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5.3 Les impressions et l’expérimentation de l’activité À livres ouverts

5.3.3 Le revers de la médaille

Bien que la plupart des « lecteurs » estiment leur expérience enrichissante et l’activité, un bel outil de sensibilisation favorisant des réflexions positives à l’égard des personnes ayant un TM, l’initiative À livres ouverts revêt aussi des points à améliorer. La principale recommandation nommée par les participants est d’améliorer la diffusion de l’événement. Selon eux, il ne bénéficiait pas d’un assez grand rayonnement, ainsi, il a rejoint un nombre restreint de la population potentiellement intéressée par l’activité. À cet égard, ils ajoutent que l’activité devrait être renouvelée régulièrement pendant l’année, au moins deux fois par an, pour maximiser son objectif, réduire les préjugés, et pour améliorer sa visibilité auprès de la population. Des participants expliquent également que le peu de « lecteurs » présents était essentiellement constitué de personnes du milieu soit, des personnes utilisatrices des services offerts par les organismes organisant l’activité ou œuvrant dans le domaine des troubles mentaux ainsi que des intervenants du réseau. Ils notent alors qu’il s’agit d’un concept intéressant, mais ils se questionnent sur le public cible en se demandant si l’activité ne s’adresse qu’à un certain type de personnes, dont celles déjà sensibilisées par la cause. Ils s’interrogent effectivement sur la possibilité de rejoindre les personnes ayant des préjugés envers celles atteintes d’un TM, car actuellement, pour eux, elles ne sont pas interpelées par l’activité.

Il n’y avait presque pas de monde à cette activité-là, donc ça attire un certain type de personne pas plus. Puis d’ailleurs je pense que les gens qui étaient là, ce sont des gens dans le domaine (Zappa).

Je ne pense pas que c’est tant que ça finalement qui fait qu’on change nos perceptions…bien ça peut les changer, mais comment je pourrais dire ça…J’ai l’impression que quelqu’un qui veut ne rien savoir, il n’ira pas là. J’ai l’impression parfois que les gens vont là, car ils sont déjà convaincus aussi qu’il y a des préjugés puis qu’ils sont prêts à faire le pas. Mais comment on va les chercher aussi ceux qui ont vraiment des préjugés? Tu sais je ne suis pas certaine qu’on les attire tant, je ne sais pas…c’est un questionnement (Betterave).

Est-ce qu’on aurait pu publiciser davantage l’événement pour toucher peut-être des publics cibles pour qui ça aurait été très pertinent pour eux? J’ai vu passé beaucoup d’usagers par exemple des organismes communautaires du coin ou des personnes atteintes. Je trouvais bien correct qu’ils viennent, mais je crois que ça aurait pu avoir un peu plus grand rayonnement […]. Tu sais l’objectif de diminuer les préjugés, je ne crois pas nécessairement qu’ils sont tant d’une personne atteinte à une personne atteinte, mais bien plus […] de gens qui vont être moins proches des personnes

malades […]. Ça aurait été pertinent de bouger un petit peu leur idée ou leur façon de percevoir les personnes atteintes (Cat).

En ce sens, des participants ne provenant pas de ce milieu disent ne pas s’être sentis bien accueillis. D’une part, ils mentionnent que les personnes désignées pour accueillir les « lecteurs » ne leur ont pas expliqué le concept de la BV ni leur rôle et les règlements de l’activité. Ils expriment alors qu’en ne connaissant pas cette initiative, ils n’ont pas bien saisi les démarches à suivre ni ce à quoi on s’attendait concernant le rôle qu’ils avaient à jouer. D’autre part, n’appartenant pas au milieu des services en santé mentale ni de celui des personnes utilisatrices des services, ils ne se sentaient pas confortables d’être parmi toutes ces personnes faisant partie de ce réseau. Certains ont même dit avoir été intimidés par cette circonstance et ont exprimé une certaine frustration. Pour ces raisons ces derniers ne manifestent pas le désir de vouloir renouveler l’expérience.

