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LES PARLEMENTS MERIDIONAUX ET LES CADRES DE LA VIE POLITIQUE PROVINCIALE

PARENTELES, CLIENTELES ET GENERATION AUX PARLEMENTS

2. D’un cardinal-ministre à l’autre

En s’attachant à Pierre Séguier, ces magistrats intégraient le dispositif clientélaire mis en place par Richelieu au tournant des années 1630217. Certains d’entre eux jouissaient néanmoins d’une certaine proximité avec le Cardinal qui ne reposait pas exclusivement sur l’intercession du chancelier. Parmi les premiers présidents qui obtinrent leur charge avant l’accession de Richelieu au pouvoir en 1624, les relations avec le ministre furent diverses. En Provence, le premier président d’Oppède fut détaché de la clientèle du duc de Guise par Richelieu qui en fit l’un de ses principaux clients dans la province218. À Toulouse, Gilles Le Mazuyer, qui obtint sa charge en 1615, en partie grâce à sa discrétion lors de l’instruction d’une affaire mettant en cause le maréchal d’Ancre et son épouse, entretint de bons rapports avec le Cardinal219. En 1627, alors que Richelieu devait tenir à Toulouse sur les fonds baptismaux un fils du baron de Faudoas, son cousin, il recommanda le premier président pour prendre sa place220. Quelques mois avant sa mort en 1631, Le Mazuyer recommandait encore ses enfants au ministre221. À Bordeaux, le cas de Marc-Antoine de Gourgues est plus difficile à trancher. Peu de lettres entre les deux hommes ont pu être consultées. Lorsque le premier président décéda en 1628, c’est vers le Cardinal que les siens se tournèrent afin d’obtenir la protection de leurs intérêts, mais de Gourgues n’était sûrement pas client de Richelieu222.

Mais c’est surtout par la suite que le Cardinal put imposer ses propres clients à la tête des compagnies méridionales. Ces premiers présidents semblent ainsi devoir leurs nominations davantage à Richelieu qu’à Séguier, le principal ministre conservant un œil attentif sur ces nominations hautement stratégiques. À Toulouse, Jean de Bertier fut recommandé à Louis XIII directement par Richelieu. Le Cardinal semble avoir connu Bertier au début des années 1620. Ce dernier avait été nommé en 1613 chef du Conseil de la reine Marguerite de Valois dont les biens furent attribués en viager à la reine Marie de Médicis223. Comme chancelier de cette dernière, Richelieu entretint une correspondance avec Bertier au sujet de ces affaires224. Jean de Bertier sollicita par la suite le Cardinal pour la charge de premier président de Toulouse et Richelieu

217 Françoise Hildesheimer, Richelieu, Paris, Flammarion, 2004, p. 321. 218 B. Méjanes, ms. 792 (800), f° 2.

219 Marquis de Chantérac (éd.), Journal de ma vie. Mémoires du maréchal de Bassompierre, t. I, Paris, Jules Renouard, 1870, p. 391.

220 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), Lettres instructions diplomatiques et papiers d'Etat du Cardinal de Richelieu, t. II, Paris, Imprimerie impériale, 1856, p. 516. Lettre du cardinal de Richelieu à Pierre Béraud de Rochechouart, baron de Faudoas, s.l., le 21/7/1627.

221 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. VI, p. 503. Lettre de Gilles Le Mazuyer au cardinal de Richelieu, s.l., le 4/8/1631. 222 Lorsque Marillac évoque son décès à Richelieu, il lui rappelle sa parenté avec le cardinal de Bérulle. Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. III, p. 482. Lettre de Michel de Marillac au cardinal de Richelieu, s.l., le 12/9/1628.

223 A.D.H.-G., 6 J, Fonds Bertier de Pinsaguel, liasse n° 48, f° 31, « Brevet du roi Louis XIII par lequel Sa Majesté permit à Messire Jean de Bertier, sieur de Montrabe et président au parlement de Toulouse d’accepter la charge de chef du Conseil de Marguerite reine de Navarre (27 février 1613) »

