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3. La musique traditionnelle

3.2. Quelques éléments de mesure du phénomène

Le phénomène est donc réel dans notre espace d’étude et contribue à définir un aspect de sa dimension culturelle. Pour tenter de l’apprécier de manière chiffrée, nous avons mesuré la répartition spatiale des événements liés à la musique traditionnelle sur le territoire métropolitain. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur une référence en la matière, le magazine spécialisé « Trad Magazine » d’ailleurs basé dans la région Nord, à Saint- Venant (Pas de Calais). Sur un échantillon de six numéros bimestriels (janvier/février 2005 à novembre/décembre 2005), nous avons calculé la moyenne mensuelle de ces événements (ceux-ci prennent quatre aspects que nous totalisons : concerts/bals, stages, festivals, ateliers). Couvrant l’intégralité d’une année, nous masquons en cela les effets de saisonnalité. Le tableau 1 montre le classement des dix premières régions de France en terme d’importance.

38 COUSSEMAKER (DE) E (1987) « Chants populaires des flamands de France », Malegijs, Kemmel, 419 p, édition originale Gand, 1856, pp 95-96

Région Nombre moyen d’évènements par mois 1 Rhônes Alpes 36 2 Ile de France 34 3 Bretagne 31 4 Midi-Pyrénées 21 5 Poitou-Charentes 20 6 Bourgogne 17

7 Nord Pas de Calais 16

8 Auvergne 15

9 Languedoc Roussillon 13

10 Centre 11

Source : Trad Magazine

Tableau 1 : Nombre mensuel d’évènements liés à la musique traditionnelle par région

Hormis l’effet « capitale » de la région parisienne, on retrouve dans ces chiffres l’expression des foyers de survivance de la musique traditionnelle, le Dauphiné, la Bretagne, l’Occitanie, l’Auvergne…une certaine expression de la ruralité. Le quart Nord Est de la France est le moins bien représenté, n’apparaissant pas dans les dix premières réponses. Si la région Nord Pas de Calais n’arrive qu’en septième position avec un nombre moyen de 16 évènements par mois, il convient justement de relativiser ce chiffre avec une lecture plus fine de la localisation de ces manifestations à l’intérieur de la région. Dès lors, la carte 6 ci- dessous montre que sur cette moyenne des 16 évènements mensuels recensés, les trois quarts ont lieu dans l’espace Lille–Dunkerque (agglomération lilloise incluse), témoignant ainsi de sa spécificité et de sa quasi exclusivité en la matière. Précurseur avec le groupe Marie Grauette et père de la revue Trad Mag, Roland Delassus notait qu’il n’y avait pas eu une quête d’identité semblable en Artois.

Source : Trad Magazine

Carte 6 : Evènements liés à la musique traditionnelle en Nord Pas de Calais

La musique traditionnelle dans le Nord de la France apparaît comme bien ancrée dans l’espace Lille-Dunkerque prenant ainsi le cadre de ce large pays flamand. Elle reste toutefois le fait de personnes actives et volontaires, n’étant ainsi supportée par les institutions comme c’est le cas en Bretagne où O.Goré (2004) voyait dans son expression une « réinvention des pays39 ». En Nord Pas de Calais, il n’y a pas d’intervention au niveau de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) et il n’y a pas non plus d’ADDM (Association Départementale pour le Développement Musical). Une association régionale existe, Domaine Musiques, mais demeure généraliste. Pour le reste, les groupes, les lieux d’apprentissage et prestation s’échelonnent de Lille à Dunkerque.

Hormis l’exception d’une classe de cornemuse au conservatoire de Calais (création en 1984 par Michel Lebreton), l’apprentissage de la musique traditionnelle dans le Nord de la France tient surtout à deux associations, la Piposa basée à Sailly sur la Lys (créée en 1984 par Bernard Boulanger et comptant aujourd’hui plus de 130 membres) et Cric Crac Compagnie officiant à Villeneuve d’Ascq (plus de 300 membres). Les instruments représentés dans les ateliers sont la cornemuse, le violon, la vielle, l’accordéon et l’épinette. Cric Crac Compagnie

39 GORE O. (2005) « L'inscription territoriale de la musique traditionnelle en Bretagne », Thèse de doctorat, 421 p, dir : J PIHAN

propose, en plus, un espace d’éveil sonore basé sur la découverte des percussions. Conformément à l’esprit originel, aucun préalable de solfège n’est requis, l’apprentissage se faisant par reproduction de la gestuelle. Nous pouvons aussi mentionner la DICOP (Donnons de l’Importance aux Choses qui n’en Ont Pas) à Ronchin (création en 1993 – 60 adhérents) qui éveille également les enfants à la musique mais qui forme aussi les adultes au violon (répertoire d’inspiration plutôt scandinave sous l’impulsion de Jacques Léninger). Sur la frontière, à Dranouter, s’est également récemment créé le MuziekCentrum sur les lieux de l’un des plus grands festivals folk d’Europe (première édition en 1974). Diverses associations soutiennent, en parallèle, la pratique de la danse (Het Rezeukoor à Dunkerque, Danse Temps Là à Uxem, Les Pacotins à Boëseghem, Les Jouveignes à Armentières, De Zotte Vlaams à Quesnoy/Deûle, la Rue du Sabot à Lille…), le couple Marie-Christine et Patrick Bollier organisant de nombreux stages en la matière.

