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Chapitre 1. Mise en texte des savoirs scientifiques, problématisation et activités langagières

3. Activités langagières, apprentissages scientifiques et construction des savoirs scolaires

3.1 Revue des pratiques ordinaires orales et écrites en classe des sciences

sciences de la vie et de la Terre ne privilégie que certains aspects des pratiques scientifiques en particulier l’expérimentation (Orange, Fourneau & Bourbigot, 2001 ; Vérin, 1988, 2003). « On

enseigne aux enfants beaucoup plus de choses sur ce que font les scientifiques dans leurs laboratoires que sur ce qu’ils font quand ils débattent et écrivent en tant que membres de sociétés savantes » (Sutton, 1995, p.39). On oublie souvent que l’activité des chercheurs

scientifiques s’organise, en plus de l’expérimentation, autour des productions langagières écrites et orales. Cette vision commune du travail scientifique reste prépondérante dans l’esprit des enseignants malgré les textes du Plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école (M.E.N., 2000) qui reprennent l’importance des activités langagières (développement des idées, discussions, etc.). Les activités proposées aux élèves sont souvent basées sur des validations expérimentales d’explications correspondant à celles admises par la sphère scientifique actuelle. Or, « l’expérimentation doit […] être privilégiée, non pas quand

c’est possible, mais quand c’est pertinent par rapport aux apprentissages visés » (Orange, 2009,

p.202). Ainsi, la prédominance de l’épistémologie empiriste et positiviste des savoirs chez les enseignants fait de l’observation le fondement de toute démarche scientifique permettant

18 Ces recherches ont porté sur des séquences ordinaires et leurs résultats ont été obtenus à partir d’un petit nombre

d’observations à l’ensemble des classes. Il ne s’agit pas de généraliser ces résultats mais de pointer les problèmes qu’ils permettent de relever.

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d’aboutir à une vérité scientifique factuelle (Coquidé, 1998 ; Porlan Arizan & al., 1998). Malgré cela nous nous interrogeons sur la manière dont les pratiques orales et écrites sont utilisées en classe de sciences.

Généralement, les échanges en classe se font oralement dans le cadre de cours dialogués menés par l’enseignant qui retient les réponses pertinentes des élèves selon les objectifs qu’il a

prédéfinis au préalable. Ceci donne l’impression que les élèves sont actifs et qu’ils « participent », mais en réalité, ces « cours dialogués » permettent à l’enseignant de détenir le fil

conducteur des échanges alors que les élèves essayent de décoder les attentes espérées et de deviner la réponse exacte. La structure des échanges est « monologique (et non pas dialogique)19

dans la mesure où, derrière cette forme, n’existe qu’une progression thématique unique, et non deux discours qui se confrontent » (Astolfi & al. 2006, p.33). Ce qui est effectivement révélé par

les élèves et l’enseignant pourrait bien l’être avec la seule voix de ce dernier. L’accent est plus mis sur la participation de la classe que sur l’instauration de véritables débats scientifiques et d’« oraux réflexifs » au sens de Jaubert et Rebière (2002). Des chercheurs anglais (Driver & al., 2000) ont également prouvé que les enseignants offrent peu d’opportunités aux élèves en classe de sciences pour discuter et développer leurs pratiques langagières : « […] very little opportunity

is given by teachers for students to discuss ideas in groups, or for whole class discussions about the interpretation of events, experiments, or social issues. […] The dominant form of interaction in the classrooms was teacher talk. » (ibid., p. 307-308). Dans les rares cas où ces occasions sont

données, les discussions portent généralement sur des aspects procéduraux et non explicatifs de la science. Toutes ces pratiques cantonnent les savoirs dans une épistémologie « du vrai et du faux » alors que c’est une épistémologie du « problématique » qu’il faudrait privilégier pour un véritable accès des élèves aux savoirs apodictiques.

Quant aux productions d’écrits, elles servent rarement d’appui au travail en classe des sciences et se limitent au recueil des représentations initiales des élèves qui demeurent inexploitées, au relevé d’observations suivi d’un compte rendu d’expériences, à des réponses aux questions et à l’élaboration d’un résumé à la fin du cours donné par l’enseignant et recopié par les élèves (Jaubert & Rebière, 2001 ; Schneeberger & Gouanelle, 2001 ; Vérin, 2003). Les écrits produits par les élèves sont le plus souvent des « écrits d’exposition » rédigés au terme d’un travail et obéissant à des exigences précises (Vérin, 1988 ; Astolfi & al., 1991). Ces écrits se situent dans

