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Chapitre 1. Mise en texte des savoirs scientifiques, problématisation et activités langagières

2. Transposition du travail des scientifiques en classe : mise en texte des savoirs scolaires

2.4 Rôle du lien « problème-savoir » dans la construction des savoirs problématisés

2.4.1 La construction des problèmes pour accéder aux savoirs problématisés

sur les apprentissages scientifiques considère à la suite des philosophes de la science tels Bachelard (1938, 1949), Canguilhem (1955, 1988), Popper (1991), Laudan (1977) et Kuhn (1983) que le savoir scientifique se caractérise par la « maîtrise de véritables problèmes

scientifiques » (Orange, 1997, p.9). Les problèmes sont au cœur de la construction des savoirs

scientifiques chez les chercheurs comme chez les élèves. Les recherches réalisées privilégient une entrée purement épistémologique et postulent que les savoirs scientifiques sont des savoirs apodictiques11, organisés autour de la construction de nécessités et que l’activité scientifique est nettement liée à des problèmes explicatifs. A partir de cette caractérisation des savoirs et de l’activité scientifique, les savoirs ne peuvent pas se limiter pas aux solutions des problèmes mais sont porteurs des conditions de possibilités de ces solutions c'est-à-dire des raisons qui les sous- tendent. Apprendre par problématisation demande de renoncer à la considération des savoirs scientifiques comme de simples résultats terminaux, des propositions examinées, factuelles et « vraies ». Il s’agit de se placer dans le rang des recherches rationalistes12 qui soulignent, à la suite de Bachelard (1949), que les résultats et les conclusions scientifiques ne peuvent être envisagés que comme des réponses à des questions bien posées. Les savoirs se spécifient par leur caractère apodictique, de nécessité et les élèves doivent les construire et les comprendre en termes de possible/nécessaire plutôt qu’en termes de vrai/faux. Cette valeur apodictique des savoirs scientifiques se rapproche de la définition du troisième monde de Popper (1991), celui

11 Un savoir scientifique est apodictique puisqu’il possède une certaine part de nécessité (Bachelard, 1949).

12 Les tenants d’une vision rationaliste postulent que le but essentiel de la science est de résoudre des problèmes

explicatifs et que les savoirs scientifiques sont liés à ces problèmes comme le montrent les études des épistémologues comme Popper, Bachelard et Toulmin. Cette position diverge de celle partagée par la position empiriste qui met en avant l’observation et l’expérimentation.

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des contenus objectifs de la pensée, dont les « habitants » sont les systèmes théoriques, les problèmes, les situations de problème et les arguments critiques.

Par l’adoption de ce positionnement épistémologique, nous nous situons au sein des recherches qui avancent que le savoir scientifique problématisé – à la différence du savoir propositionnel – ne peut se constituer que par une liaison entre le problème, sa solution, et leur engagement dans un réseau de raisons13 (figure 3). Nous considérons, comme le souligne Orange (2005, p.80), que « la production essentielle d’un problème scientifique n’est pas tant le texte de sa solution que

l’explicitation de sa problématisation ». Par conséquent, nous pensons qu’il est nécessaire que la

place de la problématisation, qui considère que les savoirs scientifiques sont raisonnés, soit davantage privilégiée dans les situations d’enseignement-apprentissage scolaires. C’est elle qui fera, d’après notre positionnement épistémologique, la différence entre le maintien des élèves dans un savoir dé-problématisé, propositionnel ou leur accès à un savoir scientifique problématisé. La recherche des raisons et leur explicitation apparaissent nécessaires puisque les savoirs construits ne peuvent aucunement se restreindre à la solution finale escomptée. Cependant, le refoulement des raisons entraîne le renoncement au caractère apodictique des savoirs et, dans ce cas là, c’est le caractère propositionnel qui prend le devant (figure 3).

Savoir scientifique problématisé Savoir scientifique propositionnel

Problème solution Problème solution

Raisons Raisons

Figure 3. Relation entre le problème, sa solution et les raisons dans un savoir problématisé et dans un savoir propositionnel.

Prenons l’exemple du magmatisme pour illustrer notre positionnement épistémologique et pour bien distinguer une focalisation sur les solutions d’une focalisation sur les nécessités qui

13 « C’est la relation problème-solution qui leur donne tout leur sens en les impliquant dans un réseau de raisons. Ils échappent ainsi à la contingence des connaissances factuelles et prennent un certain caractère de nécessité. »

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contraignent ces solutions. Accorder de l’importance à la solution du problème du magmatisme, dans sa globalité, consiste à expliquer la fabrication du magma par des fusions se déroulant sous des conditions particulières et dans des zones bien précises du globe (zone de subduction, dorsales océaniques, points chauds). C’est un savoir factuel et assertorique qui consiste à « savoir que c’est comme cela ». Il correspond parfaitement aux savoirs scientifiques admis actuellement puisqu’il a traversé toutes les étapes de mises à l’épreuve et qu’il est fondé sur des arguments de preuve irréfutables. De plus, c’est un savoir situé dans l’ordre épistémologique du vrai et du faux ne présentant aucun caractère de nécessité. Dans une démarche de problématisation, il ne suffit pas que les élèves accèdent à cette solution ni qu’on leur dise que le magma – comme ils pourraient le penser – ne provient pas d’une masse en fusion préexistante dans les profondeurs terrestres et que cette idée est fausse en les confrontant aux résultats scientifiques des études sismiques. Il est primordial de les emmener au bout de leur logique à travers des situations qui les aideront à passer d’une problématique de sortie d’un magma liquide préexistant à l’intérieur de la Terre à une problématique de fabrication de magma à des conditions précises (Orange & Orange Ravachol, 2004). De plus, il est important qu’ils intègrent les conditions de possibilités de cette problématique (nécessité d’une production locale du magma et nécessité d’un mécanisme entraînant la fusion) (Orange Ravachol, 2003) et qu’ils soient capables d’expliquer pourquoi cette formation est possible et nécessaire et pourquoi il ne peut pas en être autrement (Reboul, 1992). En effet, « Problématiser consiste à explorer et

délimiter le champ des possibles, en posant des questions du type : comment est-ce possible ? Peut-il en être autrement ? Cela se fait par un travail critique sur les possibles qui débouche sur l’établissement de nécessités » (Orange, 2007c, p.92). La véritable entrée des élèves dans la

science se fait lorsque ceux-ci accèdent à ces nécessités, à ces raisons (ibid.). Mais comment emmener les élèves à problématiser, à construire les problèmes de manière à éviter une focalisation sur les solutions et à privilégier les problèmes et les raisons ? L’accès aux raisons « n’est possible que par l’argumentation, donc la mise en texte » (Orange, 2005, p.82). Elles deviennent explicites lorsqu’elles sont mises en textes c’est-à-dire à partir du moment où il y a production de textes oraux et écrits qui fondent les savoirs. En effet, c’est à travers la mise en place de débats scientifiques portant sur des problèmes explicatifs que les élèves auront la possibilité d’argumenter, de produire des textes oraux et écrits et d’accéder aux raisons scientifiques qui fondent les solutions des problèmes.

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2.4.2 Les débats scientifiques : des moments privilégiés pour problématiser

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