C’était comme une activité où ils se sont invités entre eux […]. Je ne connaissais rien, puis quand tu ne sais pas trop ce que tu t’en vas faire, puis on ne te l’a pas expliqué… C’est comme si j’étais un étranger […]. Moi, en tant qu’observateur, n’ayant aucun rapport avec quoi que ce soit, j’avais comme l’impression de ne pas avoir d’affaire là […]. C’était assez intimidant carrément, les caméras qui étaient là, [le livre vivant] qui n’osait pas me parler […] et qui me regardait comme en me disant tu es qui toi ? Comme si je n’étais pas dans la gammick […]. J’aurais probablement dû m’en aller […]. Le fait que je n’y revienne pas c’est probablement en grande partie à cause de ça […], du mauvais accueil qu’on m’a fait […]. C’était un party privé, ça saute aux yeux que c’était ça. Il y en a qui était super bien accueillis, car ils se connaissaient […]. Je voyais qu’ils étaient attendus puis, moi, j’étais comme “c’est qui lui, il ne fait pas partie de la gang, comment ça il est là” ? […] S’ils avaient visé le public, ils n’auraient pas agi comme ça, c’est un peu dommage (Zappa).

Quant à la structure de l’activité, l’analyse des propos des participants à l’étude a permis de dégager certaines disparités entre l’expérience de chacun. Selon leur discours, certains n’auraient pas reçu le même traitement que d’autres en ce qui a trait au temps d’échange, de procédure pour réserver le « livre vivant » souhaité ainsi que pour le déroulement de la rencontre avec ce dernier. Des participants expliquent que la durée de l’événement et de la location n’était pas suffisante alors que d’autres rapportent avoir eu suffisamment de temps. Autrement dit, des « lecteurs » ont bénéficié d’un événement se déroulant sur plusieurs heures, voire plusieurs jours, et d’une location de livre excédent les quinze minutes réglementaires tandis que d’autres n’ont eu qu’un temps restreint pour participer à l’activité. Ces derniers notent alors qu’ils aimeraient que la plage horaire de l’activité soit plus longue, que la réservation du livre soit d’une plus grande durée, un ajout de quelques

minutes serait satisfaisant et qu’il y ait la possibilité de louer plusieurs livres à leur arrivée afin d’éviter le retour constant à l’accueil pour effectuer une autre réservation.

Je trouvais ça très bien. C’est une activité productive, mais il y a une chose, on n’avait pas le temps de voir tout le monde […]. Il semble qu’il pourrait y avoir plus de temps (Gatineau).

Des participants poursuivent en évoquant qu’ils n’ont pas eu la même chance que d’autres, c’est-à- dire de pouvoir choisir le « livre vivant » qu’ils voulaient rencontrer, car les personnes à l’enregistrement leur ont désigné un livre sans raison apparente et qu’ils n’ont également pas eu la possibilité d’échanger et de poser leur question aux livres.

Ce que j’ai trouvé difficile, c’est comme une personne qui partage, il n’y a comme pas d’échanges (silence). Pas que je n’ai pas aimé ça, mais [j’étais] un peu déçue. Je n’avais pas d’attente, mais […] il me manquait l’écoute, mais aussi un échange de… parcours. C’est poche […], mais en même temps on ne veut pas trop être intrusif dans la vie de la personne, car elle partage quelque chose de pas nécessairement facile […]. Peut-être aussi que c’est l’interaction qu’on a eue ensemble aussi, tu sais peut-être que si j’avais été voir une autre personne, ça se serait passé autrement aussi (Betterave).

Dans cette perspective, cette participante renchérit en soulignant qu’il serait également bénéfique de se soucier des « lecteurs », pas seulement des « livres vivants ». Elle mentionne qu’en plus de ne pas avoir été en mesure d’échanger et de poser ses questions avec le livre rencontré, elle n’a pas eu la possibilité de ventiler ni de partager ses réflexions sur son vécu à l’expérience avec d’autres. Elle explique qu’il serait avantageux de proposer un espace informel aux « lecteurs » afin qu’ils puissent faire une rétroaction sur leur échange avec le « livre vivant » rencontré. À son avis, cette rétroactivité favoriserait l’introspection de celui qui reçoit le témoignage sur la réalité vécue par les personnes ayant un TM, le changement de comportement de ce dernier et la réduction des préjugés à l’égard de ces personnes. Au même titre, cela pourrait permettre aussi d’offrir une écoute aux autres qui ressentent le besoin de s’exprimer sur les émotions vécues. Cette proposition de service pourrait, quant à cette participante, bonifier l’apprentissage réalisé dans le cadre de cette activité tout en exploitant le plein potentiel de l’objectif de celle-ci, soit d’accroitre la tolérance ou de changer la perception péjorative de la population envers les troubles mentaux.

