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Chapitre 3. Méthodologie de recherche et domaine d’étude

2. Objets d’étude, niveaux de classes et situations de travail retenues

2.2 Choix et intérêts d’une méthodologie basée sur des séquences ordinaires et des séquences

Nous présentons d’abord la méthode de l’ingénierie didactique puis celles dont il est question dans cette recherche (les situations ordinaires et forcées) afin de comparer les différentes méthodologies utilisées dans l’étude de l’enseignement et l’apprentissage, de justifier nos choix et d’évoquer les apports des situations choisies par rapport à nos questionnements et nos objectifs de recherche.

A partir des années 1980, un certain nombre de travaux didactiques se sont basés sur la méthode de l’ingénierie didactique pour étudier les situations et le processus d’enseignement- apprentissage en classe. Cette méthode « se caractérise en premier lieu par un schéma

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réalisation, l'observation et l'analyse de séquences d'enseignement » (Artigue, 1990, p. 285).

L’ingénierie didactique a été privilégiée par les didacticiens des mathématiques « pour organiser

la confrontation de leurs constructions théoriques à la contingence de la classe » (Artigue, 2002,

p.62). Elle se situe dans le registre des études de cas dont le mode de validation est interne et déterminé par une confrontation entre les analyses réalisées a priori et celles établies a posteriori (ibid.) (figure 15). Les chercheurs se centrent davantage, lors de la construction de la séquence de classe, sur les savoirs et les apprentissages et l’enseignant ne participe aucunement au choix des situations (tableau 4, p. 105). Selon les didacticiens utilisant cette méthode, l’introduction de cette ingénierie était nécessaire dans les années quatre vingt pour contrer certaines méthodes « externes » qui passent à côté de la complexité des interactions didactiques comme les questionnaires, les entretiens, les tests et qui n’abordent pas la réalité de la classe (Artigue, 1990).

Confrontation

Figure 15. Les phases de la méthodologie d’ingénierie didactique (d’après Artigue, 1990).

Cependant, la méthodologie de l’ingénierie didactique – qui a connu un développement important spécifiquement en didactique des mathématiques – pose plusieurs problèmes liés à la difficulté de la transmission et de la reproduction des ingénieries dans les classes ordinaires. Suite à ces difficultés et devant la nécessité de la prise en considération du rôle de l’enseignant dans les situations didactiques, les recherches se sont orientées vers l’étude des pratiques d’enseignement dans des séquences dites ordinaires. Les situations ordinaires sont dispensées en classe sous l’intégrale responsabilité de l’enseignant. Elles se font sans aucune intervention ni aide dans le choix des enseignements de la part des chercheurs qui sont de simples observateurs

Conception et analyse a priori des situations didactiques de l’ingénierie Expérimentation Analyse a posteriori et évaluation Analyses préalables

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de ce qui se passe habituellement en classe (figure 16). Les didacticiens s’abstiennent d’influencer ce qu’ils observent et ne cherchent, en aucun cas, à modifier les effets attendus. L’étude de ces situations s’avère essentielle pour « rendre compte du travail des élèves et des

professeurs, dans les classes ordinaires » (Mercier, 2008). C’est pour cela que ces dernières

années, les recherches en didactique des disciplines portant sur l’analyse de ces situations, se sont multipliées (Altet, 2002 ; Venturini & al., 2007 ; Calmettes, 2011). Nous nous intéressons à ce type de séquence parce que c’est le travail ordinaire de mise en texte des élèves et de leurs enseignants tel qu’il se fait en classe que nous voulons étudier en premier.

Figure 16. Les phases de la méthodologie des séquences ordinaires.

Cependant, l’étude des situations ordinaires à elle seules ne permet pas d’articuler le champ théorique au champ empirique dans le domaine didactique : pour cela « l’observation ne peut

suffire, il faut construire de nouveaux phénomènes » (Orange, 2010, p. 76). Ainsi, devant

l’insuffisance des situations ordinaires à construire des phénoménologies savantes, Orange (2010) introduit le concept de situations et de séquences forcées. Celles-ci sont élaborées par un groupe de recherche constitué de chercheurs en didactique et d’enseignants expérimentés dans le but de créer des phénomènes, des apprentissages et d’explorer de nouveaux territoires de l’espace didactique (ibid.). L’implication des enseignants – qui connaissent très bien les caractéristiques de leur classe et de leurs élèves – dans le choix des situations constitue une particularité et une nécessité de ces séquences. Elles ne cherchent pas à construire des séquences « reproductibles » et « exemplaires » puisqu’elles dépendent d’un cadre théorique bien défini qu’elles cherchent à faire évoluer. A travers la création de phénomènes didactiques et de phénoménotechniques qu’elles engagent, leur principale intention est de mieux comprendre le

