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Les transformations de ces relations entre villes et campagnes ont été vives ces dernières décennies et font apparaître une dualité, voire un paradoxe. La conception traditionnelle du rapport ville-campagne, l’opposition entre ces deux mondes, est aujourd’hui dépassée tant en termes fonctionnel que « physique ». En effet, l’économie urbaine, tertiarisée d’aujourd’hui n’affiche plus la même division du travail que celle du système proto-industriel entre un donneur d’ordres urbain et un exécuteur rural. De même, la ville classique, dense et minérale, contenue dans ses remparts, a laissé sa croissance se diffuser en périphérie, venant ainsi empiéter sur les terres rurales. C’est la naissance de la périurbanisation qui, à l’échelle de l’histoire urbaine, se présente comme un phénomène inédit surtout de par son ampleur. D’après G.Burgel (1991) « pour la première fois dans le temps long de la ville, la continuité des densités bâties n’est plus le critère de définition de l’agglomération41 ». L’apparition de ce processus, irréversible, rend délicate la lecture de la frontière entre milieux urbains et

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ruraux, l’espace transitionnel montrant aujourd’hui des critères de définition et d’identification qui lui sont propres.

Cette imbrication des deux mondes a été facilitée, accélérée même, par le développement de la mobilité individuelle qui a entraîné une dissociation des usages de l’espace (lieu de production, lieu de consommation, lieu de résidence, lieu de récréation). Cette nouvelle répartition des usages de l’espace a certes, permis un élargissement du périmètre de vie des individus (nos aïeuls évoluaient dans un rayon de quelques kilomètres alors que celui-ci est aujourd’hui passé à quelques dizaines de kilomètres) mais a également fait naître des rapports de privilèges et de marginalisation. La ville concentre ressources, activités et populations au détriment des espaces en déficit de polarisation : on parle de métropolisation. Dans le même temps, les campagnes ont, elles aussi, changé de visage, devenant, en plus du lieu de production agricole consacré, des espaces d’habitat s’ouvrant progressivement au tourisme. Sur le concept de métropolisation, D.Paris (2003) précisait que le processus de métropolisation constitue « le support conceptuel des dynamiques de développement » mais « qu’au-delà de l’économie, les métropoles peuvent apparaître comme des lieux de prédilection pour la production d’une culture globale42 ». De même, ce phénomène de concentration des ressources n’implique pas un système de métropoles de même rang, celui-ci est « d’autant plus intense que le pôle urbain occupe une position supérieure dans le système urbain hiérarchisé qui structure un territoire donné ».

Sur une période d’environ un demi-siècle, la France a connu de profondes mutations sociétales dont les traductions spatiales ont été en conséquence, brutales et spectaculaires. Passé la fin de la seconde guerre mondiale, on assiste à des redistributions massives de population. Issue d’une longue tradition rurale, la France a amorcé ces mutations avec retard par rapport à certains de ses voisins européens, les contraignant à l’accélération. Des années 1950 jusqu’au début des années 1970, le dernier mouvement d’exode rural voit les campagnes se dépeupler en raison d’un solde migratoire négatif au profit des villes qui s’accroissent, cumulant solde migratoire et solde naturel positifs. Les jeunes sont attirés par les pôles urbains qui voient dans leur tertiarisation une réponse au déclin de l’emploi agricole et à la crise industrielle.

42 PARIS D (2003) « Métropole, métropolisation : question de mots », pp 41-61 in EL HAGGAR N, PARIS D, SHAROUR I (dir) « La ville en débat », USTL, 288 p

Ce phénomène est immédiatement relayé par le processus inverse qui se manifeste, dans les années 1970 et 1980, par un desserrement de la croissance urbaine du centre vers la périphérie. Ce mouvement inverse ne peut cependant être considéré comme une parfaite symétrie de l’exode rural puisqu’il a davantage correspondu à un nouveau mode d’habiter qu’à un repeuplement des campagnes. La définition classique de cette périurbanisation peut se voir comme un « processus d’expansion de la ville vers ses campagnes environnantes s’effectuant de manière diffuse dans un espace gardant partiellement son caractère rural43 ». La distinction doit donc être faite entre un rural profond qui continue à perdre des habitants et des campagnes périurbaines qui en gagnent de par leur proximité des centres. D’après P.Bruyelle (1991) « la périurbanisation, en tant que croissance urbaine reportée au delà des limites de l’agglomération, a été le principal moteur de redressement des campagnes44 ». Particulièrement intense sur ces deux décennies, la périurbanisation a surtout consisté en une recherche de loyers bon marché, la possibilité d’accéder à la propriété ainsi qu’à des aspirations à un cadre de vie meilleur.

A partir de 1990, les évolutions démographiques deviennent moins marquées et l’on assiste à un ralentissement du phénomène de périurbanisation. Sans que la tendance ne se renverse, les villes-centres regagnent des habitants du fait des opérations de renouvellement urbain relançant la construction de logements collectifs. La périurbanisation est maintenant dans une phase d’appropriation, de territorialisation par les populations « néorurales ». Le terme « rurbanisation » pourrait apporter une nuance, d’après M.Berger (1980), ce concept s’apparenterait à une « contraction entre urbain et rural, qui caractériserait une zone rurale proche des centres urbains, subissant l’apport résidentiel d’une population nouvelle, citadine45 ». La transformation spatiale y est faible et il s’agit davantage de s’intéresser aux comportements de ces citoyens rurbains. Les progrès dans le domaine du transport ont permis de reculer encore les limites de l’aire d’attraction d’une ville-centre si bien qu’au delà de la proche couronne périurbaine, des communes rurales plus lointaines s’en trouvent polarisées. Les migrations, pendulaires notamment, rythment désormais la géographie de ces différentes composantes à l’intérieur d’une même zone.

