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2.2 Comment queeriser le droit international?

2.2.2 Critique de la création d’un sujet du droit international

2.2.2.3 Création d’un sujet par les discours négatifs

Se positionnant en tant qu’opposants au développement des droits des personnes issues de la DSPG, des entités religieuses et étatiques contribuent aussi à la création d’un sujet homosexuel en défendant la vertu de son contraire, par un effort de dissociation et de distance vis-à-vis de l’Autre.

L’une des manières de créer cette distance est de nier complètement l’existence d’autre chose que le sujet type hétérosexuel et cisgenre, tentant de préserver la conception traditionnelle de ce qu’est le genre. Les réserves exprimées par certains groupes religieux lorsqu’il est question d’augmenter ou de discuter des droits des personnes issues de la DSPG sur la scène internationale en sont un exemple. Ce fut le cas lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) a émis en 2008 la Déclaration relative aux droits de l’Homme et à l’orientation sexuelle et l’identité de

genre282, suscitant une contestation forte de plusieurs États et organisations. Suite à

cette déclaration, la délégation de la Syrie, représentant plusieurs États, a présenté un communiqué avançant l’absence de fondements en droit international par rapport à la protection des personnes issues de la DSPG, ajoutant que d’imposer cette vision occidentale aux autres États est inacceptable283.

Le Vatican a aussi émis des réserves par l’entremise d’un communiqué284, plaidant

l’absence des termes «orientation sexuelle» et «identité de genre» dans les textes de droit international, évoquant ainsi le non fondé juridique de la déclaration de l’AGNU. En droit pénal international, le Vatican a aussi influencé la définition officielle de «genre» dans le Statut de Rome, insistant pour que le terme exclue les homosexuels285.

En insistant sur la différence et la primauté d’une catégorie de personne au détriment d’une autre, les organisations et États qui nient le sujet homosexuel le définissent en même temps en opposition à ce qu’ils considèrent comme «normal». C’est ainsi que le Vatican, en voulant dénoncer l’intégration du sujet homosexuel, le pose en

282 Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration relative aux droits de l’Homme et à

l’orientation sexuelle et l’identité de genre, 18 décembre 2008, en ligne :

<https://www.refworld.org/docid/49997ae312.html>.

283 Organization of Islamic Conference-sponsored Delegation, Joint Statement, Isssued by the Syrian

Delegation (Read in the UN General Assembly by Syria, 19 December 2008), en ligne : <<http://

issuu.com/i.l.m./docs/gl-rights>>.

284 Vatican, Statement of the Holy See Delegation at the 63rd Session of the General Assembly of the

United Nations on the Declaration on Human Rights, Sexual Orientation and Gender Identity, en

ligne : <http://www.vatican.va/roman_curia/secretariat_state/2008/documents/rc_seg- st_20081218_statement-sexual-orientation_en.html> .

contraste avec son sujet idéal, hétérosexuel et chrétien. Ironiquement, la contestation de l’existence même du sujet homosexuel contribue à le définir comme l’autre versant de l’hétérosexuel.

À travers l’exploration des critiques faites par différent·e·s auteur·ice·s, nous pouvons constater que les façons de rendre queer le droit international sont multiples et ont plusieurs objectifs. Une vision queer de la structure du droit international public permet d’entrevoir des possibilités de changement, tant au niveau de la façon de percevoir le genre et les classifications minorité/majorité qu’au niveau de l’organisation interne des États. La formation des sujets à travers différentes conceptions de comment ceux-ci devraient être définis nous laisse entrevoir les possibles d’une absence de définitions, d’une liberté autorisant la fluidité des genres et des sexualités.

L’objectif de ce chapitre était de présenter la structure du droit international humanitaire, droit s’appuyant sur des catégories multiples pour fonctionner. Nous avons relevé que la structure du DIH et la manière dont il est réfléchi par les juristes et les militaires informe son application et son développement. Nous avons ensuite entrepris une critique queer du droit international public, explicant qu’il se trouve plusieurs façons de rendre une analyse structurelle de ce droit de par la manière dont le cadre et les sujets sont construits. L’étude de la construction des sujets est importante dans toute analyse structurelle puisqu’elle rend compte des effets directs qu’une structure écrasante peut avoir sur les individus et la façon de les percevoir.