Mise en place de la séquence sans intervention des

chercheurs

Observation par les chercheurs puis

analyse

Elaboration de la séquence par

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fonctionnement des apprentissages scolaires et d’envisager une évolution éventuelle du cadre théorique de recherche. C’est pour ces raisons que nous avons fait appel à ce type de séquences qui se définit par deux catégories d’objectifs (Orange, 2010) :

 Les objectifs de recherche (quels phénomènes veut-on observer et/ou construire ?) : ils sont fixés par le groupe en référence au cadre théorique de la recherche qu’ils visent à développer. Les chercheurs didacticiens contrôlent ces objectifs.

 Les objectifs pédagogiques ou d’apprentissages (quels sont les apprentissages que l’on

vise ?) : ils intègrent les objectifs que l’enseignant se fixe normalement pour ses élèves en

référence aux recommandations officielles. Toutefois, ils peuvent être dépassés, selon les besoins qu’exige la prise en compte du cadre théorique et des objectifs de la recherche. Ces objectifs sont définis par le groupe de recherche et contrôlés par les enseignants. Ils prennent en considération le cadre théorique et les objectifs de recherche.

Le groupe de recherche, formé de didacticiens et d’enseignants, se réunit avant chaque séance pour préparer conjointement les séances de classe en fonction des doubles objectifs (d’apprentissages et de recherche) (figure 17). La première réunion de l’équipe vise la préparation de la première séance (ou des premières séances). Après la mise en place de la première séance, le groupe se rencontre de nouveau pour discuter le déroulement de celle-ci et préparer les séances suivantes en fonction des objectifs définis et des productions de la classe élaborées jusque là (figure 17). Le groupe de recherche fonctionne selon ce mode jusqu’à la fin de la séquence.

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Figure 17 : Les phases de la méthodologie des séquences forcées (d’après Orange, 2010).

Les séquences forcées s’inscrivent dans le cadre des recherches collaboratives59

entre les chercheurs et les enseignants visant le rapprochement entre le monde de la recherche et celui de la pratique (Desgagné, 1997 ; Desgagné & al., 2001). La méthode des situations forcées essaye effectivement de concilier le développement des recherches et celui du métier enseignant (Orange, 2010) et d’articuler les savoirs issus du monde heuristique avec ceux issus de l’expérience.

Le tableau 4 ci-dessous résume les différences entre la méthodologie de l’ingénierie didactique, celle des séquences ordinaires et des séquences forcées. Il montre en quoi chacune de ces méthodologies se démarque l’une de l’autre en ce qui concerne le rôle des acteurs (enseignant et chercheur) et les objectifs de recherche.

59 Une recherche collaborative « suppose la contribution des praticiens enseignants à la démarche d'investigation d'un objet de recherche, démarche le plus souvent encadrée par un ou plus d'un chercheur universitaire. »

(Desgagné, 1997, p. 371). Mise en place de la séance 1 Groupe de recherche : enseignant et didacticiens Objectifs de recherches et d’apprentissages Mise en place de la séance 2 1ère réunion du groupe de

recherche : préparation la séance 1 en fonction des objectifs définis

2ème réunion du groupe de recherche : discussions autour du déroulement de la séance 1 et préparation de la séance 2

105 Méthodologie de l’ingénierie didactique Méthodologie des séquences ordinaires Méthodologie des séquences forcées Rôle de l’enseignant L’enseignant ne participe pas au choix des

situations.

La situation est effectuée selon le choix de

l’enseignant.

L’enseignant de la classe, qui fait partie de l’équipe de recherche, participe à l’analyse a priori et au choix des situations. Il contrôle les objectifs d’apprentissage.

Rôle des chercheurs didacticiens

Ce sont les chercheurs qui construisent la séquence d’enseignement-

apprentissage.

Les chercheurs sont de simples observateurs.

Les chercheurs collaborent avec les enseignants et contrôlent les objectifs de recherche.

Objectifs

Focalisation sur les savoirs et les apprentissages. La séquence a pour vocation d’être reproduite60

.

Etudier les pratiques ordinaires d’enseignement et l’activité des élèves.

Produire des phénomènes (recherche) et des

apprentissages (enseignement). La séquence n’a pas pour vocation d’être reproduite.

