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Chapitre 1. Mise en texte des savoirs scientifiques, problématisation et activités langagières

2. Transposition du travail des scientifiques en classe : mise en texte des savoirs scolaires

2.1 Les contraintes et les effets engendrés par la mise en texte des savoirs scolaires dans les

La mise en texte des savoirs scolaires est un processus d’« apprêt » didactique (Chevallard, 1991) qui serait à l’origine des contraintes, accompagnant le travail de transposition didactique, signalées par Verret (1975). En effet, Verret (ibid., p.146-147) établit que la « transmission

bureaucratique du savoir » provoque sa dépersonnalisation, sa désyncrétisation, et une

programmation de son acquisition. Elle requiert quant à la transmission « la publicité du savoir » c’est-dire sa définition explicite et « le contrôle social des apprentissages ». Nous nous intéressons particulièrement aux deux premières contraintes – la dépersonnalisation et la désyncrétisation – car elles semblent avoir des effets sur les savoirs scientifiques.

La dépersonnalisation du savoir ignore le contexte et les conditions de production du savoir lors de la mise en texte scolaire et n’est pas sans conséquences problématiques. Develay (2004, p.21) atteste que la relation de dogmatisation qu’entretient le savoir enseigné avec le savoir

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savant a pour principale origine « l’écart entre la logique d’exposition des résultats et les

modalités de la découverte. L’école enseigne des savoirs dont elle ne montre jamais les conditions de l’émergence ». Dans la même optique, Ducancel & al. (1995, p.59) précisent

qu’« il est bien vrai que les discours didactiques (cours, manuels,...) dogmatisent le plus souvent

les savoirs scientifiques, les coupent de leur épistémologie, de leur histoire, de leur contexte social de production. Ils proposent une image unique, close et atemporelle du Savoir. Ils sont mystifiants ». Cette dogmatisation du savoir scientifique, lorsqu’il est diffusé à l’école pour des

fins d’enseignement, a été également signalée par d’autres auteurs comme Roqueplo (1974) et Rumelhard (1979).Or nous remarquons, à la suite de Rumelhard (1979) et à nos développements précédents, que ce mouvement de dogmatisation est aussi présent dans la production même des connaissances scientifiques. La dépersonnalisation du savoir scolaire entraîne sa dogmatisation et le texte de savoir – déterminé par les programmes et l’institution avant le début de l’apprentissage – présente aux élèves les produits finis de la science. Comme nous l’enseigne Canguilhem (1968/2002, p.205), « La réorganisation de la connaissance abolit son historicité ». La transmission du savoir sous cette forme aux élèves leur donne une vision très simpliste de la science comme étant un « processus d’accumulation de faits qui ne soulèvent aucun problème » (Sutton, 1995, p.43). Driver et al. (1996) confirment, suite à leurs travaux, que de nombreux élèves expriment parfaitement cette vision. Le savoir est alors considéré comme étant factuel et « déproblématisé ». D’où la nécessité, pour nous, d’étudier la manière dont se fait la construction des savoirs magmatiques en classe et les conditions de possibilités d’un dépassement, par l’enseignement scientifique, de la dogmatisation des savoirs induite par la mise en texte scolaire mais aussi scientifique.

Par ailleurs, la désyncrétisation, qui divise et structure la pratique théorique en champs de savoirs délimités, peut être source de difficultés didactiques importantes. En effet, Lhoste (2008, p.227) considère, après avoir insisté sur l’importance de l’organisation des concepts scientifiques en système dans la mobilisation des raisonnements par les élèves, que « la perte des liens entre

différents concepts pourrait être responsable des difficultés rencontrées par les élèves ». En

sciences de la Terre, par exemple, l’absence de liens entre les différents concepts géologiques pourrait empêcher les élèves de percevoir les relations entre les phénomènes étudiés et de parvenir à une compréhension globale du fonctionnement de la Terre. Les élèves pourraient avoir tendance – comme c’est parfois le cas – à concevoir le cours comme un ensemble de leçons compartimentées sans aucun lien entre elles, et ne percevraient pas l’enchaînement logique des séances. L’absence de liens entre les concepts a été également pointée par des travaux réalisés en

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didactique des sciences de la vie qui montrent que les élèves ne saisissent pas tellement les relations entre les concepts physiologiques étudiés comme la respiration, la circulation, l’excrétion et la digestion (El Hage, 2005).

Les transformations que nous venons de citer concernent spécifiquement le processus de transposition didactique. L’école privilégie les faits et les énoncés, fait l’impasse sur les controverses au profit d’une programmation bien ordonnée et laisse dans l’oubli la pratique scientifique. Même si cette pratique est présente à l’école à travers les travaux pratiques, Johsua & Dupin (1989) indiquent que ces « monstrations expérimentales »6 n’ont généralement rien à voir avec la pratique scientifique. Ceci a, comme nous l’avons montré, des répercussions sur le savoir scolaire qui se retrouve ainsi désarmé de son histoire et des problématiques qui lui accordent tout sens pour se laisser présenter comme un savoir « déproblématisé ». La transposition didactique semble affecter la nature du savoir scientifique et véhiculer une image erronée de la science. Ce mouvement de détachement du contexte de production des savoirs est suivi, dans le cadre scolaire, d’une recontextualisation des savoirs (Brossard, 1998, p.41) qui désigne « l’ensemble des techniques scolaires à l’aide desquelles les enseignants présentent les

connaissances : fabrication des énoncés-problèmes en mathématiques, construction d’exercices de grammaire à l’aide de tableaux, de flèches, de soulignements […] ». Il s’agit, pour Brossard

(1998), de « montage » ou d’« habillage pédagogique » assurant le travail de transposition interne au sens de Chevallard (1991). Mais cette recontextualisation des savoirs au sein de la classe ne proscrit pas pour autant les retombées du détachement de leur contexte de production. Ces derniers temps, la didactique des sciences s’est emparée de la question de la mise en texte scolaire et a mis en exergue une conséquence flagrante de celle-ci et une caractéristique marquante des savoirs scolaires : leur propositionnalisme.

2.2 Conséquence : le propositionnalisme, une caractéristique des savoirs

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