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LES PARLEMENTS MERIDIONAUX ET LES CADRES DE LA VIE POLITIQUE PROVINCIALE

TROIS INSTITUTIONS PROVINCIALES DES ANNEES CARDINALES

3. Revendiquer un magistère provincial

Toutefois, cette capacité d’action sur la législation royale et leurs qualités de juges des principaux intérêts provinciaux n’étaient pas les seuls piliers du pouvoir des parlements en province. Ceux-ci pouvaient intervenir directement dans la société politique locale grâce à leur pouvoir réglementaire. Si en évoquant le pouvoir des parlements de « faire des reglemens concernans le faict de la justice», Bernard de La Roche Flavin semblait restreindre le champ d’intervention des magistrats, il l’étendait en réalité considérablement en indiquant qu’il s’agissait de régler « toutes les menues occurrences, qui adviennent en tous les endroits [du] Royaume, & qui requierent d’estre reglees promptement94 ». Ces « menues occurrences » étaient amplifiées par une définition extrêmement lâche de la notion de justice, tout en étant néanmoins limitées au ressort dépendant de l’autorité de chaque parlement. Sans prétendre épuiser leur aire juridictionnelle, les prétentions des magistrats peuvent être en partie reconstituées à partir des causes justifiant l’intervention des parlements, classées par La Roche Flavin dans un passage consacré à « l’authorité et juridiction des Parlements » dans le premier quart du XVIIe siècle.

Les domaines de juridiction des parlements motivant leurs interventions C au se s r ev en diq ué es p ar L a Ro ch e F la vin

1. Les causes des prélats, chapitres, comtes, barons, villes, communautés, échevins privilégiés (I et VIII) 2. Connaissance des affaires touchant au domaine du roi aux ressorts des parlements (II)

3. Les droits de régale [exclusivement réservés au parlement de Paris mais contestés par les autres parlements] (III, V et XXI)

4. Les causes des pairs de France [exclusivement réservées au parlement de Paris] (IV)

5. Les érections des duchés, marquisats et comtés [exclusivement réservées au parlement de Paris] et les procès touchant aux droits et revenus leur appartenant et situés dans les ressorts des parlements (VI) 6. Les érections des vicomtés et baronnies et les procès touchant aux droits et revenus leur appartenant

(VII)

7. Les causes commises aux parlements par lettres du roi (IX)

8. Les causes pour lesquelles le procureur général présente une requête afin d’en être la principale partie (X) 9. L’ensemble des causes concernant les affaires d’État (XI)

10. Les causes d’appel comme d’abus (XII)

11. Les causes des consuls des bourses des marchands (XIII) 12. Les causes liées à la navigation sur les rivières (XIV et XXVII) 13. Les crimes commis dans l’enclos des palais (XV)

14. Les permissions pour distraire une cause du ressort d’un parlement (XVI) 15. Les règlements entre les prévôts, baillis, sénéchaux, présidiaux, viguiers (XVIII) 16. La connaissance des lettres de rémission (XIX)

17. La connaissance de la suppression, des arrêts d’un parlement (XX) 18. Les causes des pauvres des hôpitaux (XXII)

19. Les appels des ordonnances des gouverneurs ou lieutenants généraux des provinces et des villes (XXIII) 20. Les règlements des universités et des collèges (XXIV et XXV)

21. Les jugements de noblesse (XXVI)

22. Les députations de magistrats municipaux vers le roi dans les cités où siègent les parlements (XXVIII) 23. Les autorisations des assemblées de ville dans les cités où siègent les parlements (XXIX)

24. Les appels des élections des échevins, capitouls, jurats ou consuls des principales villes du ressort des parlements « comme de chose appartenant & important à l’Estat » (XXX)

25. Les appels des maîtres des postes et passages (XXXI)

26. Les règlements entre les officiers du roi et les provisions des offices de judicature (XXXII et XXXVII) 27. Les causes des provisions des bénéfices appartenant au roi, en raison du patronage royal, et les procès

des églises paroissiales des villes murées (XXXIII, XXXIV, XXXV et XXXVI) 28. La connaissance des crimes de lèse-majesté en première instance (XXXVIII)