Tableau 4. Comparaison entre la méthodologie d’ingénierie didactique, des séquences ordinaires et celle des séquences forcées.

(Les encadrés grisés pointent les méthodologies en question dans cette recherche).

Notre travail concerne l’étude de séquences ordinaires et forcées d’enseignement-apprentissage en sciences de la Terre. Tout d’abord, l’analyse des séquences ordinaires permet de déterminer les pratiques ordinaires de mise en texte des savoirs et les difficultés affrontées. Les chercheurs sont, lors du recueil de ces données ordinaires, de simples observateurs. Par la suite, nous cherchons – à travers la conception de séquences forcées en collaboration avec les enseignantes – à identifier les pratiques possibles et les conditions de possibilités d’une mise en texte qui prend en compte le caractère apodictique des savoirs scientifiques. Notre corpus d’étude est constitué comme suit (tableau 5, p.110) :

60 Nous notons que l’élaboration de séquences ayant pour vocation d’être reproduite dépend des ingénieries puisque

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- En classe de 4ème, il s’agit d’une séquence ordinaire (4 séances) dans une classe et d’une

séquence forcée (5 séances) d’enseignement-apprentissage dans une autre classe portant sur le fonctionnement des volcans et l’origine des matériaux volcaniques. La mise en regard des situations ordinaires et forcées permet de comparer les pratiques ordinaires de mise en texte à celles qui tiennent en compte la problématisation en sciences de la Terre. La séquence ordinaire a été enregistrée en octobre 2009 au Collège Albert Camus au Mans et celle forcée en février 2011 au Collège le Haut Gesvres à Treillières près de Nantes. Les deux enseignantes respectivement 1 et 2 sont expérimentées. L’enseignante 1 participe depuis un bon moment aux recherches entreprises par les chercheurs du CREN. Le cadre théorique de la problématisation lui est bien familier. L’enseignante 2 est encore peu intégrée à ces recherches. Il aurait été intéressant de réaliser la séquence forcée avec la même enseignante 1 mais certaines contraintes logistiques – telle la distance entre le Mans et Nantes combinée avec le besoin de réunions régulières du groupe de recherche et l’indisponibilité des chercheurs didacticiens au moment du déroulement de la séquence au Mans – ont entravé cette mise en œuvre. Ceci ne remet pas pour autant en cause nos résultats puisque ce sont les conditions de possibilités d’une mise en texte problématisé qui nous interpellent et non pas l’effet et l’impact de l’introduction de la séquence forcée sur la pratique de l’enseignante ou sur l’évolution de ses stratégies didactiques et pédagogiques (Schneeberger & Gouanelle, 2001).

- En classe de Terminale S, une séquence en partie forcée (4 séances) portant sur la formation du magmatisme des zones de subduction. Elle s’est déroulée en mai 2010 au lycée Montesquieu au Mans. L’enseignante 3 est expérimentée et participe activement aux recherches du CREN. Elle connaît le cadre théorique de la problématisation qui met en avant à la construction des raisons dans les apprentissages scientifiques.

Les séances de classe ordinaires et forcées ont été filmées intégralement et des enregistrements audio ont été réalisés. Les discussions, qui constituent les supports de nos études de cas, ont été transcrites. Nous avons récupérés toutes les traces langagières : les écrits individuels et de groupe des élèves (affiches, productions initiales…) et ceux construits pendant la séquence (tableau 5, p.110). De plus, nous avons pris des photos du tableau. Le passage par l’équipe du CREN61 nous a nettement facilité le contact avec les enseignants ainsi que l’accès aux établissements scolaires. Ceci nous a épargné les difficultés liées à la recherche d’enseignants qui voudraient bien

61 Il s’agit de Christian Orange et de Denise Orange Ravachol. De plus, la réalisation des séquences s’est déroulée en

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consacrer un peu de temps à la recherche et d’établissements qui accepteraient volontiers de filmer au sein de leurs classes. Par ailleurs, des autorisations individuelles ont été demandées aux parents d’élèves avant le début des enregistrements pour des raisons éthiques, juridiques et déontologiques de recherche. Les élèves qui n’avaient pas d’autorisations ont été placés en dehors du champ de la caméra tandis que d’autres, filmés par erreur lors de leur passage au tableau, ont été floutés.

En plus de ces recueils de données, nous avons réalisé ou repris des entretiens d’autoconfrontation avec les enseignantes concernées.

2.3 Entretiens d’autoconfrontation avec les enseignants portant sur les

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