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1. L’héritage institutionnel

1.2. Le support actuel

Le tournant révolutionnaire a été synonyme d’une réforme de fond quant à l’état des cadres administratifs français. La plus large enveloppe spatiale qu’est le département a vu dans le Nord de la France, l’individualisation de deux entités que sont le Nord et le Pas-de- Calais. Si la justification de leur tracé tenait donc à la possibilité d’un accès au centre équitable en tous points de la périphérie, l’artificialité de la découpe apparaît de façon assez nette dans notre exemple. Lille est bien équidistant de Dunkerque et de Avesnes mais le Calaisien mettait sans doute plus de temps pour gagner Arras que l’habitant de Bapaume. En fait, « il a davantage s’agit de ne pas séparer des territoires ayant vécu ensemble pendant longtemps plutôt que de respecter des combinaisons de rapports géographiques ou économiques84 ».

Il avait été proposé un département littoral le long de la Mer du Nord et de la Manche qui aurait groupé les intérêts des façades maritimes et de leurs arrière-pays et dont Saint-Omer aurait pu être le chef-lieu. M-V.Ozouf-Marignier remarquait que « Saint-Omer fondait son plaidoyer non sur la possession de prérogatives administratives mais sur sa position géographique, son dynamisme économique et sa relation avec les villes environnantes85 ». Pour des raisons physiques même, notamment les risques d’inondation, il eût été intéressant de relier Saint-Omer au port de Gravelines. Ce projet fut abandonné pour laisser son département à l’Artois et son département à la Flandre, perpétuant ainsi l’héritage provincial. On a finalement voulu laisser les territoires tels que les dernières conquêtes de Louis XIV les avaient juxtaposés et telles qu’ils avaient vécu depuis plus d’un siècle.

La configuration des départements du Nord et du Pas de Calais se finalise les 15 janvier, 26 février et 4 mars de l’année 1790. Le 28 juillet 1790, Arras est préférée à Saint- Omer (et à d’autres prétendantes moins excentrées comme Aire sur la Lys et Béthune) comme chef-lieu du Pas de Calais. Avec 24.000 habitants à cette époque, Arras n’était pourtant pas beaucoup plus importante que Saint-Omer qui en dénombrait 20.000. En Nord, le duel opposait Lille à Douai. Le député lillois Wartel proposa sa commune à la candidature du chef- lieu mais Merlin de Douai, parlementaire plus éloquent, mit en avant les risques de

84 DEMANGEON A. (1948) « Géographie universelle, Tome VI-II, France : géographie économique et humaine II », A Colin, 899 p

85 OZOUF-MARIGNIER M-V (2000) « A l’origine du Nord et du Pas de Calais : logique administrative contre logique économique (1789-1790), Revue du Nord, Tome 82, n°335-336, avril-septembre 2000, pp 423-434.

dépérissement de sa ville et notamment de ses institutions. Douai fut choisi en 1790 avant que la substitution à Lille ne survienne en 1803. Torturé sur 350 kilomètres alors que les deux extrémités ne sont distantes que de 150 kilomètres à vol d’oiseau, ce trait apparaît bien incohérent au regard des enjeux de centralité que devaient susciter les départements. Pour expliquer cette linéarité Nord-Sud dans le tracé sous un angle international, il avait également été évoqué le souhait de ne pas avoir de séparation au niveau du territoire qui courait le long de la frontière avec la Belgique. Si la frontière s’est établie, certes difficilement, en 1713, cette justification apparaît, en 1790, en décalage. Pour P.Flatrès (1980) « cette volonté de créer une marche défensive le long de la frontière, exista-t-elle vraiment, eût été bien peu concluante86 ».

