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L’ IDÉE ET LA PRATIQUE DE LA PARTICIPATION AU Q UÉBEC

SURVOL DES ORIGINES ET DE LA STRUCTURATION DE LA SANTÉ PUBLIQUE MODERNE : VERS L’ÉMERGENCE DE L’IDÉE

L’ IDÉE ET LA PRATIQUE DE LA PARTICIPATION AU Q UÉBEC

À n’en point douter, les propositions de la Charte d’Ottawa ont certainement trouvé un écho en santé publique au Québec (Colin, 1998). Cependant, plusieurs observateurs sont d’avis que l’intervention sociale et sanitaire pratiquée au Québec depuis la fin des années soixante comportait déjà des éléments idéologiques et stratégiques d’une pratique

participative telle que mise de l’avant par la Charte d’Ottawa plus de quinze ans après (Lamoureux, 1994 ; O’Neill & Cardinal, 1994). Selon O’Neill (O’Neill Michel, 1991), le Québec aurait même été chef de file au plan international en ce qui concerne la

participation des citoyens dans les services sociaux et de santé.

Cette situation résulterait des transformations profondes qu’a connu la société québécoise dans les années soixante. Cette période a vu naître des comités de citoyens, des groupes de lutte pour la défense des droits ainsi que des mouvements communautaires, féministes et écologiques sommant un élargissement de la démocratie et une participation accrue des citoyens aux processus de prise de décisions portant sur l’orientation et la reconfiguration des politiques sociales et sanitaires au Québec. S’ensuivirent alors une restructuration ainsi qu’un remodelage des rapports de force accordant davantage de place à la société civile et entraînant le développement novateur d’initiatives communautaires gérées par des citoyens (Hamel, 1991). Ainsi, ce serait donc à partir d’un contexte social dynamique particulier, plutôt que sur la base du Rapport Lalonde, ou de la Charte d’Ottawa, que l’idée de la participation fut prise en compte dans la foulée des réformes gouvernementales majeures ayant une incidence sur la pratique de la santé publique au Québec depuis 1970. Ce faisant, la régularité avec laquelle il est question de la participation des citoyens en matière de santé depuis les trente dernières années au Québec est, pour le moins, intéressante.

Le premier jalon marquant en ce sens fut la profonde réorganisation du système de santé et de services sociaux entrepris par la Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social, mieux connue sous le nom de la Commission Castonguay-Nepveu ayant mené ses travaux de 1966 à 1972 (Gouvernement du Québec, 1972). Outre la création de la Régie de l’assurance maladie en 1969 et du Ministère des Affaires sociales intégrant le domaine de la santé au sein d’une politique globale de sécurité sociale en 1970, c’est à partir des travaux de cette commission que la participation de citoyens à la gestion et à l’orientation des systèmes de services et de soins a été établie pour la première fois au Québec (Desrosiers, 1996), notamment par la présence de citoyens sur les conseils d’administration des

établissements du réseau. Par exemple, les CLSC, créés en 1972 à la suite de la Loi sur les services de santé et les services sociaux votée en 1971, devaient être gérés par des conseils d’administration sur lesquels siégeaient une majorité de citoyens1. Nous savons maintenant, qu’en général, les représentants des citoyens ont eu peu d’influence sur le devenir des établissements face à l’accentuation de la course vers l’autonomie professionnelle et la consolidation d’une emprise technocratique sur le système (Anctil & Bluteau, 1986 ; Fortin, 1991 ; Godbout, 1981, 1987 ; O’Neill Michel, 1991 ; White, 2000). Néanmoins, le projet était lancé, en rupture avec le passé où le citoyen était absent du devenir des actions du réseau.

Près de quinze ans plus tard, une deuxième réforme importante autour de l’organisation des services de santé fut amorcée avec la Commission Rochon (1985-1988) qui marqua le passage de l’État providence à l’État partenaire (Gouvernement du Québec, 1988). Entre autres, à la lumière du contexte politico-économique néo-libéral et des apprentissages effectués au cours des vingt dernières années, il était question d’arrangements favorisant la réalisation d’expériences partenariales et intersectorielles au plan régional ; d’une

participation plus effective des usagers dans l’organisation des services afin d’assurer une prise de décision en fonction de leurs besoins et milieux de vie ; et d’un accent renouvelé sur le soutien à la mobilisation communautaire. Cette importante reconnaissance de la participation de la population à l’exercice de sa citoyenneté (Lamoureux, 1994) apparaît, certes, intrigante vu un certain constat d’échec au chapitre de la participation des citoyens depuis le début des années soixante-dix. Néanmoins, cette orientation fut énoncée dans le document intitulé Une réforme axée sur le citoyen (MSSS, 1990), mieux connue sous le nom de la Réforme Côté, et La Politique de la santé et du bien-être (MSSS, 1992). Cette dernière est particulièrement intéressante dans la mesure où elle invite les acteurs de la santé à favoriser une approche de promotion de la santé dans ce qu’il est convenu de nommer « le virage promotion-prévention ». De plus, on y retrouve une invitation à agir pour et avec les populations vulnérables afin de « mettre à contribution leurs dynamismes, leurs forces et celles du milieu » (p. 164). Une idéologie de participation semble donc faire bonne figure dans les documents produits dans le cadre cette réforme. Toutefois, en dehors de la spécification de mécanismes de participation aux instances décisionnelles des

composantes du système et quelques références à l’initiative du mouvement québécois de Villes et Villages en santé, la définition des stratégies de mise en œuvre de la participation du citoyen demeurent vagues.

