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Chapitre 2. Etude épistémologique et historique du magmatisme dans le cadre de la

3. L’explication du magmatisme dans l’histoire des sciences de la Terre

3.2 Vers une explication globale du magmatisme au XX e siècle

3.2.1 Les différents modèles du XX e siècle concernant la structure et l’état physique de

Différents modèles ont été avancés pour expliquer la structure et l’état physique de la Terre au XXe siècle comme à la fin du XIXe siècle. D’un côté l’idée d’une planète Terre plus ou moins liquide et de l’autre celle de la nature solide de la sphère terrestre établie grâce à l’étude de la propagation des ondes sismiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous exposons quelques explications sur la structure et l’état physique de l’intérieur du globe.

47 « […] modèles sismologiques qui décrivent la répartition des densités et des propriétés élastiques à partir des temps d’arrivée des ondes sismiques ; modèles minéralogiques qui interprètent les profils de densité et de vitesses sismiques en termes de composition chimique et de structure minérale – ce qui nécessite l’apport des expériences de physique des minéraux à hautes pressions et températures ; modèles thermiques qui proposent des profils de température en fonction de la profondeur ; modèles dynamiques enfin qui intègrent les modèles précédents pour donner une image de la Terre active, qui analysent les mouvements du noyau et la génération du champ magnétique terrestre, ainsi que les échanges d’énergie entre les différentes régions terrestres… y compris la plus externe où nous vivons. » (Poirier, 1996, p.12).

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L’isostasie et la distinction mécanique lithosphère/asthénosphère

La théorie de l’isostasie introduite par Clarence Dutton en 1889 à la suite des travaux de John Pratt et de George Airy, se base sur le comportement fluide, visqueux, du substrat sous-jacent à la croûte terrestre ce qui conforte les géologues dans leurs idées sur l’existence d’une zone fluide en profondeur. Cette zone – située sous les continents – est capable de se comprimer et de se détendre en fonction de la charge supportée suivant des mouvements verticaux. Pour interpréter les études isostatiques, Barrell (1915), introduit une distinction entre la lithosphère, couche

externe rigide de la Terre, et l’asthénosphère, couche sous-jacente ductile. L’asthénosphère,

située entre la lithosphère et le noyau central rigide, serait responsable pour Barrell (1915) des mouvements et des réajustements isostatiques. Deparis & Legros (2000, p.454) précisent que cette distinction ne correspond à aucune des autres reconnues à l’époque : « ce n’est pas une

distinction chimique et ne semble pas reliée à une discontinuité sismologique. Il s’agit d’une distinction de comportement mécanique : la lithosphère résiste aux contraintes alors que l’asthénosphère cède et s’écoule ». La différenciation entre la lithosphère et l’asthénosphère était

nécessaire pour penser les phénomènes isostatiques. « Les défenseurs de l’isostasie, qu’ils soient

géologues, géodésistes ou géophysiciens de formation, militaient par nécessité inductive pour un substratum crustal à comportement plastique sinon fluide » (Savaton, 2011, p. 115). Alors que l’idée d’un intérieur terrestre fluide reste prépondérante chez certains scientifiques, majoritairement géologues, car elle explique non seulement les phénomènes de surface liés à l’isostasie mais également l’origine des laves, les géophysiciens48

établissent, quant à eux, un discours tout à fait divergent qui permet de concevoir un modèle sismique/rigide de la Terre.

Le modèle sismique/rigide du globe terrestre

Les géophysiciens s’appuient sur les données apportées par l’étude de la propagation des ondes sismiques et qui avancent que la Terre est solide puisqu’elle est traversée49 par les ondes de cisaillement S50. Celles-ci ne pouvant pas se propager dans les matériaux liquides. Les travaux de Harold Jeffreys (1891-1989) montrent que la partie externe du globe terrestre est de nature

48 Savaton (2011) signale que la communauté géophysique de l’époque était partagée entre la nécessité d’une zone

fluide pour rendre compte des phénomènes de l’isostasie et les résultats révélés par les études des ondes sismiques. Ainsi, nos développements suivants ne concernent pas toute la communauté géophysique mais bien une partie.

49 A l’exception du noyau externe situé entre 2900 et 5100km.

50 La sismologie se base sur deux types d’ondes. Il existe deux types d’ondes : les ondes P qui correspondent à des

mouvements de compression et de dilatation se caractérisant par leur rapidité et les ondes S qui vont vibrer la matière perpendiculairement à leur direction de propagation, elles cisaillent et se propagent plus lentement que les ondes P.

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solide jusqu’à 2900km de profondeur avec l’admission d’une certaine fluidité pour le noyau métallique de la Terre (Deparis & Legros, p. 421). Pour Jeffreys, il n’existe pas de zone fluide dans le manteau contrairement aux géologues qui ont tenus un discours différents et sont restés insensibles aux apports des données sismiques. En dépit de ces travaux en géophysique, Goix (1996) montre, en s’appuyant sur les écrits de certains géologues51 de l’époque, comment ces derniers tentent de tenir compte des renseignements apportés par l’étude des ondes sismiques pour localiser le magma mais restent insensibles à travers leurs discours au fait que les ondes S se propagent en profondeur. Ils préfèrent opter pour un globe liquide malgré les arguments géophysiques qui le considère de nature solide. Contester l’idée d’une Terre solide était nécessaire pour penser l’isostasie et les phénomènes magmatiques.