19 La structure des échanges de classe est monologique même si leur forme est dialogale puisque les interventions

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l’ordre épistémologique du « vrai et du faux » et sont corrigés par l’enseignant en fonction de leur écart à des normes de formes et de savoirs culturellement validées. L’importance est surtout accordée aux observations et aux expériences et « l’écrit est ainsi rarement convoqué pour des

interprétations personnelles, des débats d’idées et des confrontations » (Jaubert, 2007, p.24). En

réalité, les écrits d’exposition servent principalement à organiser la tâche et conduisent à « la

construction d’une connaissance contextualisée » (Vérin, 2003, p. 8) qui empêche le passage à la

conceptualisation, principale difficulté des élèves en sciences. Plus clairement, les élèves « repèrent la tâche essentiellement à ses caractéristiques de surface (on a observé au

microscope…), et sur le plan des connaissances, ils sont dans une position d’attente vis-à-vis de l’enseignant qui détient la vérité » (ibid. p.8). Ceci les empêche, par manque de réelle activité de

problématisation, de percevoir le sens et la portée de leur activité au-delà du contexte de travail. En cela, ces pratiques de classe mettent de côté un aspect essentiel du travail des chercheurs et utilisent le langage comme un simple « système d’étiquetage » servant à désigner, décrire, exposer les savoirs à apprendre et transmettre des informations établies plutôt qu’un « système interprétatif » permettant d’articuler les idées aux faits (Sutton, 1992, 1995). L’écriture est davantage « envisagée comme la simple transcription sur le papier de ce qu’on avait déjà dans

la tête » (Astolfi, 2005b, p.9). Cependant, d’autres formes d’écritures comme les « écrits

d’investigation » ou « écrits de travail », même si elles sont rares à l’école, permettent la mobilisation de la pensée des élèves (Vérin, 1995). Orange & al. (2001) font le même constat et considèrent, par conséquent, que l’enseignement scientifique ne laisse pas suffisamment de place à la construction des problèmes. Dans la communauté scientifique, qui constitue une référence aux pratiques scolaires, les écrits de travail sont élaborés dans le moment où le savoir se construit : notes, schémas provisoires, brouillons d’articles qui vont être relus, échangés, discutés au sein d’une équipe et soumis à la critique des pairs et de leurs auteurs. Ils se situent dans l’ordre épistémologique du « problématique » où la question du vrai et du faux est temporairement suspendue pour celle du possible et de l’impossible donc du contingent et du nécessaire. Ils constituent, selon notre positionnement théorique, une aide à la problématisation. La différence entre les écrits de travail et ceux expositifs tient à leurs formes langagières, à leurs fonctions didactiques mais c’est surtout leur statut épistémologique qui les oppose (ibid.) (tableau 2).

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Ecrits de travail (ou

d’investigation) Ecrits d’exposition

Formes langagières et fonctions didactiques

 Elaborés dans les moments où le savoir se construit : notes, schémas provisoires, brouillons d’articles…

 Aident à la problématisation

 Rédigés au terme d’un travail et répondant à des normes précises : comptes rendus d’expérience, résumés…  Organisation de la tâche Statut épistémologique  Ordre épistémologique du « problématique », du possible et de l’impossible donc du contingent et du nécessaire : accession aux raisons

 Ordre épistémologique du « vrai » et du « faux »

Tableau 2. Formes langagières, fonctions didactiques et statut épistémologique des écrits de travail et d'exposition (d’après Orange & al. 2001).

Les pratiques ordinaires, que nous venons d’exposer, ont des conséquences sur les représentations des élèves quant aux savoirs et au langage (Jaubert, 2007). Le privilège donné à l’expérimentation au détriment de la pensée, « laisse croire aux élèves que la science c’est faire

quelque chose et regarder ce qui se passe. Ainsi perdure à l’école une représentation de la construction des savoirs diversement qualifié d’inductiviste/réaliste, de naïvement empirique, de positiviste et de scientiste » (ibid., p.24). Le savoir scientifique est vu par les élèves comme

existant en soi, plutôt que le fruit d’une activité humaine développée par un groupe de chercheurs résultant de débats, de controverses et d’efforts intenses d’interprétation au sein du laboratoire de recherche et de la communauté scientifique. Fabre (2009, p.207) souligne que l’état « neutre » des savoirs est justifié par la conservation de cette conception empiriste du savoir qui « en misant tout sur l’expérience, […] fait de celle-ci une réponse sans question ». Par ailleurs, la réduction des productions d’écrits à des comptes rendus d’expériences, construit chez les élèves une représentation erronée des pratiques langagières efficaces en sciences et de la nature même du langage. « Ils sont en effet incités à associer l’écriture scientifique à la

transmission des faits plutôt qu’à la production et à la discussion d’idées sur les choses inhérente à la controverse, de sorte qu’ils sont amenés à considérer le langage comme un medium transparent, simple moyen d’encodage d’une signification ou d’une expérience de nature non linguistique, préalablement construite hors du langage et plus particulièrement lors de l’observation. » (Jaubert, 2007, p.24).

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Suite à ces développements, il apparaît que la part des activités langagières « problématisantes » reste limitée dans l’enseignement scientifique. Les pratiques scolaires qui mettent en jeu des productions langagières faisant véritablement référence aux sphères de production du savoir, évoluent peu. Toutefois, la part de ces pratiques dans la construction des savoirs est indéniable. Il convient alors de nous interroger sur le rôle des activités langagières dans la problématisation et les apprentissages scientifiques particulièrement dans la production d’explications.

3.2 L’accès aux savoirs problématisés par l’intermédiaire des activités

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