt Lewin durant les années quarante1 (Greenwood & Levin, 1998 ; Olquist, 1978). En fait, Lewin, d’origine allemande, fut parmi les premiers chercheurs en sciences sociales aux États-Unis à promouvoir des expérimentations sur le terrain, en contexte naturel et

directement auprès de praticiens afin de trouver des solutions à des problèmes sociaux tout en contribuant au développement de savoirs scientifiques et de théories à travers l’action (Lewin, 1946/48, 1947). Liu (1992b) rapporte, cependant, deux autres sources d’invention de la recherche-action, d’origine européenne et indépendantes des travaux de Lewin. Premièrement, il mentionne les travaux du Tavistock Institute of Human Relations menés à

1 Lewin précisa ce terme en 1944. Incidemment, il n’a écrit que vingt-deux pages sur la recherche-action, sa

mort prématurée en 1947 ne lui ayant pas permis d’expérimenter davantage ses idées et d’approfondir sa pensée déjà clairement formulée (Peters & Robinson, 1984).

Londres durant la Seconde Guerre mondiale. Ceux-ci ont donné lieu à une tradition de recherche-action visant, outre la production de connaissances scientifiques, l’engagement direct auprès de communautés afin de contribuer, en collaboration avec elles, à la

transformation de conditions de vie qu’elles jugeaient insatisfaisantes. Deuxièmement, Liu réfère à l’analyse institutionnelle dont les origines remontent à l’expérience d’un médecin français durant les années quarante. Le docteur Tosquelles mit tout particulièrement en évidence la subversion qui s’avère nécessaire afin de contrer les aspects répressifs et aliénants que comporte inévitablement toute institution envers ses membres. Bref,

expérimentations scientifiques en contexte naturel, engagement direct auprès de personnes concernées par un problème, ainsi que volonté de transformation d’aspects aliénants du monde vécu constituent donc les premiers jalons d’une recherche-action en émergence. Par la suite, au cours des années soixante et soixante-dix, la stratégie de recherche-action fut adaptée et davantage élaborée pour aborder une diversité de problèmes d’ordre sociotechnique en milieu organisationnel et industriel dans le but d’améliorer la

performance des travailleurs et des organisations (Elden & Chisolm, 1993 ; Whyte, 1991). Ceci a permis, notamment, de raffiner la conception des multiples formes de collaboration pouvant être instaurées entre chercheurs et participants engagés dans l’analyse systématique de problèmes posés sur le terrain et la quête de solutions pratiques dans l’action. Ainsi, la collaboration devint davantage mutuelle et consensuelle en comparaison avec celle plutôt technique mise de l’avant par Lewin, où les chercheurs conservaient la responsabilité de diriger le processus de recherche, et les participants avaient plutôt pour rôle d’informer les scientifiques et de les soutenir dans la mise en œuvre de leurs travaux.

Ceci dit, la terminologie spécifique de « recherche participative »1 émergea de travaux entrepris dans des pays en développement à partir des années soixante, surtout sous l’influence de la pédagogie de Paulo Freire, d’approches néo-marxistes appliquées au développement communautaire, de mouvements pour la défense des droits de l’Homme, et de la volonté de décoloniser les méthodes de recherche de la vision occidentale de la science (Fals Borda, 2001 ; Kemmis & Mc Taggart, 2000). Dans ce contexte, la recherche participative fut spécifiquement conçue comme processus de développement de

connaissances au travers duquel des citoyens ordinaires, mais tout particulièrement les plus démunis, pouvaient produire des savoirs leur permettant de mieux cerner le monde les entourant en vue de promouvoir et de défendre leurs intérêts (Hall, 2001). Les chercheurs s’engagèrent alors à mettre leurs savoirs scientifiques au service de collectivités

1 Cette terminologie fut proposée pour la première fois par la finlandaise Marja-Liisa Swantz qui effectuait

traditionnellement exclues et oubliées. De plus, ils développèrent des approches de

recherche plus adaptées aux réalités des personnes pour mettre en valeur les savoirs issus de leurs expériences de vie et aider des groupes et des communautés à prendre en main leurs problèmes et à gérer les iniquités les défavorisant.

La recherche participative émergea donc principalement d’une volonté de contribuer à la transformation des conditions sociales, économiques et politiques des citoyens ayant habituellement peu de pouvoir et de ressources, et ce en fonction de leurs propres

perspectives quant à leurs besoins et capacités. À partir de la fin des années soixante-dix, cette orientation de recherche fut ensuite progressivement employée dans des pays plus riches, généralement auprès de collectivités opprimées ou marginales (Hall, 1992).