La sismologie, qui a connu un développement considérable au cours de cette époque, permet d’étudier l’intérieur du globe, son comportement ainsi que sa structure. Elle conduit à de nouveaux modèles sur la structure de la Terre et constitue un outil considérable pour une véritable auscultation et investigation de la structure interne de la planète. « La manière dont les

ondes sismiques se propagent, se réfléchissent, s’atténuent permet de déterminer la structure interne de notre planète, d’en faire une image en volume » (Allègre, 1987, p.65). Grâce aux

progrès de la sismologie, la structure de la Terre jusque là inaccessible, s’élucide au fur et à mesure de l’avancée des travaux scientifiques et le globe terrestre apparaît comme étant non homogène parce qu’il existe des discontinuités dans la transmission des ondes sismiques (Allègre, 1983) :

- En 1906, Richard Oldham identifie la présence du noyau liquide terrestre ne transmettant pas les ondes S. La même année, Mohorovicic décèle une discontinuité dans le manteau : la discontinuité de Moho qui sépare la croûte et le manteau supérieur.

- En 1914, Beno Gutenberg met en évidence une discontinuité dans la transmission des ondes sismiques entre le manteau et le noyau située à 2900km. Celle-ci sera appelée : la discontinuité de Gutenberg.

- En 1926, Harold Jeffreys montre la fluidité du noyau et en 1936, la sismologue danoise, Inge Lehman, met en évidence que le noyau est formé de deux parties : la graine centrale et la couronne externe séparé par une discontinuité qui sera appelée discontinuité de Lehman. Gutenberg et Jeffreys préciseront la nature de ces deux parties en montrant que l’extérieur est liquide et l’intérieur solide.

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Toutefois, « la découverte la plus importante est celle faite en 1926 par Gutenberg au cours de

l’étude d’un tremblement de terre au Chili : celle d’une couche « molle » dans le manteau. Cette couche appelée asthénosphère est située à une centaine de Km de profondeur » (Allègre, 1983,

p.48). Les propriétés de cette couche seront étudiées par Don L. Anderson (1962). La structure de la Terre ainsi élucidée diffère de celle avancée par l’autrichien Eduard Suess (1831-1914), en 1909 dans le troisième tome de son traité La Face de la terre où il propose une description détaillée de la structure et de l’évolution de la Terre. Il s’intéresse à la composition chimique des profondeurs du globe et admet que les continents terrestres sont faits d’une couche superficielle légère composée de roches granitiques légères, riches en silicium et aluminium appelée SIAL. Cette couche surmonte une enveloppe de matériaux basaltiques sous-jacents, riches en silicium et magnésium nommée SIMA. La sismologie ébauche, par une autre approche, la structure concentrique de la Terre.

La dérive des continents face aux conceptions « solidistes »

Les géophysiciens solidistes du début du XXe siècle, qui récusent l’existence d’une zone fluide dans le manteau terrestre (jusqu’à 2900km de profondeur) en s’appuyant sur les données sismiques, vont s’affronter aux tenants de la théorie de la dérive des continents qui envisage une zone fluide, capable de déformations, et donc facilitant les mouvements horizontaux et verticaux. Les conceptions du modèle contractionniste ou du refroidissement séculaire (paragraphe 3.1.5) ont été fragilisées grâce à des données qui ont conduit Wegener (1929) à proposer son hypothèse d’une dérive possible des continents. Cette théorie se base sur des arguments géophysiques (sismologie, gravimétrie, radioactivité), géologiques (tectonique, pétrologie, sédimentologie), géodésiques, paléontologiques, biologiques, et paléoclimatiques (Wegener, 1929). Mais Alfred Wegener pointe une confusion « concernant les propriétés physiques de la planète » (Hallam, 1976, p.29) entre l’état et le comportement de la matière. Voici ce qu’il écrit au sujet de l’isostasie et de l’état de la couche responsable de ce phénomène : « L’introduction d’un terme

nouveau pour cet état (isostasie) dans le cas de l’écorce terrestre est toutefois nécessaire parce que le fluide dans lequel plonge l’écorce est d’une très forte viscosité, presque inimaginable,

[…]. Du point de vue expérimental, ce « fluide » différerait à peine d’un corps « solide ». On

doit d’ailleurs se rappeler que l’acier, que nous considérons bien comme un corps solide, présente un peu avant sa rupture certaines propriétés fluides caractéristiques » (Wegener, 1929,

p.13). A partir de ce moment, le problème de l’état (solide)/comportement (solide) se pose. Cette confusion va jouer un rôle dans les débats scientifiques (Goix, 1996).

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Nous avons passé en revue quelques explications liées à la structure et à l’état physique de l’intérieur de la Terre. En 1962, Don L. Anderson rappelle dans un article les deux thèses contradictoires (existence d’une zone fluide/Terre rigide) et donne une réponse à cette contradiction : « The answer to this apparent contradiction is suggested by the properties of

noncrystalline materials such as glass and pitch, which behave like solids in the short run and like fluids over longer periods. They transmit shear waves and can support loads for a short time, but under a steady, long-lasting force they are plastic; that is, they flow and change their shape permanently » (Don L. Anderson, 1962, p.202-203). Ainsi, la planète est rigide comme

l’acier et elle se comporte comme un corps élastique lorsqu’elle est soumise à des forces de courte durée comme les ondes sismiques. En revanche, elle réagit comme un fluide vis-à-vis des longues durées à l’échelle des temps géologiques. Cet auteur s’intéresse également à une couche appelée la Low Velocity Zone (LVZ). Elle pourrait expliquer, selon lui, l’origine du magma.

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