2.1 Fondements et acteurs du droit international humanitaire
2.1.2 Structure du droit international humanitaire
2.1.2.1 Principes
La structure du DIH est basé sur une série de principes qui guident l’ensemble des traités et conventions et sur lesquels les parties au conflit doivent se référer en tout temps. Les principes essentiels permettant d’interpréter l’ensemble des actions durant les conflits armés sont les critères de distinction223, proportionnalité224, l’interdiction
de causer des maux superflus225, la nécessité/l’impératif militaire226 et la précaution227,
221 Jean Pictet, « La formation du droit international humanitaire - CICR » (2002) 84:846 Rev Int
Croix-Rouge 321.
222 Sassoli, Bouvier et Quintin, supra note 220, ch 3 p2.
223 Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire
applicable dans les conflits armés, Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949
relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 8 juin 1977 art 48.
224 Ibid art 51 (5)b].
225 Ibid art 35.
226 Ibid arts 54(5), 52(2) et 62(1).
qui ont tous comme objectif de baliser les actions des belligérants avant et pendant les attaques228. S’ils sont respectés et bien appliqués, ces principes garantissent
qu’aucune des parties au conflit ne subira de dommages excessifs ou durables. On peut les retrouver dans l’ensemble du corpus juridique du DIH, faisant partie de multiples conventions et traités, y compris des quatre conventions de Genève et de leurs protocoles additionnels229.
Lorsque les conventions et les principes précédents ne suffissent pas ou ne couvrent pas une situation particulière, il reste tout de même une balise qui accorde une certaine protection aux personnes impliquées ou présentes pendant le conflit. C’est la notion d’humanité dans la guerre, l’un des principes les plus importants, qui fait son apparition dès les premiers traités de DIH. La déclaration de Saint-Pétersbourg en fait pour la première fois mention en 1868, exigeant le respect des lois de l’humanité dans la guerre et le besoin de « concilier les nécessités de la guerre avec les lois de l’humanité »230. Plus tard, la clause Martens, insérée dans le préambule de la
Convention II de la Haye de 1899, viendra ajouter à l’impératif d’humanité, expliquant que
228 Par exemple, le principe de précaution peut s’appliquer dans l’attaque, mais aussi avant l’attaque,
alors que toutes les parties doivent éviter de placer des objectifs militaires près de biens civils ou d’objets protégés.
229 Voir par exemple : Conférence diplomatique sur l’interdiction totale des mines terrestres
antipersonnel, Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert
des mines antipersonnel et sur leur destruction, 18 septembre 1997; Conférence du désarmement et
Assemblée générale des Nations Unies, Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la
fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, 13 janvier 1993; Convention des Nations Unies de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, 10 octobre 1980.
230 Commission militaire internationale, Déclaration de St Petersbourg interdisant les projectiles
les Hautes Parties Contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions réglementaires adoptées par Elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique231
Cette clause englobe donc toutes les situations qui ne sont pas explicitement couvertes par le droit, assurant qu’un minimum d’humanité sera appliqué peu importe la situation.
Encore importante et présente dans de nombreuses conventions aujourd’hui232, elle
garantit toujours une protection aux sujets qui ne sont pas spécifiquement protégés en DIH. Ne discriminant pas entre les catégories de personnes, « le droit d’être traité
231 Conférence internationale de la Paix, Convention (II) concernant les lois et coutumes de la guerre
sur terre, La Haye, 29 juillet 1899 préambule.
232 Conférence internationale de la Paix, Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre (Convention no IV), 18 octobre 1907 préambule; Conférence
diplomatique de Genève, Convention (I) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des
malades dans les forces armées en campagne, aout 1949 art 63; Conférence diplomatique de Genève, Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, aout 1949 art 62; Conférence diplomatique de Genève, Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, aout 1949 art 142; Conférence diplomatique
de Genève, Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre, aout 1949 art 158; Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit
international humanitaire applicable dans les conflits armés, Conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés,
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), supra note 223 art 1(2); Conférence diplomatique sur
la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés, Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), 8 juin 1977 préambule; Conférence des
Nations Unies sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, Convention des Nations Unies de 1980 sur l’interdiction ou la limitation de certaines
armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, supra note 229 préambule.
avec humanité est absolu et s’applique non seulement aux personnes privées de liberté, mais aussi, plus généralement, aux habitants des territoires placés sous l’autorité de l’ennemi »233. Ces deux notions – celle d’humanité et la clause Martens –
sont donc particulièrement importantes puisqu’elles « soulignent que tout ce qui n’est pas interdit en cas de guerre n’est pas pour autant autorisé, et que les réponses aux questions relatives à la protection des victimes de guerre ne doivent pas être recherchées dans une approche exclusivement positiviste »234.
C’est ainsi que tout au long du XXe siècle jusqu’à maintenant, de nombreux tribunaux
ont eu recours au principe d’humanité et à la clause Martens pour justifier leurs décisions ou pour condamner une action235. Par exemple, la Cour internationale de
justice (CIJ), dans son Avis consultatif sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, évoque la clause Martens pour expliquer que le choix des armes n’est pas illimité, et que si une arme peut « caus[er] aux combattants des souffrances inutiles, c'est-à-dire des souffrances supérieures aux maux inévitables que suppose la réalisation d'objectifs militaires légitimes »236, son emploi ne serait pas légitime. La
CIJ a aussi mentionné les considérations élémentaires d’humanité comme principe général et reconnu dans un arrêt de 1949237. Il est donc maintenant admis que ces
principes sont coutumiers. Leur importance est amplifiée dans les situations qui ne
233 Melzer, supra note 219 à la p 24.
234 Sassoli, Bouvier et Quintin, supra note 220 Chap 4 p13.
235 Cela remonte aussi loin que durant les tribunaux de Nuremberg : Affaire Krupp, 1948 US Military
Tribunal Nuremberg à la p 1340.
236 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] CIJ rec 226 au
para 78.
sont pas couvertes par les normes écrites du DIH, notamment dans le cas de conflits armés non internationaux, encadrés par beaucoup moins de règles que les conflits armés internationaux.