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EXAMEN DE RECHERCHES ANTÉRIEURES

Afin de prendre connaissance des initiatives de recherche participative réalisées avec des travailleuses du sexe, j’ai consulté différentes bases de données électroniques, en portant une attention particulière aux écrits ayant trait aux prostituées et au travail du sexe depuis 1990 inclusivement : AIDSLINE, FRANCIS, MEDLINE, PsycInfo, Repère, Social Sciences Index et Sociological Abstracts. Par ailleurs, j’ai consulté des livres et des documents traitant spécifiquement du travail du sexe, notamment au Canada, ainsi que des

monographies portant sur les thèmes de la prévention et de l’intervention dans le domaine du VIH. Enfin, après avoir étudié les comptes-rendus et abrégés de présentations faites lors de conférences nationales et internationales sur le sida depuis la dernière décennie, j’ai décidé de laisser de côté cette source de données. Les informations contenues dans ces documents n’étaient pas suffisamment complètes pour saisir le détail des approches de recherche mises en œuvre.

Au terme de cette recherche bibliographique, il a été possible de retracer un nombre important d’investigations cliniques, d’études ethnographiques et d’enquêtes

épidémiologiques ou sociologiques portant sur le thème du VIH chez les travailleuses du sexe. Les informations contenues dans ces écrits sont d’ailleurs traitées au sixième chapitre de cette thèse, là où sont présentés les résultats relatifs à la question de la vulnérabilité au VIH. Je n’ai pu, en revanche, retracer que deux études ayant adopté une démarche de recherche participative avec des travailleuses du sexe.

Ces deux études ont été menées en Australie, dans le milieu des années quatre-vingt-dix et par la même chercheure principale (Pyett, Haste, & Snow, 1996 ; Pyett & Warr, 1997). La première étude a eu lieu dans des bordels et la deuxième a permis de rejoindre des

prostituées de rue. Dans ces deux projets, il était question de documenter et de comprendre les risques d’acquisition du VIH encourus par ces femmes dans l’exercice de leur travail ainsi que dans leur vie privée. Quoique la majeure partie des deux articles examinés porte sur les résultats en termes de comportements et de situations de risque pour le VIH, il y a tout de même une brève description de la démarche participative adoptée. Dans les deux cas, la chercheure s’est associée à des organisations de travailleuses du sexe où des intervenantes et des bénévoles ont participé à l’élaboration de l’étude ; au développement

de questionnaires afin d’assurer la pertinence des questions et la justesse du langage ; à la mise à l’essai des questionnaires et d’un guide d’entretien ; à l’élaboration de stratégies de recrutement ; au recrutement de participantes ; à la distribution de questionnaires auto- administrés ; et à la prestation d’entretiens semi-dirigés. Dans la première étude, des intervenantes et des bénévoles ont participé à l’analyse et à l’interprétation des données quantitatives, quoique cette étape n’a pas été décrite. Dans la deuxième étude, de nature qualitative, des représentantes de travailleuses du sexe ont participé à une série de huit sessions de formation portant sur différents aspects de la démarche de recherche, sur les techniques d’entrevue et sur l’éthique. En revanche, il n’est pas fait mention de leur participation ni à l’analyse ni à l’interprétation de données.

En ce qui concerne leur démarche de recherche, les auteures de ces articles sont d’avis que la participation de représentantes de travailleuses du sexe à la mise en œuvre de ces études a grandement contribué à faciliter leur propre accès à ces populations marginales, en plus d’améliorer la qualité des questions formulées et des réponses obtenues. La richesse des informations recueillies est d’ailleurs indéniable. Toutefois, au delà du constat qu’une approche de recherche participative accroît la qualité des résultats, il n’est pratiquement pas fait mention ni des défis que posent cette méthodologie, ni de ses apports à l’intervention auprès des travailleuses du sexe. Les questions pratiques sont, pour ainsi dire, évacuées. Enfin, les possibilités de théorisation ne sont pas abordées.

Par ailleurs, j’ai retracé deux autres écrits signalant une approche de recherche participative avec des travailleuses du sexe. Cependant, une lecture approfondie de ces textes met

rapidement en doute de telles affirmations et témoigne de la confusion qui prévaut au sujet de ce que constitue la recherche participative.