29. La connaissance de toutes les condamnations criminelles définitives à la peine capitale, aux mutilations, au bannissement (XXXIX)

30. Les appels des créations de nouveaux offices dans le ressort d’un parlement (XL) 31. La connaissance de la discipline des ordres mendiants (XLI)

32. La connaissance des causes des veuves, orphelins, malades (XLII)

Cau se s dé ba tt ue

s 1. La connaissance du fait des armes dans le ressort des parlements 2. La connaissance des permissions de lever l’impôt

TABLEAU 3–LES MOTIFS DINTERVENTION DES PARLEMENTS DANS LES AFFAIRES PROVINCIALES

Cette liste ne doit en aucun cas être comprise comme une définition arrêtée des champs d’intervention des magistrats95. Davantage, elle doit être lue comme une pièce visant à légitimer les revendications institutionnelles des robes rouges à participer à la politique provinciale. Grâce à l’appui du duc d'Épernon, son auteur avait intégré le parlement de Toulouse en 1583 en tant que président à la chambre des requêtes. Mais sa carrière fut brisée en 1617 à la suite de la publication de son ouvrage consacré aux parlements96. Il fut en effet condamné par ses collègues à un an de suspension d’office pour y avoir relaté « plusieurs faits faux et supposés tendant à la diffamation tant de ce Parlement que des autres Parlements de ce Royaume, et de plusieurs officiers d’iceux vivants et décédés97 ». En raison de cette condamnation, Carole Delprat a pu désigner cet ouvrage comme « une critique radicale de la justice et des juges98 ». Pourtant, lorsqu’il décrit l’autorité des parlements, l’œuvre de La Roche Flavin doit au contraire être comprise comme une entreprise visant à justifier les pouvoirs des magistrats. Alors que, le conflit de juridiction était la forme sous laquelle s’exprimaient les luttes de pouvoir et le débat public au XVIIe siècle, la description donnée par le magistrat toulousain de la juridiction des parlements prend les traits de revendications et d’arguments de controverses99.

En effet, comme le montre le tableau 3, les magistrats revendiquaient le droit d’intervenir dans des champs extrêmement vastes de la vie politique provinciale. Trente-deux causes font l’objet des prétentions des juges à réglementer la société politique en province100. En conséquence, ils devaient faire face à d’autres institutions hostiles à leurs ambitions. Magistrats urbains, officiers inférieurs ou professeurs des universités, mais aussi gouverneurs et lieutenants des provinces et des villes, voyaient souvent d’un mauvais œil ces revendications. Les conflits se réglaient alors tout autant par des affrontements locaux que par des arbitrages devant le conseil du roi. Aussi, pour sa démonstration, le juge toulousain accumule les références à des arrêts des parlements justifiant leurs prétentions. De la même manière, durant les années 1630, les magistrats aixois et bordelais vont produire au conseil les décisions de leurs compagnies afin de légitimer leurs demandes à l’encontre de leurs gouverneurs respectifs ou leurs prétentions à

95 Ibid., p. 1038-1053.

96 Carole Delprat, « Officiers et seigneurs chez Bernard de La Roche Flavin », dans Christophe Blanquie, Michel Cassan, Robert Descimon (dir.), Officiers "moyens" (II), Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n°27, 2001. 97 A.D.H.-G., ms. 147, « Collections et remarques du palais » par Malenfant (greffier du Parlement), ff° 178-181. 98 Carole Delprat, « Savoirs et déboires d'un juriste, Bernard de La Roche Flavin (1552-1627) », Histoire, économie et

société, 2000, 19e année, n°2, p. 183.

99 Jean-Frédéric Schaub, Le Portugal au temps du comte-duc d’Olivares (1621-1640). Le conflit de juridiction comme exercice de la

politique, Madrid, Casa de Velasquez, 2001.

100 Nous avons numéroté de 1 à 32 les causes d’intervention des parlements, mais nous avons choisi de laisser à la suite de chacune des causes, en chiffre romain, les chiffres renvoyant aux articles de La Roche Flavin. On remarque ainsi que pour une cause identique, il justifie les prétentions parlementaires par plusieurs articles différents.

prendre connaissance des élections municipales101. Ainsi, la liste dressée par La Roche Flavin est davantage une représentation des luttes de pouvoir en province qu’une simple description typologique.

