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3.3 Fonctionnement du droit international humanitaire et impacts sur les situations

3.3.1 Qualifications/catégorisations

La détention en DIH entraîne une série de règles très précises, d’autant plus que plusieurs catégories de personnes peuvent être détenues à différents moments durant le conflit armé et pour de multiples raisons. Le système de règlementation de la détention est basé sur plusieurs catégorisations qui débutent dès le moment de lancer le conflit armé et déterminent jusque dans les moindres détails la vie quotidienne des personnes détenues. En DIH, chaque catégorie est clairement délimitée, classifiée et distincte, et chacune dépend d’une classification antérieure.

Tout d’abord, afin de déterminer s’il est permis ou non d’entrer en guerre, il faut répondre à certaines conditions. Qu’est-ce qui donne le droit à un État d’entreprendre un conflit armé? Durant de nombreuses années, la doctrine de la guerre juste était la plus répandue, et la validité d’une guerre était mesurée par la raison d’entrer en conflit : la guerre était jugée juste ou injuste selon la légitimité même des motifs. Les raisons permettant d’aller en guerre comprenaient le rétablissement des droits bafoués ou la punition d’un opposant ayant fait un tort313, et les actions prises pendant le

conflit étaient jugées valides ou non selon si la cause globale était juste ou non. Maintenant, la raison d’entrer en conflit et les actions durant le conflit ne sont pas liées, faisant partie de deux corpus juridiques bien distincts, soit respectivement le jus ad bellum et le jus in bello.

Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la mise en place de règles liant toutes les nations du monde, les dispositions permettant ou non d’aller en guerre sont bien définies. L’usage de la force est prohibé par la Charte des Nations unies314, sauf

en situation de légitime défense. De plus, le sujet du droit international qui veut user la force pour se défendre doit faire part de son intention au Conseil de sécurité, qui devra par la suite lui donner son accord315. C’est la branche du jus ad bellum, le droit

avant la guerre, qui réunit ces exigences.

313 Jasmine Moussa, « Can jus ad bellum override jus in bello? Reaffirming the separation of the two

bodies of law » (2008) 90:872 Int Rev Red Cross 963 à la p 966.

314 Charte des Nations Unies, San Fransisco, 24 septembre 1945 art 2(4). «Les Membres de

l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies»

La guerre n’est donc plus appréciée selon sa moralité, mais est plutôt considérée comme une situation de fait: « ce n’est plus la légitimité subjective de procéder à la guerre qui est au cœur des préoccupations juridiques, mais en bonne logique les droits et devoirs régissant les hostilités en tant que fait »316. On suppose que la guerre va

exister même si elle est juridiquement «illégale» selon la Charte, les États pouvant seulement se défendre et non initier un conflit armé.

Il arrive donc quand même qu’il y ait des conflits armés. Une fois les hostilités enclenchées, c’est une autre branche de droit qui vient régir la conduite des hostilités et détermine qui sont les personnes protégées et quels droits leur sont accordés. C’est le jus in bello – le droit dans la guerre – dont fait partie le DIH actuel, qui détermine ces critères. Les deux jus sont indépendants et fonctionnent de manière autonome. Cette séparation bien distincte est essentielle à la constitution des deux corpus juridiques, qui dépendent de leur indépendance pour être pertinents: « de par leur conception, les questions du jus ad bellum et du jus in bello sont séparées par un mur ferme » [Notre traduction]317. L’entière construction du droit régissant tous les

aspects des conflits armés débute donc par cette différenciation.

En parallèle à la distinction entre l’avant-conflit et le pendant conflit, il importe de savoir si un affrontement se qualifie même comme étant un «conflit armé», puisque des règles différentes s’appliqueront selon si la violence atteint cette qualification. Nul besoin d’avoir comme preuve un acte de guerre officiel, ce sont les faits sur le

316 Robert Kolb, « Sur l’origine du couple terminologique ius ad bellum / ius in bello », en ligne :

Revue internationale de la Croix-Rouge </fre/resources/documents/misc/5fzh8x.htm>.

317 Jens Iverson, « War Aims Matter: Keeping Jus Contra Bellum Restrictive While Requiring the

Articulation of the Goals of the Use of Force Symposium Articles » (2018) 27:1 Minn J Int Law 67 à la p 73.

terrain qui importent, d’autant plus que la qualification n’est pas à la discrétion des parties au conflit, mais est déterminée conformément aux critères préétablis dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. Ces critères ont été confirmés dans l’arrêt Tadic de 1995, qui explique qu’« un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d'un État »318. L’application du droit international humanitaire débute donc

dès l’enclenchement des hostilités. Par contre, d’autres distinctions normatives sont aussi nécessaires par la suite: différentes branches du DIH s’appliquent selon le type de conflit armé.

D’abord, les conflits armés internationaux (CAI) ont lieu lorsqu’« un ou plusieurs États ont recours à la force armée contre un autre État, quelles que soient les raisons ou l’intensité de cet affrontement »319. Dans ce type de conflit, les quatre Conventions

de Genève320 ainsi que le Protocole additionnel I régissent la conduite des hostilités.

Les CAI sont le type de conflit les mieux encadrés par le droit, cette forme d’affrontement étant la norme lors de la rédaction des principaux textes de DIH.

318 Le procureur c Dusko Tadic, Arrêt relatif a l’appel de la défense concernant l’exception

préjudicielle d’incompétence, 1995 Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie [Tadic] para 70.

319 Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Comment le terme « conflit armé » est-il défini en

droit international humanitaire?, mars 2008 à la p 1.

320 Conférence diplomatique de Genève, Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des

blessés et des malades dans les forces armées en campagne, supra note 232; Conférence diplomatique

de Genève, Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des

naufragés des forces armées sur mer, supra note 232; Conférence diplomatique de Genève, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, supra note 232 art 2;

Conférence diplomatique de Genève, Convention (IV) de Genève relative à la protection des

La qualification de conflit armé non international (CANI) est un peu plus ardue, d’autant plus que ce type d’affrontement peut prendre plusieurs formes. Néanmoins, le CICR le définit comme se déroulant

sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le Protocole additionnel II321.

Les dispositions conventionnelles de DIH qui s’appliquent dans les CANI incluent l’article 3 commun aux Conventions de Genève (article 3 commun) et le Protocole additionnel II (PAII). La séparation binaire entre les types de conflits CANI/CAI est essentielle dans la façon dont est pensé le DIH, construit par des États qui ne voulaient pas donner une légitimité excessive aux groupes armés, limitant donc le nombre de dispositions les concernant.

Le DIH est structuré suivant l’enchâssement de catégories de plus en plus précises. Après les distinctions jus ad bellum/jus in bello et CAI/CANI, chaque situation ayant lieu au sein du conflit doit être analysée individuellement selon les dispositions conventionnelles et la coutume applicable. Il y a deux façons principales d’analyser les situations en DIH, dépendamment de la finalité recherchée et de la perception de l’utilité de ce droit: est-ce que l’essence du DIH est d’aider les personnes protégées ou de défendre des intérêts militaires?

321 Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire

applicable dans les conflits armés, Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949

relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), supra note 232