Le premier texte concerne un projet amorcé au début des années quatre-vingt-dix aux Philippines. Tigalo et ses collaborateurs (1996) indiquent qu’ils ont entrepris une

recherche-action participative. Dans les faits, il semble qu’il s’agit plutôt d’une étude de besoins menée par une équipe de recherche, suivie de l’élaboration d’une intervention communautaire en prévention du VIH auprès de travailleuses du sexe – une intervention qui implique, notamment, la participation d’une multiplicité de partenaires de divers organismes. En fait, il n’est pas inhabituel que les études de besoins menées en préparation d’interventions communautaires multi-partites, ainsi que l’élaboration subséquente de telles interventions, soient assimilées à des initiatives de recherche participative. Pourtant, ce ne sont pas les activités de recherche et de développement de connaissances qui sont

La deuxième initiative recensée est un programme de recherche ethnographique où une chercheure féministe rapporte faire de la recherche participative (O’Neill Maggie, 1996). Ses recherches, menées pour les prostituées1, visent essentiellement à élucider les contextes de vie et de travail de ces femmes, particulièrement en ce qui a trait à la question de la violence, afin de nourrir le développement d’interventions pertinentes. Il semble, encore ici, prévaloir une certaine confusion autour de ce que constitue une approche de recherche participative. Dans ce cas, la participation des travailleuses du sexe se résume à raconter des incidents critiques, à répondre aux questions de la chercheure ou à accepter de

reconstituer leur biographie. Ensuite, la chercheure utilise les résultats pour participer, avec divers niveaux d’intervenants, à l’élaboration et à l’amélioration de services pour les travailleuses du sexe. Ce faisant, elle collabore avec des organisations de travailleuses du sexe. Autrement dit, à l’image du projet précédent (Tigalo et al., 1996), sa participation avec les travailleuses du sexe se situe au niveau de la conception de l’intervention mais pas au niveau du développement de connaissances. Cette distinction est pourtant essentielle puisque, nous l’avons vu plus tôt, le développement de savoirs avec les personnes concernées constitue, outre l’engagement dans l’action, un des pôles importants de la recherche participative. Malheureusement, ces nuances sont trop souvent escamotées et la légitimité de la recherche participative s’en trouve minée.

La question se pose de savoir pourquoi si peu de recherches participatives ont été menées auprès de prostituées. La réponse peut se situer tant du côté des chercheurs que des travailleuses du sexe engagées dans l’intervention. D’une part, il est fort à parier que les chercheurs ont tendance à considérer ces femmes comme objets ou sujets de recherche plutôt qu’à titre de partenaires potentielles et, de plus, que la marginalité de ces personnes rend leur accès difficile. À cet égard, il est intéressant de constater que les deux projets participatifs recensés ici ont eu lieu en Australie où il y a un nombre important de regroupements et d’associations pour la défense des droits des prostituées, ceci dans un contexte où la prostitution est légale, donc plus légitime.

D’autre part, les collectifs de travailleuses du sexe, plus impliqués dans l’action directe auprès des prostituées et des divers acteurs exerçant une influence sur le milieu de la prostitution, ont généralement peu de ressources pour entreprendre des activités de

1 L’auteure fait la distinction entre faire de la recherche sur les personnes en tant qu’objets et faire de la

recherche pour les personnes en tant que sujets. En revanche, elle n’aborde pas l’idée, centrale en recherche participative, qui suggère que l’on fait de la recherche avec les personnes qui deviennent ainsi nos partenaires et collaborateurs activement engagés dans le processus de développement de savoirs et d’actions.

recherche1 et entretiennent peu de liens avec des chercheurs professionnels. Il se peut que cette situation change dans un avenir rapproché, notamment au Canada. Plusieurs initiatives ont présentement cours au sein d’organismes communautaires sida afin que les intervenants soient en mesure d’entreprendre des activités de recherche terrain auprès de populations traditionnellement peu étudiées, puisque difficiles à rejoindre. Pour ce faire, intervenants et bénévoles se forment aux divers aspects de la recherche (Allman, Myers, & Cockerill, 1997) et sollicitent des chercheurs de milieux académiques et de la santé publique pour les soutenir dans leurs démarches – et non pas pour faire la recherche à leur place. À cet effet, il y a déjà des initiatives de recherche participative autour de la question du VIH chez les hommes gais à Vancouver (Trussler, Perchal, & Barker, 2000) et avec la Cohorte Oméga à Montréal (Dufour et al., 2000). Mais, il faut tout de même admettre que ces groupes sont moins marginalisés que les prostituées de rue.

En résumé, le projet empirique dont il est question ici est assez original dans sa forme et constitue, à ma connaissance du moins, une première au Québec et au Canada. Ce projet a été une opportunité unique pour collaborer avec des femmes ayant une expérience de travail du sexe afin de développer une meilleure compréhension du phénomène de la vulnérabilité au VIH et déterminer le type d’interventions à privilégier.

1 En fait, il est tout à fait possible que certains groupes entreprennent leurs propres activités de recherche,

mais ces projets ne sont pas facilement retracés puisqu’ils ne font généralement pas l’objet de communications ou de publications.

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