Quand [le livre] partage ses trucs, ça nous fait vivre des choses. Toi, tu restes avec ça. [Le livre] n’est pas nécessairement là pour prendre cette charge-là […]. Est-ce qu’il n’y aurait pas intérêt, une fois qu’on est sorti de là, d’avoir un milieu où si tu as envie

de partager aussi, il y a un endroit où tu peux aller prendre un café, [juste pour que ça soit plus informel, mais plus en groupe, en collectif]? […] On ne peut pas rester neutre là-dedans non plus. Moi, je pense que c’est peut-être ça après j’aurais peut-être aimé ça voir d’autre monde qu’il l’avait vécu […]. Moi, c’était […] comment j’agis là-dedans? Je n’ai jamais été bien en fait pendant les quinze minutes […]. Tu sais au-delà de, qu’est-ce que ça t’apporte? […] Comment tu te sens après ça ? […] On apprend dans l’expérience, mais si on ne verbalise pas après, on ne fait pas l’apprentissage, on ne le garde pas […]. Je veux dire au bout du compte si on veut éliminer les préjugés à partir de là, [mais qu’] on ne le fait pas verbaliser, tu sais la personne va dire j’ai parlé avec un « ostie de fucké ». Tu sais à un moment donné, je pense qu’il faut le nommer : ok, je trouvais qu’il était « fucké », mais à force qu’il me parle, je me suis rendu compte « crime » il a vécu des affaires qui me ressemblaient puis je fais comme, est-ce que ça veut dire que je suis « fucké », non, pas vraiment […]. Je suis sortie de là un peu frustrée […]. C’est important que les gens qui font ça se sentent en sécurité […]. Je trouve qu’on prend beaucoup soin de ceux qui sont les livres, mais il faut prendre soin de ceux qui reçoivent aussi […]. On ne s’est jamais posé la question des gens qui recevaient le message (Betterave).

Enfin, plusieurs « lecteurs » s’interrogent sur les bienfaits de l’activité pour les « livres vivants ». Ils formulent des questions sur les répercussions possibles pour ces derniers relativement à leur rétablissement et à leur ressenti. À ce sujet, un participant émet le commentaire que l’initiative À

livres ouverts peut être enrichissante pour le « livre vivant ». Cependant, d’après lui, elle consolide

le statut que cette personne est malade tout en l’enracinant dans sa situation isolée du domaine des troubles mentaux. Il explique que les « lecteurs » participent à l’activité en ayant en tête qu’ils viennent rencontrer une personne ayant un TM, donc une personne malade, ce qui ne favorise pas l’intégration de cette personne dans la société. Ce faisant, pour lui, l’enjeu de cette initiative est qu’elle persiste la mise à l’écart de la personne atteinte d’un TM des autres n’ayant pas un tel trouble, par conséquent, les ghettoïse en maintenant l’association de cette personne au milieu des troubles mentaux.

La problématique des préjugés [c’est, par exemple, de prendre] une personne puis de la figer, ça, c’est un malade mental that’s it that’s all […] même si…la personne qui a des problèmes guérit […]. C’est un peu comme […] à l’activité [À livres ouverts].. Je comprends que [c’est] quelqu’un qui était malade […] et on lui dit de raconter ces problèmes. Les gens viennent voir le malade. Ils ne viennent pas voir l’individu […]. Pour moi, ce n’est peut-être pas la meilleure idée pour aider quelqu’un […]. Qu’est-ce qui peut amener la personne à vraiment sortir du ghetto […]? Il faut que tu t’en ailles travailler […], vivre avec quelqu’un, [faire] des affaires qui n’ont aucun rapport avec le cercle de la maladie mentale. Car quand il est vraiment guéri, [il doit] délaisser cette béquille-là […] temporaire [sinon] tu ne marches jamais librement […]. Ça dépend

aussi de la personne qui se prête au jeu d’être un livre, comment elle perçoit ça […]? Si […] ça l’amène à se libérer, let’s go ! C’est super génial, mais si au contraire ça l’enracine dans son idée d’être malade, dans son environnement de la maladie mentale […] ou ça renforcit l’idée qu’elle est malade, ce n’est pas bon, c’est zéro. Il faut que l’expérience lui permette de se libérer et non de s’enraciner dans l’identification […] « je suis une personne malade, atteinte d’une maladie mentale » […]. C’est la vraie délibération […]. Il faut trouver un moyen pour faire en sorte pour que les personnes retrouvent leur état initial, avant la maladie (Zappa).