1 Contrairement aux autres types d’établissements du réseau où les citoyens occupaient entre 25% et 35% des

Par la suite, dans la foulée de la Réforme Côté, l’organisation de la santé publique fut modifiée en 1993. Puis, aspect novateur, sept priorités d’action communes à l’ensemble du Québec furent promulguées sous la forme des Priorités nationales de santé publique : 1997-2002, encadrées, en retour, de quatre principes directeurs indiquant les axes à partir desquels les actions retenues devraient être accomplies (MSSS, 1997a). Deux de ces principes sont particulièrement intéressants en ce qu’ils renvoient à la volonté de s’engager davantage auprès des communautés et à la détermination d’intervenir de façon concertée et coordonnée avec de multiples acteurs de différents secteurs afin d’améliorer la santé et le bien-être de la population du Québec. De ce fait, il semble bien qu’une idéologie de la participation devrait animer, à l’heure actuelle, non seulement la gestion de la santé publique, mais bien l’action directe sur le terrain.

Or, le contenu du rapport de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux dirigé par Michel Clair et déposé en décembre 2000 (MSSS, 2000a) laisse

perplexe, du moins en ce qui a trait au domaine de la santé publique. Les finalités du

système de santé y sont identifiées sous les vocables de « prévenir, guérir et soigner » ; et la promotion de la santé, conçue comme service offert par l’État, est essentiellement classée sous le vocable de la prévention. Aussi, faisant fi des idées développées au Québec et ailleurs dans le monde depuis plus de vingt-cinq ans, la promotion de la santé est définie comme étant :

« Des mesures collectives et individuelles visant à promouvoir des comportements sains sur le plan des habitudes de vie et de travail (ex. : alimentation saine, activité physique, réseau social, valorisation des compétences et du potentiel) ou à réduire des comportements pouvant être dangereux pour la santé (ex. : tabagisme, drogues, alcool, vitesse au volant). Il s’agit en fait d’éducation à la santé. » (pp. 36-37).

Étant donné cette vision rétrograde de la promotion de la santé, il n’est donc pas surprenant que la question de la participation du citoyen soit reléguée au rang de processus consultatifs et éducatifs, ou encore qu’elle soit formulée en termes de relation de partenariat avec son médecin qui a la responsabilité d’intégrer des actions de « prévention-promotion » dans son coffre à outils cliniques (!). Somme toute, l’idéologie de la participation est fortement diluée dans ce document à saveur managériale dont les propositions semblent aller, en plusieurs points, à contre-courant de l’esprit des réformes entreprises depuis les années soixante-dix.

Cependant, il est possible que ce revers de la participation effective du citoyen soit le reflet d’une pratique qui arrive difficilement à légitimer et à intégrer les valeurs fondamentales de la promotion de la santé. Ceci n’est pas surprenant dans le contexte actuel d’accroissement

des contraintes budgétaires couplé au sous financement chronique des infrastructures et des programmes orientés sur le développement de la promotion de la santé au Québec. À ceci s’ajoute la prédominance persistante du modèle biomédical dans le domaine de la santé et l’édification soutenue des intérêts de puissants groupes de professionnels qui y adhèrent ; le développement fulgurant de dispositifs techno-scientifiques prometteurs qui font oublier l’impact limité des activités curatives sur la santé de la population ; et, enfin, la culture politique néo-libérale qui ne fait que prendre de l’ampleur, avec pour effet la valorisation de rapports de rentabilité et la remise en question d’une éthique plus « fraternelle » de la participation (Resnick, 1991). En fait, plusieurs observateurs avaient déjà présagé un tel scénario (O’Neill, Rootman, & Pederson, 1994 ; Renaud, 1996).

Au terme de ce survol, condensé il va sans dire, il semble que malgré la présence de certains ingrédients à la fin du XIXe siècle pour que puisse s’amorcer le développement de l’idée et de la pratique de la participation en santé publique, cette orientation constituerait plutôt l’aboutissement d’une évolution récente. Elle serait notamment issue d’un

croisement entre un contexte de profonds changements sociaux valorisant davantage l’exercice de la citoyenneté ; une compréhension accrue des multiples déterminants et processus favorisant la santé ; et des initiatives adoptées pour réorganiser les systèmes de santé en fonction des besoins perçus et des développements conceptuels de l’heure. Cependant, quoique le projet de la participation fasse maintenant partie des discours en santé publique, au Québec et ailleurs, il semble bien que les mécanismes et les fondements d’une pratique participative ne soient pas clairement articulés. De plus, il reste à actualiser cette pratique particulière dans un contexte parsemé de contraintes.

En effet, depuis la Grèce Antique, la pratique de la santé publique repose essentiellement sur une philosophie et un appareillage de contrôle et de réglementation des individus et des institutions (Rosen, 1993). Vue sous cet angle, la volonté de favoriser la participation des citoyens s’avère donc plutôt révolutionnaire, ce qui n’est pas sans susciter des résistances. À ceci s’ajoute la redéfinition continuelle de la santé publique selon la nature et l’étendue des problèmes émergeants, le contexte politique et économique en vigueur, les idéologies et les valeurs des cultures dominantes, ainsi que la rationalité technico-scientifique (Fassin, 2000 ; Gaumer, 1995 ; Turner, 2000). Dès lors, le projet de la participation pose tout un défi à la santé publique traditionnellement régulatrice et continuellement contrainte et façonnée par des contingences externes… et ce d’autant plus que sa mise en œuvre soulève plus d’une critique.

QUELQUES CRITIQUES QUE SOULÈVE LA MISE EN ŒUVRE DU

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