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Une composante historique et culturelle d’envergure individualise également notre espace d’étude sur des échelons plus vastes que ceux des pays. Il s’agit d’un élément original dans la caractérisation d’un territoire, celui de l’héritage linguistique. Si l’on ne peut plus, aujourd’hui, parler d’une Flandre française flamingante au vu du nombre de personnes s’exprimant encore en flamand, la langue a façonné l’identité de cet espace à travers l’histoire.

La langue flamande s’apparente à un dialecte néerlandais issu du groupe des langues germaniques, on la considère surtout comme une langue orale, non codifiée et qui se parle surtout au foyer, à l’estaminet. Guerres et réformes ont façonné l’évolution de la pratique de la langue tout en séparant les destins des communautés flamandes belges et françaises. Un dialecte ne pouvant se maintenir que sous l’égide d’une langue culturelle normalisée d’un même groupe linguistique, le contact grandissant du flamand avec le français a contribué à la réduction massive du nombre de locuteurs flamands.

Le rétrécissement de l’aire linguistique flamande sur le territoire français a connu différentes phases. Aux VIIème et VIIIème siècles, elle a montré son extension maximale en descendant jusqu’à une ligne Etaples-Lille (aire n°1 sur la carte n° 5 p 51). A partir du XIVème siècle, seul le Calaisis affiche une présence de la langue dans l’actuel Pas de Calais (aire n°2) et dès la fin du XIXème siècle, les locuteurs flamands demeurent concentrés dans l’espace géographique du Westhoek (aire n°4). La disparition du flamand en Artois pourrait s’expliquer par l’absence d’un support urbain, culturel, le manque d’appui d’une ville commerçante comme Gand, Ypres ou Dunkerque mais surtout par le fait qu’il ne fût pas concrétisé langue officielle dans cet espace. Divers jalons historiques nous renseignent sur

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l’évolution des pratiques linguistiques du français et du flamand, repères qu’il convient de lire en parallèle de la situation en Belgique. Le flamand a coexisté en France et en Belgique jusqu’au XIVème siècle.

Source : Cercle Michel de Swaen

Légende : Aire de pratique du flamand 1- aux VIIème et VIIIème siècles 2- au XIVème siècle

3- en 1873 4- en 1967

Carte 5 : Le recul de l'aire linguistique flamande

La longue et difficile fixation de la frontière entre les deux Etats (traité d’Utrecht de 1713) marque une première étape dans la progression du français et, même si la langue française commence à être présentée comme un vecteur de participation à la vie nationale et de promotion sociale, l’emploi du flamand n’est pas pour autant proscrit. Pourtant la période révolutionnaire amorce un tournant. En 1793, un décret du 26 octobre stipule que l’instruction dans la République se fera désormais en français même si l’année suivante un amendement prévoit que la langue régionale peut perdurer pour servir l’apprentissage du français (l’étude du néerlandais reste donc pratiquée dans le Westhoek). Mais en 1833, une loi (Montalivet) rend obligatoire l’enseignement primaire dans les communes et ce, dans la langue française.

Cette question de la pratique linguistique fut liée à celle de la pratique religieuse puisqu’à partir de la IIIème République, le catéchisme n’a plus cours dans le cadre de l’école. Si les institutionnels voulaient par là consolider encore la francisation, divers curés de campagnes aidèrent au maintien du flamand. Mais était-ce par souci religieux ou par crainte des idées républicaines ? L’archevêque de Cambrai énonçait en 1882 à Zermezeele : « Le flamand est la langue du ciel, aussi le catéchisme doit être enseigné en flamand et il faut veiller à ce que les enfants ne parlent pas une autre langue dans la rue24 ». Dès lors, et jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale, les enfants surpris à parler flamand à l’école se voyaient punis. De l’autre côté de la frontière, la coexistence de diverses formes de flamand pousse à l’adoption d’une formule unifiée, d’une langue commune, le néerlandais (en 1844). La finalité était plus d’obtenir une unité linguistique et de freiner la francisation que de chercher l’autonomie politique.

Les deux Guerres Mondiales constitueront un tournant dans l’évolution des pratiques linguistiques. La cohésion nationale est renforcée, les hommes sont soudés dans l’épreuve, le français progresse encore. La période de l’occupation allemande symbolisera le dernier choc brutal dans la diminution de la pratique du flamand en France. Fondateur de la ligue des Flamands de France (Vlaamsh Verbond van Frankrijk), l’abbé Jean-Marie Gantois prônera, à partir de 1929, un régionalisme fort via deux revues majeures publiées jusqu’en 1944, le « Lion des Flandres » et « De Torrewachter » (le guetteur) qui allaient finalement dériver vers un contenu xénophobe calqué sur la doctrine nazie. Emprisonné pendant cinq ans, l’abbé Gantois se remit à l’ouvrage dès sa libération avec un nouveau souffle. Il fut notamment élu à l’Académie Néerlandaise de Leiden en 1962. Son corps fut retrouvé dans l’Aa en 1968 sans que l’on ait pu en identifier la raison. Si les actions de Gantois s’étaient limitées à un aspect culturel sans engagement politique réel, le régionalisme flamand s’en est trouvé atteint et ce n’est qu’après une longue traversée du désert qu’il ressurgira au cours des années 1970.