Légèrement plus évolutive a été la question des arrondissements. En 1790, huit districts (Bergues, Hazebrouck, Lille, Douai, Cambrai, Valenciennes, Le Quesnoy, Avesnes) ont précédé à l’avènement des six arrondissements du Nord (Douai, Avesnes, Bergues, Cassel, Lille, Cambrai) en 1800. Quelques modifications ont affecté le Westhoek puisque l’année 1803 verra le déplacement de la sous-préfecture de Bergues à Dunkerque. De même, en 1857, la sous-préfecture de Cassel sera déplacée à Hazebrouck avant que la réforme de 1926 ne supprime finalement cet arrondissement hazebrouckois. Depuis cette date, la Flandre Intérieure n’a, pour ainsi dire, plus de support institutionnel et si Dunkerque est le chef-lieu d’arrondissement, la question de son accessibilité en une demi-journée aller-retour de voyage reste caduque du fait de son positionnement littoral. Malgré ces remaniements, on constate une superposition très nette entre les périmètres des châtellenies du Westhoek et de Lille et les arrondissements actuels de Dunkerque et de Lille. Les cartes n° 25 et n° 26 p 137 montrent ces évolutions.

86 FLATRES P. (1980) « Portrait de la France moderne – Atlas et géographie du Nord et de la Picardie », Editions Famot, 423 p

Carte 25 : De 1800 à 1926, l'existence d'un arrondissement en Flandre Intérieure

Le détail de la composition des cantons peut s’avérer intéressant à étudier, surtout dans la zone centrale de notre espace d’étude, la plus rurale. Assimilable à un petit bassin de vie polarisé par un chef-lieu, le canton interpellera le pays dans la mesure où son contour a bien souvent servi de base à l’élaboration des communautés de communes, véritables supports des pays. Nous excluons l’analyse cantonale des pôles lillois et dunkerquois qui n’admettent justement pas de tels parallèles en matière d’intercommunalité et parce que la démographie actuelle, malgré quelques créations de cantons dans les banlieues, y est beaucoup moins en rapport avec les justifications de l’époque en la matière.

L’espace compris entre les deux agglomérations lilloises et dunkerquoises s’agence donc en un nombre de onze cantons dont sept peuvent s’apparenter à ce modèle d’un petit centre influant sur une dizaine de communes (voir carte n° 27 p 139). Il s’agit des cantons de Cassel, Bergues, Hondschoote, Wormhout, Bourbourg, Steenvoorde et Merville. Leur poids démographique d’ensemble peut varier d’environ 9.000 habitants (canton de Cassel) à près de 24.000 habitants (canton de Merville). Comme le montre le tableau n° 6 p 139, le chef-lieu s’est très souvent au moins maintenu, si ce n’est développé à travers le temps. Si Hondschoote et Steenvoorde ont stagné, Wormhout et Merville ont crû, respectivement du fait de la proximité de l’autoroute A 25 et d’effets de périurbanisation favorables. Bourbourg s’est également développé mais doit surtout cette évolution au rattachement à la communauté urbaine de Dunkerque. En cela, la commune apparaît comme le seul chef-lieu de notre espace n’étant pas le centre d’une intercommunalité de type communauté de communes. A l’inverse, Cassel et Bergues ont vu leur population diminuer. On pourrait justifier ce fait par les déplacements de sous-préfectures précitées mais aussi par des contraintes « de sites » ne favorisant pas l’étalement spatial (Cassel est un mont, Bergues est cloisonnée dans des remparts). Quatre autres cantons se distinguent de cet archétype. Deux et deux en fait puisqu’il s’agit du modèle cantonal « urbain » qui recourt au fractionnement de communes lorsque celles-ci sont fortement peuplées. Hazebrouck et Bailleul s’agencent sur la base des cantons de Hazebrouck-Nord et Hazebrouck-Sud et de Bailleul Sud-Ouest et Bailleul Nord- Est pour des ensembles démographiques de respectivement 38.000 habitants et 32.000 habitants.