Ceci est encore plus net pour deux thèmes que le Toulousain choisit de retrancher ostensiblement de sa démonstration pour les traiter individuellement : l’autorité des parlements « sur les armes & finances ». S’il reconnaît que la première raison de l’établissement des parlements a été pour l’exercice d’une justice souveraine, et non « pour les affaires d’Estat, de la guerre, & des finances » que les rois se sont réservées ou ont délégué aux gouverneurs et lieutenants généraux des villes et des provinces, La Roche Flavin ajoute néanmoins :

« Toutesfois il se lit és registres, que souvent les Parlements s’en sont meslez, pour l’absence, indisposition, minorité, ou permission de nos Roys, ou par la connivence ou dissimulation des gouverneurs, ou pour l’urgente necessité des affaires102 ».

Ainsi, s’appuyant sur divers extraits de registres d’arrêts ou de délibérations produits durant les troubles confessionnels du XVIe siècle, il justifie les prétentions des parlements, particulièrement ceux dont le ressort se trouvait éloigné de la personne du roi. Il évoque de la sorte le cas toulousain dont la « province [est] la plus esloignee de l’ordinaire sejour des Roys pour y avoir recours », ou celui du parlement de Provence qui « à cause de l’esloignement du Roy a de tout temps accoustumé, en l’absence des gouverneurs & lieutenans generaux du Roy, en cas de besoin & necessité, & pour le bien public, & conservation des villes frontières, se mesler des finances, & permettre les impositions ». Le parlement d’Aix revendiquait en effet durant les années 1630 la prise en main du gouvernement de Provence en l’absence de son gouverneur103.

En cas « d’urgente necessité des affaires », les parlements pouvaient ainsi commander à la noblesse militaire, décerner des commissions pour lever des troupes, ordonner des garnisons, fortifier les villes, acheter des armes. De même, « en cas d’extreme necessité », les parlements pouvaient selon eux être en droit d’ordonner des prélèvements fiscaux pour financer les opérations militaires104. Le parlement de Bordeaux revendiquait par ailleurs un droit particulier à prendre connaissance des affaires fiscales, étant jusqu’en 1629 à la fois un Parlement et une Cour des aides, lorsque Louis XIII érigea une Cour des aides à Agen105. Au contraire, les gouverneurs des provinces, ou leurs lieutenants généraux, déniaient aux magistrats le droit d’agir dans des domaines qu’ils considéraient comme réservés. Ces revendications juridictionnelles n’étaient pas

101 B. Méjanes, ms. 973 (952), ff° 156-158, R.S. du 7/2/1634 ; A.N., KK 1216, ff° 273-277, « Coppie de la harangue [au roi] que les depputez du Parlem[en]t de Bordeaux avoient ordre de f[ai]re contre M. d’Espernon », s.l.n.d. (novembre 1637).

102 Bernard de La Roche Flavin, Treize livres des parlemens de France, op. cit., p. 1047.

103 B. Méjanes, ms. 972 (951), f° 42, R.S. du 4/10/1625 ; id., ms. 973 (952), f° 43, R.S. du 30/8/1631 ; id., f° 235, R.S. du 12/4/1635.

104 Bernard de La Roche Flavin, Treize livres des parlemens de France, op. cit., p. 1047-1053.

105 A.M.Bx., FF 7, « Édit de création de la Cour des Aydes de Guyenne. Du mois de décembre mil six cens vingt-neuf ».

anecdotiques. Ce sont ces exigences qui font l’objet d’affrontements violents en province jusqu’à la Fronde. Autant que le droit de remontrance, qui a davantage attiré l’attention de l’historiographie, les robes rouges défendaient farouchement une juridiction qui leur permettait d’agir de manière extensive sur la scène politique provinciale, depuis la réglementation des institutions locales jusqu’à la prise d’armes au nom du roi. Il s’agit en conséquence de comprendre à présent comment s’organisaient et fonctionnaient ces parlements pour affirmer cette juridiction.

III. L’ORGANISATION DES PARLEMENTS ENTRE REGLEMENTS ET LUTTES DE POUVOIR