accepta de l’appuyer auprès de Louis XIII225. En Provence, Hélie de Laisné en 1633, puis Joseph Dubernet en 1636 furent nommés de la même manière grâce à l’appui du Cardinal226. Hélie de Laisné, qui était alors conseiller d’État, reconnaissait en Richelieu son « bienfaiteur et protecteur » et les autres officiers du Parlement discernaient clairement en lui une créature du Cardinal par qui la compagnie devait passer pour accéder au ministre227. Nommé alors que Châteauneuf était garde des Sceaux, lorsque celui-ci fut disgracié et remplacé par Séguier, Laisné s’empressa d’écrire au Cardinal pour l’assurer de la continuation de ses services228. Son successeur Joseph Dubernet fut recommandé à Richelieu par l’archevêque de Bordeaux, Henri d’Escoubleau de Sourdis, qui était lui-même un client du Cardinal229. Dubernet fut à cette occasion préféré à Henri de Séguiran, un allié des Forbin, qui tenait l’office de premier président à la cour des comptes de Provence et appartenait déjà à la clientèle de Richelieu230. À Bordeaux, Antoine d’Aguesseau obtint pareillement sa charge de premier président grâce au soutien du cardinal de Richelieu. Après le décès de Marc-Antoine de Gourgues le 9 septembre 1628, plusieurs magistrats furent candidats à sa succession. Au sein de la robe bordelaise, la compétition semble avoir été particulièrement rude. Le président Arnaud de Pontac sollicita en sous-main des magistrats pour obtenir la députation vers le roi de son cousin germain le président Sarran de Lalanne, contre le président Jean II Daffis231. En 1630, lorsque circula la rumeur de la nomination de Joseph Dubernet à cette charge, Sarran de Lalanne préféra recommander lui-même le président Jean II Daffis à Richelieu, plutôt que de voir son ennemi personnel obtenir cet honneur232. Le prince de Condé recommanda à Richelieu son propre client, le maître des Requêtes François-Théodore de Nesmond, fils d’un ancien premier président bordelais233. Abel Servien, client de Richelieu et protégé du garde des Sceaux de Châteauneuf, fut finalement pourvu de la charge, mais il s’en sépara avant d’être reçu au Parlement, le Cardinal lui acquérant le poste de secrétaire d’État de la guerre234. Enfin, ce fut Antoine d’Aguesseau qui fut pourvu en 1632, grâce à l’intervention de Richelieu235.

225 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. VI, p. 636 et 717. Lettres de Jean de Bertier au cardinal de Richelieu, s.l., les 29/10 et 12/12/1631 ; id., p. 763. Lettre du cardinal de Richelieu à Jean de Bertier, sieur de Montrabe, Metz, le 29/12/1631. 226 B.n.F., ms. fr. 9354, f° 121. Lettre d’Hélie de Laisné au cardinal de Richelieu, Aix-en-Provence, le 7/3/1633 ; A.N., KK 1216, f° 463. Lettre de Joseph Dubernet au cardinal de Richelieu, Bordeaux, le 16/7/1636.

227 Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance de Richelieu, op. cit., 1632, p. 282. Lettre d’Hélie de Laisné au cardinal de Richelieu, Aix-en-Provence, le 19/6/1632 ; B. Méjanes, ms. 973 (952), ff° 169 v°-170 v°, R.S. du 20/3/1634.

228 B.n.F., ms. fr. 9354, f° 121. Lettre d’Hélie de Laisné au cardinal de Richelieu, Aix-en-Provence, le 7/3/1633. 229 Pierre-Joseph de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, op. cit., t. IV, p. 278.

230 A.A.E., M.D. France, Provence, vol. 1703, f° 351. Lettre d’Henri de Séguiran au cardinal de Richelieu, Aix-en-Provence, le 25/8/1635.

231 A.M.Bx., ms. 787, ff° 138-151, R.S. du 9/11/1628.

232 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. V, p. 71. Lettre de Sarran de Lalanne au cardinal de Richelieu, s.l., le 9/2/1630. 233 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. III, p. 483. Lettres de François-Théodore de Nesmond et d’Henri II de Bourbon-Condé au cardinal de Richelieu, s.l. et Lédergues, le 13/9/1628.

234 B.n.F., ms. fr. 18236, ff° 129-133.

235 A.D.G., 1 B 23, f° 2 ; B.n.F., ms. fr. 9354, f° 77. Lettre d’Antoine d’Aguesseau au cardinal de Richelieu, Bordeaux, le 25/12/1632.