Le cercle Michel de Swaen s’édifiera en 1971 prêchant une réforme du maillage de l’Etat, une évolution vers le fédéralisme administratif, finalement dans la mouvance des idées de Gantois. L’association Menschen Lyk Wyder (« des hommes comme nous ») est créée en 1977 dans l’optique post-soixante-huitarde de « vivre, travailler et décider au pays ». Issue d’un mouvement plutôt de gauche, l’association connaîtra des dérives racistes voyant

24 LANDRY G et VERREWAERE G (1982) « Histoire secrète de la Flandre et de l’Artois », Albin Michel, Paris, 335 p

finalement cette priorité au local devenir un fort rejet d’autrui. A côté de ces structures aux revendications maximalistes, cohabitent des formules plus douces visant à revaloriser la langue et la culture flamande (le groupe le plus actif reste le doyen, le Comité Flamand de France érigé en 1853 par Edmond de Coussemaker, juge de paix à Bailleul, mais on trouve également d’autres acteurs comme Het Reuzekoor ou la radio Uylenspiegel qui diffuse environ 10 % de ses émissions en flamand). Ces deux types de groupements se sont en fait entendus sur la défense de la langue, entre autres valorisations culturelles, lors de la rédaction du Manifeste des Flamands de France de 1981 (« Les Flamands de France exigent que soit reconnu et mis en pratique leur droit à une expression linguistique propre »). C.Delfosse (2001) remarquait cependant que « le mouvement associatif flamand ne paraît pas avoir, aujourd’hui, de stratégie d’ensemble mais que cette faiblesse ne saurait occulter la renaissance de la culture flamande, renaissance vécue et donnée à voir25 ».

Il est finalement difficile d’apprécier le nombre de locuteurs flamands à l’heure actuelle. Le flamand serait utilisé par quelques 20.000 à 40.000 locuteurs26 avec une précision qui verrait les 20.000 comme des locuteurs quotidiens et les 40.000 comme des locuteurs occasionnels27. Ramenés à la démographie de l’arrondissement de Dunkerque, ces 20.000 locuteurs ne représentent que 5 % de l’ensemble de la population mais géographiquement, l’aire de pratique du flamand se resserre de plus en plus vers sa partie centrale, la plus rurale et sociologiquement, elle ne concerne quasiment plus que des personnes âgées. Le cercle Michel de Swaen, plus optimiste mais plus engagé, y voit encore 100.000 locuteurs28. Plus vague, J-P Dufour (2002) voit également « une bonne centaine de milliers de personnes pratiquant encore plus ou moins le flamand le long de la frontière entre Bailleul et Dunkerque29 ». Les chiffres de l’enquête famille du recensement de 1999 reprennent cet ordre de grandeur des 5 % mais insistent également sur la retransmission de la langue à la génération suivante. La conclusion se lit d’un seul trait puisque presque « 90 % des pères

25 DELFOSSE C. (2001) « Les multiples facettes des cultures territoriales dans le département du Nord », dans

Hommes et Terres du Nord, pp 205-213, 2001/4, USTL

26 Voir http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/francegeneral.htm 27

Voir http://www.uoc.es/euromosaic/web/document/neerlandes/fr/i1/i1.html 28 Voir http://www.mdsk.net/lnfvp_fr.html

29 DUFOUR J-P. (2002) « La Flandre française. Les retrouvailles des cousins de Flandre si longtemps séparés », pp 10-23 in ANDREANI J-L (dir) « Les pays d’ici – 15 terroirs de France », Le Monde, éditions l’Aube Nord, 227 p

interrogés à qui le père parlait habituellement flamand dans leur enfance, vers l’âge de 5 ans, n’ont pas fait de même avec leurs propres enfants30 ».

La survivance du flamand se lit encore dans les toponymes mais guère dans la pratique de la langue. L’espace Lille-Dunkerque est une Flandre où l’on ne parle aujourd’hui plus flamand. Si elle est à peine évoquée dans les chartes de pays, cette question de la langue intéresse les acteurs locaux, on trouve par exemple comme membre du conseil de développement du pays Moulins de Flandre, le président de l’institut pour la langue flamande régionale31.