Outre les bals réguliers, d’autres manifestations, annuelles se tiennent dans cet espace : le rendez-vous Cassel Cornemuses (anciennement Cornemuses du Mont Noir) qui accueille une quinzaine de groupes sur un week-end en juin, la fête de la Piposa à Sailly sur le Lys en avril, la fête du beaujolais nouveau à Santes, le festival Het Lindenboom (le tilleul) à Loon- Plage en juillet ou encore « Folk en mai » à Hazebrouck. N’ayant de réel relais institutionnel, ces évènements sont le fait de musiciens engagés qui comptent justement parmi la dizaine de groupes réellement actifs sur ce territoire : Smitlap pour les cornemuses de Cassel (Patrice Heuguebart), Orage sur la Plaine pour la fête du beaujolais nouveau. Tout cela se fait dans la limite du bénévolat.

Fournir le chiffre précis des groupes oeuvrant sur ce territoire s’avère délicat. Le site Bourdon Campus, un serveur d'échange d'informations autour des cultures traditionnelles dans le Nord Pas de Calais et limitrophe, en propose un recensement. Nous ne pouvons cependant y apprécier si tous sont aujourd’hui encore actifs mais surtout si des musiciens ne sont pas dans plusieurs groupes, leur composition n’étant pas systématiquement précisée. Toutefois, l’ordre de grandeur pourrait tourner autour d’une cinquantaine de formations. Le Syndicat Mixte d’Aménagement du Bas Pays en comptait une quarantaine en 1981, chiffre n’ayant pas évolué en 200340. Parmi les plus connus, citons Smitlap, Absinthe, Orage sur la Plaine, Hopland, Escavèche, D’accornemuses…Si ces 40 groupes comptent environ 200

40 Voir BODART J (2004) « La musique traditionnelle dans le Nord de la France », in Annales Les Pays Bas Français, 29ème année, 2004, pp 136-151

musiciens, moins d’une dizaine ont le statut de professionnel, chiffre qui témoigne de l’aspect « amateur » de cette scène locale. Est-ce une volonté de promouvoir cette musique davantage par le bal que par le support sonore ? Cela se ressent sur la production de disques puisqu’il n’y a pas réellement de label en région, seulement de l’autoproduction. Dès lors, la musique traditionnelle flamande est absente dans les rayonnages des grandes enseignes de la distribution (Fnac, Furet, Planet Saturn) ou plus précisément, elle est le fait de quelques artistes belges (Kadril, Laïs, Ambrozijn, Tref…) où elle est définie comme une musique d’Europe, sous-catégorie des musiques du Monde. Seul un artiste, Jean Jacques Révillion, apparaît dans une catégorie « folk français », elle même composante de « musique celtique » ! La musique régionale du Nord se manifeste via ses aspects chti, kermesses et carnavals avec des artistes comme les Capenoules ou Raoul de Godwaersvelde. A titre d’autre anecdote, la collection Ocora (musiques traditionnelles pour Radio France) propose 17 disques de divers terroirs de France (Bretagne, Vosges, Provence, Centre-France…) mais rien sur le Nord tandis qu’une seule référence existe pour la Belgique mélangeant Flandre et Wallonie.

La musique traditionnelle permet ainsi de se définir comme un volet original de la culture de l’espace Lille-Dunkerque. Son emprise territoriale lui autorise le qualificatif de musique traditionnelle flamande dont la continuité et les sources se font outre Belgique. Preuve de ce succès, de nouvelles initiatives émergent encore comme en témoigne la naissance d’un tout nouveau concept, les « Moederbal » (les bals à maman) inspirés des « Boombal » de Belgique. Voulant élargir le champ du bal folk classique que ce soit sur la durée (quatre heures) ou sur le nombre de groupes (environ six groupes) et voulant combler le créneau du dimanche après-midi (tout en partant sur un prix d’entrée plus raisonnable que les bals folk de samedi soir), cette nouvelle formule, soutenue par le groupe Chal Ha Dichal et la ville d’Halluin, a rencontré son premier succès en mars 2006 (plus de 150 participants) et propose déjà de réitérer l’événement encore cinq fois cette année. Redessinent-ils le contexte d’apparition des bals folk des années 70 ?

Chapitre 3 : Le culturel, lignes et contacts

Notre secteur d’étude peut prétendre à une certaine unité culturelle d’après les entrées que nous avons analysées.

La coupure des civilisations agraires distingue, au Nord, les terres de la dispersion caractérisées par des herbages enclos, des champs ouverts et un habitat de modèle « hofstède » et, au Sud, les terres du groupement caractérisées par les jardins clos, les parcelles ouvertes et un habitat de type « cense ».

Si elle a connu son extension maximale durant le Haut Moyen-Age, la pratique de la langue flamande dans notre espace d’étude est aujourd’hui dérisoire (5 % de la population de l’arrondissement de Dunkerque). Le contact avec le français l’a séparé de son homologue belge qui a pu s’élever sous l’égide du néerlandais. Elle peut encore constituer une donne folklorique qui a parfois servi de vain prétexte indépendantiste.

Notre espace d’étude constitue enfin un foyer d’expression de musique traditionnelle, la musique flamande. Suite à une rupture de son mode de transmission orale, sa pratique fait aujourd’hui l’objet d’un revivalisme initié dans les années 1970 par une poignée de passionnés.

Chapitre 4 : Le fonctionnel, une double polarisation