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2. Le pays comme outil d’aménagement

2.5. La reconnaissance législative des pays : 1995, 1999 et 2003

2.5.1. Revue des principales dispositions législatives

La question de la définition géographique du pays et, de façon corollaire, de son échelle de référence, se présente comme la principale. Sur ce volet, le texte de 1995 propose que le pays soit défini par sa « cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale », définition n’ayant pas évolué depuis. Cette première définition apparaît vague en raison de l’utilisation du « ou » : la cohésion sur un seul des critères est-elle suffisante pour que le pays

prenne cette dimension plurielle qui le caractérise ? Les limites de ces différentes cohésions thématiques sont-elles d’ailleurs les mêmes ? Qu’en est-il de leur évolutivité ?

Mais pour préciser les choses, les textes juridiques sont venus renforcer cette définition à l’aide d’un échelon de référence préexistant. Le pays se doit de correspondre au territoire de vie des populations, à leurs déplacements en terme d’accès aux services et à l’emploi. Leur autonomie est à ce prix puisque l’on veut remédier aux phénomènes de concentration des activités induits par la métropolisation. Le texte de 1995 en réfère au « bassin de vie », celui de 1999 au « bassin d’emploi » tandis que la loi de 2003 évoque les deux « bassin de vie ou d’emploi ». Bassin de vie et bassin d’emploi ne recouvrent pas la même acception et donc les mêmes périmètres. Le bassin de vie est une petite unité de proximité tandis que le bassin d’emploi se veut plus large. Selon la DATAR, le bassin de vie se conçoit comme « un territoire présentant une cohérence géographique, sociale, culturelle et économique, exprimant des besoins homogènes en matière d'activités et de services. La délimitation d'un bassin de vie correspond à des zones d'activités homogènes reposant sur des besoins locaux et structurés à partir du flux migratoire quotidien de la population et de la capacité d'attraction des équipements et services publics et privés (transport, enseignement, santé, action sociale) ». L’INSEE précise même qu’il s’agit du « plus petit territoire sur lequel ses habitants ont accès aux principaux services et à l’emploi ». Le bassin d’emploi lui, est un « espace géographique regroupant plusieurs cantons et présentant une cohésion en matière d’infrastructures, de marché du travail et de mouvements économiques. Il est constitué généralement autour d’un pôle attractif et peut correspondre soit à une agglomération, soit à une région industrielle développée à partir d’une activité spécifique (bassin minier ou sidérurgique) ou d’une grande entreprise industrielle, soit à un territoire où se regroupent des activités diverses. L’INSEE le détermine à partir du facteur déplacement domicile-travail dans un espace restreint permettant aux personnes actives de résider et travailler dans un établissement du bassin et aux employeurs de recruter la main d’œuvre sur place ».

On retrouve dans ces définitions la conception du pays en tant qu’espace délimité par la taille et le pouvoir d’attraction de son centre. Constatant certaines dérives, éminemment politiques, sur ce volet, le texte de 2003 est venu rappeler que les cas de non-contiguïté des périmètres ne pouvaient être admis tout comme les enclaves qui étaient déconseillées. Par là même, la loi précise que les pays peuvent inclure des communautés d’agglomération et des

communautés urbaines évitant en cela la constitution de pays défensifs (ils peuvent mais ne sont pas nécessairement obligés de le faire…). Diverses configurations peuvent alors prendre forme. J.Beauchard74 (1995) identifiait des pays sans ville correspondant au rural profond, des villes sans pays correspondant aux zones urbaines denses et à leur environnement périurbain et des « ville-pays » où le recouvrement entre pays et ville est parfait (ou alors le cas d’une grande ville polarisant plusieurs pays). Tout dépend finalement de la morphologie de la banlieue qui peut parfois faire écran entre un centre et son environnement rural (grands ensembles, zones commerciales…) tandis que les villes plus ouvertes auraient plus facilement tendance à favoriser les rapprochements.