43 Définition issue de « La périurbanisation en Belgique : comprendre le processus de l’étalement urbain », Brück Laurent, SEGEFA-LMG, Université de Liège, novembre 2002

44 Dans « Migrations et franges périurbaines : l’exemple du Nord Pas de Calais », Pierre Bruyelle - Espace, Populations et Sociétés. 1991/2.

45 Cité dans BRÜCK L. (2002) « La périurbanisation en Belgique : comprendre le processus de l’étalement urbain », SEGEFA-LMG, Université de Liège, 77 p

Pour tenter d’appréhender cette réalité, l’INSEE a proposé le concept d’espace à dominante urbaine (et son pendant, l’espace à dominante rurale). L’espace à dominante urbaine est centré sur un pôle urbain important (10.000 habitants) autour duquel se développe une couronne dont au moins 40 % des habitants dépendent pour leur emploi et pratiquent les mouvements pendulaires. Sa composition (voir figure n° 3 ci-dessous) se fait sur la base d’un pôle urbain et d’une couronne périurbaine (qui forment l’aire urbaine) ainsi que de communes multipolarisées (ou sous influence urbaine). Ces dernières réunissent des communes et unités urbaines où 40 % des actifs au moins se dispersent dans plusieurs aires urbaines sans atteindre ce seuil dans l’une de celle-ci.

Pôle urbain Aire urbaine Espace urbain

Source : INSEE

Figure 3 : L’espace à dominante urbaine d’après l’INSEE

Ces redistributions démographiques traduisent des évolutions dans les usages de l’espace. Au sortir de l’ère productiviste, à partir des années 1970, le monde rural change fortement. Si l’on y habite davantage que l’on y travaille, l’emploi y est finalement plus ouvrier qu’agricole. L’attrait résidentiel du milieu rural s’accompagne aussi maintenant de sa touristification. Le terme commence à se généraliser pour désigner une sorte de mise en tourisme, une « intrusion de fonctions de loisirs, processus déstructurant et assimilable à la surexploitation, qu’elle soit agricole ou périurbaine ». Correspondant à des aspirations d’enrichissement culturel, d’évasion ou de retour aux sources, facilités par les aménagements

Banlieue Ville centre Couronne périurbaine Pôle urbain Communes multipolarisées A.U. 1 A.U.2 A.U.3

du temps de travail et la hausse du nombre de jours de congés payés, le tourisme et les loisirs s’insèrent désormais dans le milieu rural. Lui font-ils perdre de sa substance originelle ou contribuent-ils à son renouveau ? Cette nouvelle appropriation du monde rural, résidentielle ou touristique, n’est pas sans poser la question du décalage des mentalités, le citadin étant souvent perçu comme un envahisseur. J-F.Stevens (2000) notait « qu’il y a parfois certaines tendances pour ces jeunes ex-urbains à s’investir dans les conseils municipaux locaux sans réelle attache paysanne ou rurale, contribuant ainsi au creusement du fossé culturel en amenant une demande croissante de besoins d’équipements 46 ». Le décalage entre les rythmes de vie des agriculteurs et celui de ces néo-ruraux en est une illustration tout comme la question des nuisances sonores et olfactives liées à l’activité agricole.

La logique de polarisation a redéfini les hiérarchies et la typologie des espaces au sein du système national. Suivant cette logique dynamique de métropolisation, le réseau de villes est organisé par une métropole mondiale et quelques métropoles régionales périphériques, ex- métropoles d’équilibres de l’OREAM (Organisme Régional d’Etude et d’Aménagement Métropolitain) auxquelles on prête parfois, assez difficilement, une envergure européenne. A l’échelle de l’aire urbaine, seule une quinzaine d’entre elles dépassent les 500.000 habitants tandis que quelques 70 atteignent les 100.000 habitants. Le reste du réseau urbain reste constitué de petites villes et de villes moyennes. Les campagnes se définissent, elles aussi, à différents niveaux, essentiellement d’après la façon dont elles subissent la polarisation. On a coutume de parler des campagnes des villes (ou campagnes périphériques ou périurbaines) qui, de ce fait, sont considérées comme « vivantes », dynamiques de par leur démographie. A l’inverse, le rural « profond » ou les campagnes dites « fragiles » sont à l’écart des bénéfices de la métropolisation. Trop isolées, elles restent peu denses, vieillissantes et marquées par la mono-activité, qu’elle soit agricole (centre de la France) ou industrielle (Nord Est). Entre les deux, tend à émerger une forme intermédiaire prenant le qualificatif de « nouvelles campagnes » dont certaines ambitionnent de rejoindre les campagnes des villes de par leur tertiarisation tandis que d’autres jouent la rente de situation touristique (arrière-pays méditerranéen, massifs montagneux).

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