Cependant, ce n’est que vers la fin des années quatre-vingts que son application devint plus courante en recherche en santé, d’où son apparente nouveauté dans notre domaine encore largement modelé par une vision biomédicale et positiviste de la science (Cornwall & Jewkes, 1995 ; De Koning & Martin, 1996 ; Smith, Pyrch, & Lizardi, 1993 ; Springett, 1998). Toutefois, la volonté d’intégrer davantage les fonctions de développement des connaissances et d’intervention en santé ; l’intérêt grandissant pour une vision écologique de la santé ; l’attention accrue accordée aux besoins de populations marginales et

vulnérables ; l’essor de la recherche communautaire ; et l’appel à la participation des citoyens constituent désormais des éléments favorables à l’adoption de pratiques de recherche participative en santé publique (Israel, Schulz, Parker, & Becker, 1998). Fait à signaler, la recherche participative prit son essor à une époque fertile en

questionnements et en réflexions portant sur les fondements de la pratique scientifique positiviste (Fals Borda & Rahman, 1991 ; Reason & Bradbury, 2001a ; Reason & Rowan, 1981a ; Tandon, 1996). Les adeptes de la recherche participative ont souligné avec acuité la nature éminemment politique de la science supposée neutre et objective, c’est-à-dire la manière dont elle peut servir de véhicule idéologique pour légitimer les positions et les intérêts d’une minorité au détriment d’un mieux-être collectif. À ces remises en question s’ajoutèrent tout particulièrement les analyses de chercheures féministes ayant

systématiquement souligné le caractère exclusif et dominateur du positivisme (Lather, 1991 ; Maguire, 1987, 1996, 2001 ; Reinharz, 1992). Puis, graduellement, s’ensuivit l’émergence et la construction d’un « nouveau paradigme participatif de la recherche- action » (Fals Borda, 2001 ; Heron & Reason, 1997 ; Liu, 1992c ; Park, 1992, 2001 ;

Reason, 1988, 1994b ; Reason & Bradbury, 2001a), dont les éléments rappellent, à plusieurs égards, le paradigme constructiviste présenté plus haut1.

Il importe de bien noter ici la conjugaison des termes de recherche participative et de recherche-action. Quoique les auteurs n’aient pas tous recours au libellé particulier de « paradigme participatif de la recherche-action » pour nommer le cadre conceptuel

émergeant, il semble tout de même s’établir, à l’heure actuelle, un certain consensus autour de l’adoption de la terminologie de « recherche-action » pour signifier la double dimension de production de savoirs et d’actions. Cependant, il s’agit également de qualifier cette terminologie de recherche-action par le libellé de « participatif » afin de mieux rendre compte de l’orientation à l’intérieure de laquelle privilégier cette co-production de savoirs et d’actions (Reason & Bradbury, 2001a). Ceci dit, les connaissances mises en valeur par ce paradigme sont essentiellement conçues comme instruments de résolution de problèmes, d’amélioration de pratiques et d’émancipation individuelle et collective pour la construction d’un monde plus juste et équitable. Le développement de savoirs ne se limite donc pas qu’au projet de production de connaissances dans l’unique intérêt de l’avancement de la Connaissance.

Enfin, plus près de nous, plusieurs chercheurs canadiens ont une longue expérience dans l’application et le développement de la recherche participative (Green et al., 1995 ; Park, Brydon-Miller, Hall, & Jackson, 1993). De plus, bien qu’il semble parfois y avoir quelque confusion sur ses finalités, l’approche participative a fait l’objet de plusieurs applications au Québec (Simard, O’Neill, Frankish, George, Daniel, & Doyle-Waters, 1997),

notamment dans la recherche en travail social (Groulx, 1998), en sociologie (Archambault, Hamel, & Fortin, 1998), et dans le domaine des services sociaux et de la santé (Mayer & Ouellet, 1998). Toutefois, au delà de généralités, notre littérature fait peu état des

implications théoriques de la recherche participative ou des développements qu’il serait utile d’envisager afin de légitimer davantage cette stratégie de recherche. Pourtant, malgré son usage restreint, les traits caractéristiques de la recherche participative inspirent un potentiel intéressant, tout particulièrement pour le domaine de la santé publique.

1 Je reviendrai sur ce point à la troisième partie de la thèse. Il est vraisemblable que les auteurs anglo-saxons

ne connaissent à peu près pas les écrits de penseurs français tels Le Moigne et Morin – d’où leurs propositions de « nouveaux » paramètres paradigmatiques pourtant déjà formulés ailleurs.

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UELQUES TRAITS CARACTÉRISTIQUES ET POTENTIELS DISTINCTIFS DE LA

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