Après cette analyse critique du droit international public, est-il nécessaire d’entâmer une autre critique, cette fois encore plus précise, d’un corpus juridique en découlant? La critique du DIP ne suffit-elle pas à en imaginer une du DIH? Nous croyons qu’au contraire, il est maintenant nécessaire de réfléchir spécifiquement au droit international humanitaire et à la détention dans le contexte particulier de conflit armé.

Au vu de nos discussions dans les sections précédentes, le DIH est un droit essentiellement catégorisant et ses spécificités font en sorte qu’il mérite une attention particulière, une analyse ciblée étant donc essentielle.

C’est par une sensibilité queer que nous pourrons examiner la structure du DIH en profondeur. Comme dans ce chapitre nous avons discuté des sources du DIH et de ses acteurs, nous aborderons dans le prochain chapitre l’essence même de sa structure et de la raison des catégories, resserant notre critique en partant des catégories générales du DIH jusqu’aux plus précises, nous menant finalement à l’exemple de la détention des personnes de la DSPG.

ANALYSE CRITIQUE DE LA STRUCTURE DU DROIT INTERNATIONAL PAR L’EXEMPLE DE LA DÉTENTION

Nous avons pu, dans les chapitres précédents, comprendre le fonctionnement des théories queer dans un contexte d’analyse juridique, ce qui nous a permis de relever des manières de queeriser le droit. La structure du droit est particulièrement importante dans notre analyse – la manière dont est organisé le droit en général et le DIP en particulier nous informe aussi sur comment le DIH est construit. D’aborder toutes ces façons de queeriser le droit, combiné à notre compréhension de l’impact de différents acteurs et de la constitution du DIH, nous permet maintenant d’entamer une réflexion plus précise sur le sujet choisi, soit la détention des personnes issues de la DSPG durant les conflits armés.

Notre réflexion débutera par une première section qui traitera des enjeux de détention. D’abord, nous dresserons une vue d’ensemble de la situation actuelle en DIDH et en détention, pour ensuite aborder le contexte spécifique de détention en temps de conflit armé. D’avoir choisi la détention comme objet d’analyse n’est pas anodin, puisque ce contexte particulier est encadré de manière très spécifique par plusieurs règles et normes catégorisantes. De ce fait, une sensibilité queer oblige une réflexion sur la manière dont toutes ces normes sont organisées et organisent les personnes. En ce qui a trait aux conditions de détention, notre intérêt est dirigé sur les normes qui découlent d’une mulitude d’autres normes, le tout fondé sur des binarités et des dualités.

Puisque l’objet de notre mémoire est la structure binaire, catégorisante du droit, ce qui nous intéresse particulièrement dans la première section, c’est la façon dont est construit le droit international des droits humains de manière à pouvoir inclure les personnes de la DSPG et les enjeux de détention. Nous verrons que l’ajout de nouvelles normes n’est pas nécessairement la solution privilégiée lorsque nous prenons en considération le fonctionnement du droit. Nous discuterons par la suite de la structure du DIH, en revenant aux bases même de ce corpus juridique (qu’est-ce qui autorise la guerre?) pour spécifier notre objet d’intérêt (quelles normes régissent les personnes de la DSPG lors de conflits armés?). C’est ainsi que nous verrons que le DIH est construit sur des dualités de plus en plus précises, chaque norme dépendant d’une autre.

Finalement, la dernière section contient notre critique queer du DIH. Ayant discuté tout au long du mémoire des structures du droit et ayant affiné notre analyse à travers la critique de plusieurs corpus juridiques, nous offrons finalement un aperçu de ce que serait une critique du DIH informée par des sensibilités queer. Ce cadre théorique nous permet d’imaginer les possibilités de déconstruction et de reconstruction, le tout par l’application d’une critique structurelle. Nous y verrons que le queer n’appelle pas nécessairement à l’ajout de normes, mais que cette option peut aussi être choisie de manière stratégique. La spécificité des théories queer est ce qu’elles prennent comme cible : les sources mêmes du DIH et sa place dans l’ordre mondial.