Bassins de vie et bassins d’emploi constituant des zonages de savoir, il convient parallèlement de voir comment le pays va pouvoir prendre sa place au sein des zonages de pouvoir. Et sur ce point, dès les origines de la politique de pays, toutes les précautions « médiatiques » pourrait-on dire, ont été prises pour présenter le pays comme un réel « territoire de projet » et non comme une nouvelle circonscription administrative. Le pays ne doit surtout pas devenir un nouveau niveau d’administration levant l’impôt. De plus, il doit, de par son caractère plus actuel, plus organique, s’affranchir des découpes existantes jugées dépassées. En cela, la loi de 1995 autorisait tout type de franchissement de limites administratives mais le texte de 1999 est venu apporter une exigence d’importance, celle du respect des limites des EPCI à fiscalité propre. En effet, la relation pays/intercommunalité est aujourd’hui la plus intime dans la mesure où le pays peut se voir comme une somme, disons une fédération d’intercommunalités. Ces découpages y sont plus frais puisque c’est en 1992 que la loi ATR (Administration Territoriale de la République) énonçait la création, entre autres, des communautés de communes qui allaient structurer ce milieu rural dans lequel les pays s’érigent aujourd’hui. Mais les intercommunalités sont structurées à l’échelle départementale (CDCI) et, en milieu rural, reprennent, bien souvent, on l’a évoqué, le tracé du canton (ainsi que sa dénomination d’ailleurs). L’on retombe alors sur l’éternelle question de la gestion des héritages, des inerties et de leurs nécessaires adaptations. D’après M.Barreau et F.Taulelle (2004), « le nombre extrêmement restreint de pays transdépartementaux ou

74 Chap 2 : « de la composition des pays à la constitution des villes-pays : vers une nouvelle représentation des territoires » pp 27-38, Jacques BEAUCHARD dans BAUDELLE G (1995) « De l’intercommunalité au pays », IAAT, l’Aube, 116 p

transrégionaux est bien le signe de la pérennité de découpages administratifs hérités de l’histoire ou de fiefs politiques dont les contours sont stabilisés75 ».

Ce poids des cadres préexistants s’est en revanche assoupli en ce qui concerne les procédures de validation de périmètres. D’après la loi de 1995, les pays étaient seulement « constatés » par la CDCI. La loi de 1999 a apporté une nouveauté majeure dans ce domaine en introduisant deux étapes, un périmètre d’étude et un périmètre définitif, comme pour tenter de mesurer la cohérence du territoire avant de la figer (mais peut-on aujourd’hui figer des périmètres au vu de la rapidité des évolutions ?). De plus, la CDCI se contente désormais de donner un avis simple sur le périmètre, la validation en revenant à la CRADT. Une commune isolée ou un EPCI peuvent se retirer du projet en délibérant négativement contre le projet ou en gardant le silence. Par là même, les adhésions à posteriori sont possibles du moment qu’elles ne modifient pas « l’économie générale du projet ».

Enfin, le dernier point à évoquer concerne le contenu du projet de pays. Là encore, si le texte de 1995 parlait de « projet commun » sans plus de précisions, celui de 1999 annonce que le pays doit rédiger une « charte de développement durable » que les communes et groupements de communes doivent ratifier. Il est aussi précisé que le projet de pays ne peut se bâtir sur un critère unique (critère touristique par exemple). De même, un conseil de développement, dont les modalités de constitution sont libres, doit être créé pour associer élus, citoyens et représentants des milieux associatifs et socioprofessionnels à la démarche de pays. Cette volonté d’associer le citoyen à la vie politique locale montre que la politique de pays se veut davantage fondée sur des dynamiques endogènes souples et non sur de la planification imposée. En cela, les conseils de développement se veulent une traduction opérationnelle de cet idéal de démocratie participative, redonnant à l’habitant le goût de la politique en lui laissant la possibilité de s’exprimer directement.