Carte 27 : Les cantons dans l'espace Lille Dunkerque Chef-lieu 1801 Chef-lieu 2001 Taux de variation Canton 1801 Canton 2001 Taux de variation Bergues 5967 4209 - 29 % 17115 19874 16 % Bailleul 9222 14146 53 % 26520 32867 24 % Bourbourg 3581 6908 93 % 10117 17761 76 % Cassel 3809 2290 - 40 % 14142 9228 - 35 % Hazebrouck 7354 21385 191 % 28561 38474 35 % Hondschoote 3294 3815 16 % 11690 12906 10 % Merville 5520 8903 61 % 17332 23626 36 % Steenvoorde 3620 4024 11 % 14376 12851 - 11 % Wormhout 3535 4977 41 % 14587 14275 - 2 %

Source : C.Motte, I.Seguy, C.There, traitement: X.Leroux Tableau 5: Evolution de la population cantonale entre 1801 et 2001

Concernant l’entité régionale, la constitution de la région Nord Pas de Calais a tout simplement consisté en la réunion des deux départements du Nord et du Pas de Calais. Si l’on a justifié son bien-fondé comme une façon de mieux appréhender la spatialité des questions

socio-économiques qui étaient à l’étroit dans le département, la région Nord Pas de Calais semble malgré tout modeste en regard des enjeux qu’elle suscite. La configuration géographique de la région reste tout de même particulière avec une longue bande littorale, la proximité de la région parisienne juste séparée par la Picardie mais aussi par la séparation avec le voisin belge. Complexe, illogique, défavorables aux intérêts économiques, la frontière franco-belge a surtout été critiquée de par son orientation cardinale Nord-Ouest/Sud-Est. En ce sens, elle vient croiser les lignes de force Nord-Sud qui font la spécificité de cet espace : les bassins fluviaux de l’Aa à la Sambre, la continuité des nébuleuses urbaines (littoral, agglomération lilloise) mais surtout les communautés flamandes et hennuyères notamment au travers de la langue. Avant sa stabilisation définitive en 1713 (des échanges d’enclaves sont tout de même survenus par la suite), la frontière franco-belge était une frontière de guerre qui avançait et reculait au gré des possessions et des pertes de territoires (voir carte n° 28 à n° 32 p 141 et 142). Aujourd’hui elle est devenue une discontinuité majeure, économique, démographique, culturelle mais également administrative puisqu’en 1976, la Belgique s’est engagée dans la voie de la fusion communale présentant ainsi des entités quatre à cinq fois plus étendues que celles de la France (on dénombre 308 communes en Flandre et 262 communes en Wallonie et, en moyenne, une commune de Belgique compte 18.000 habitants).

Le tracé régional n’a toutefois pas vu de modifications dans les contours de départements qui individualisaient des espaces qui auraient mérité d’être rassemblés dans une même entité. Outre les questions littorales précitées, les questions minières auraient sans doute mérité un traitement d’ensemble mais l’on est resté sur une frontière séparant les destins de Béthune et Lens et ceux de Douai et Valenciennes. La question réapparut parfois mais les propositions de redécoupage n’ont jamais abouti. En 1870, Louis Legrand, avocat valenciennois avait évoqué à nouveau l’idée de découper ces territoires sur un axe Est-Ouest mais le projet tomba aux oubliettes du fait d’une charge raciste envers les flamands. Un siècle plus tard, l’OREAM se posait également la question : « deux des plus lourds départements français, forts de leurs racines historiques, de dimensions guère différentes de la région, peuvent-ils ou bien se souder, ou bien faire apparaître une fonction régionale nettement distincte des compétences départemententales87 ? ».

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Source : G.Landry et G.De Verwaere

Carte 28 : Le traité des Pyrénées (1659)

Source : G.Landry et G.De Verwaere

Carte 29 : L'achat de Dunkerque (1662)

Source : G.Landry et G.De Verwaere

Source : G.Landry et G.De Verwaere

Carte 31 : Le traité de Nimègue (1678)

Source : G.Landry et G.De Verwaere