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3.4 Critique queer : manières de queeriser le droit international humanitaire

3.4.3 Déconstruction/reconstruction : une multiplication de possibilités

3.4.3.1 Rigidité

Ne cherchant pas nécessairement à tout détruire du DIH, le queer suggère plutôt d’utiliser sa rigidité à son avantage. Nous savons que le DIH en entier est construit sur des oppositions, des catégorisations et des binarités qui sont exacerbées lors du

contexte de détention. Nous proposons comme stratégie de queerisation d’intégrer des récits et des personnes portant les perspectives queer à l’intérieur de certaines organisations en DIH pour tenter de les influencer à l’interne. Ensuite, nous tenterons d’imaginer des façons de repenser notre conception de l’État.

Nous avons abordé dans la discussion sur les façons de queeriser le droit407 une

stratégie visant la réforme de l’éducation des futurs juristes408. Nous appuyant sur

cette idée, nous proposons d’abord que l’enseignement du DIH doive inclure l’apport de théories critiques qui ne sont habituellement pas abordées en droit, spécifiquement les théories queer. En effet, pourquoi les théories queer n’ont-elles pas déjà été intégrées dans les réflexions académiques sur les conflits armés? Selon Modirzadeh,

Au sein de la discipline [du DIH], certains sujets qui ont changé, déplacé, déstabilisé ou élargi d'autres domaines du droit international public ne sont presque jamais discutés, écrits ou transformés en projets professionnels: le genre, le rétablissement de la paix comme alternative à la réglementation de la guerre, la culture, la critique [Notre traduction]409.

Les personnes qui apprennent le droit international humanitaire ne sont que rarement introduites aux théories critiques, ce qui empêche subséquemment le développement de la discipline dans son ensemble. Queeriser le DIH commence donc par introduire des idées queer lors de son apprentissage.

407 Voir section 1.2.3

408 Kepros, supra note 166 à la p 308.

Outre les enjeux à l’intérieur des cercles étudiants et académiques, nous croyons que la queerisation du DIH passe aussi par l’intégration de personnes avec des perspectives sortant de la norme dans les instances décisionnelles. Nous avons vu qu’en plus de son travail sur le terrain, le Comité international de la Croix-Rouge répertorie le droit coutumier et agit en tant qu’initiateur de sujets en DIH. C’est cette organisation qui décide quels enjeux valent la peine d’être abordés, organisant conférences et congrès et encourageant la rédaction de traités sur différents sujets jugés d’actualité. Considérant le pouvoir qu’à encore aujourd’hui le CICR sur les enjeux abordés DIH, l’absence de perspectives queer dans ce corpus juridique pourrait donc être en partie attribuée aux choix que le CICR a fait et continue de faire quant aux sujets qu’il juge importants.

De plus, lors de la rédaction des principaux textes de DIH dans la période d’après- guerre, les enjeux liés au genre n’étaient pas spécifiquement à l’ordre du jour ou la possibilité d’en discuter n’était tout simplement pas considérée. Aujourd’hui, nous pourrions inclure des personnes avec des sensibilités queer dans les structures décisionnelles, ce qui pourrait permettre lors de la rédaction de textes d’avoir une perspective différente et inclusive. Nous pouvons queeriser le DIH en travaillant à l’intérieur même de la structure du CICR en y intégrant des personnes ayant des perspectives queer, permettant ainsi d’apporter une critique queer aux enjeux actuels et futurs en DIH410.

Le CICR est l’organisation qui est la plus active en DIH, mais il reste que ce sont les États qui ont le plus de pouvoir quant aux règles et à leur application sur le terrain.

410 McGill aborde l’importance de garder les enjeux queer à l’ordre du jour dans les instances

décisionnelles, ici dans le cas du DIDH : «Thus, the most important insight to be gleaned from the analysis presented here is the value of keeping critical questions on the agenda as human rights related to sexual and gender diversity continue to evolve at the UN» dans McGill, supra note 13 à la p 37.

Comment les théories queer pourraient-elles considérer naviguer à l’intérieur de tout système qui est aussi rigide et hétéronormatif que celui des États-nations? Selon nous, bien que la question du démantèlement de l’État soit pertinente et mérite une réflexion approfondie par l’ensemble des théories critiques, le système actuel reste pour l’instant organisé de cette manière et pour être innovants, nous devons tenter d’imaginer des façons d’y intégrer des perspectives queer.

Diane Otto nous aide dans ce processus imaginatif en nous proposant de changer notre perception de l’État, qui pourrait être conçu non pas comme agent totalisant et contrôlant, mais plutôt comme une entité favorisant les interactions, le partage et les communautés. Développant la notion de kinships queer, Otto nous propose de modifier notre conception de l’utilité de l’État. Alors qu’il favorise aujourd’hui le développement de nationalismes, Otto imagine un État qui favoriserait le développement de relations humaines qui ne seraient pas fondées sur l’appartenance à une nation411. Pour l’autrice, « nous devons réimaginer l’État d’une façon qui n’est

pas construite sur les loyautés nationales » [Notre traduction]412.

Cet État resterait d’une certaine manière celui que l’on connaît aujourd’hui tout en étant une entité complètement différente. Sur la scène mondiale, ce nouvel État engendrerait des politiques plus axées sur les personnes dans leur individualité et leur marginalité que sur des enjeux de pouvoir et de domination inter-nations. Appliquer ce concept de kinships queer au contexte du DIH et de détention lors de conflits armés nous permettrait possiblement d’imaginer des espaces qui ne seraient pas basés sur la binarité ou sur la nationalité. Ce serait plutôt des lieux où la violence de la

411 Otto, supra note 267 à la p 257.

classification binaire serait considérée par les autorités contrôlant les corps pendant la guerre, lieux adaptés aux réalités des personnes de la DSPG. Ces communautés queer pourraient repenser les espaces afin que tou·te·s puissent y trouver une place.

Avec ces propositions, soit de queeriser les cercles académiques, l’intérieur même du CICR et de repenser un État queer, nous avons tenté de concevoir des endroits qui favoriseraient les réflexions queer, utilisant les structures qui existent déjà, mais en les réimaginant à notre avantage. En effet, nous ne prétendons pas connaître la réponse qui permettrait de queeriser le DIH d’un seul effort, mais nous croyons qu’une réflexion inspirée par les théories queer est nécessaire afin que ce droit évolue réellement. Alors que nous avons utilisé les espaces comme lieux de queerisation, notre prochaine partie utilisera les termes à notre disposition, les rendant à la fois subversifs et inclusifs.