Le Cardinal comptait d’autres clients au sein de la haute magistrature méridionale en dehors de ces premiers présidents. En Provence, le conseiller Louis de Paule était une créature précieuse en raison de ses liens familiaux avec la notabilité marseillaise et arlésienne. Ses beaux-frères étaient Cosme II de Valbelle, « absolu » dans la ville de Marseille, et Gilles de Gays qui fut premier consul d’Arles en 1630236. Sa maison fut pillée durant l’épisode des Cascaveoux et le cardinal de Richelieu le considérait comme l’un de « ses martyrs237 ». Proche du premier président d’Oppède, il sollicita Richelieu après sa mort pour l’obtention de sa charge238. S’il ne put être contenté de la sorte, il obtint l’office de président à mortier de Laurent de Coriolis, déclaré vacant pour forfaiture. À Bordeaux, le président Sarran de Lalanne fut un client du Cardinal. Richelieu lui octroya en 1627 la charge de lieutenant du Grand maître de la Navigation239, faisant de lui son bras droit aux affaires maritimes à Bordeaux240. Cette charge était extrêmement importante pour Richelieu, et nécessitait un homme de confiance. Lorsque Lalanne fut condamné à mort par le parlement de Bordeaux en 1640, sa charge de lieutenant de la marine passa au premier président Antoine d’Aguesseau, un autre de ses clients241, tandis que son office de président à mortier fut supprimé et remplacé par celui octroyé à Jean II de Gourgues de Vayres, surnommé par l’avocat général Thibault de Lavie « le président de monsieur le Cardinal242 ». Thibault de Lavie, par l’intercession du premier président d’Aguesseau, cherchait aussi à devenir un protégé de Richelieu à Bordeaux243. Le conseiller bordelais Jean de Briet fut pareillement un client du principal ministre. Fils de médecin, il semble graviter autour du clan de Gourgues-Lestonnac (les conseillers Ogier de Cursol et Pierre d’Aulède de Lestonnac étaient ses « alliés fort proches244 »), mais surtout homme de services, il semble s’être attaché à des protecteurs successifs245. Il fut ainsi tout d’abord membre du conseil du comte et de la comtesse de Saint-Paul246. S’il semble par la suite appartenir à la clientèle du duc d'Épernon Bernard de Nogaret de La Valette, duc d’ dans les années 1620247, les deux hommes se brouillèrent au tournant des années 1630 – le duc aurait fait

236 B. Méjanes, ms. 792 (800), f° 27.

237 Pierre-Joseph de Haitze, Histoire de la ville d’Aix, op. cit., t. IV, p. 242. Sur l’épisode des Cascaveoux, voir supra chapitre IV.

238 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. VI, p. 94. Lettre de Louis de Paule au cardinal de Richelieu, Avignon, le 18/2/1631. 239 A.D.G., 1B 22, ff° 48-51 et B. de l’Institut de France, Coll. Godefroy, ms. 64, f° 134 ; A.M.Bx., ms. 786, ff° 673-692, R.S. du 26/11/1627.

240 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), op. cit., t. II, p. 721-722. Lettre du cardinal de Richelieu à M. Martin, s.l., le 16/11/1627 ; id., t. III, p. 68-69. Lettre du cardinal de Richelieu à Sarran de Lalanne, s.l., le 1/4/1628 ; Pierre Grillon (éd.), op. cit, t. V, p. 725. Lettre de Sarran de Lalanne au cardinal de Richelieu, Villandraut, le 27/12/1630 ; Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance de Richelieu, inédits : années 1632-1633, publication en ligne, p. 233. Lettre de Sarran de Lalanne au cardinal de Richelieu, Villandraut, le 19/12/1632.

241 A.C., série M, t. XXII, f° 124. Lettre de Joseph d’Andrault à Henri II de Bourbon-Condé, Bordeaux le 28/3/1641.

242 A.N., KK 1215, ff° 344-345. Lettre de Thibault de Lavie au cardinal de Richelieu, Bordeaux, le 5/12/1641. 243 B.n.F., coll. Baluze, ms. 337, f° 264. Lettre d’Antoine d’Aguesseau à Denis Charpentier, Bordeaux, le 28 /5/1640. 244 A.M.Bx, ms 786, f° 421, R.S. du 7/6/1636.

245 Fleury Vindry, Les parlementaires français au XVIe siècle, t. II, Paris, Honoré Champion, 1910, p. 87.

246 A.M.Bx., ms. 786, f° 679, R.S. du 26/11/1627.

247 En 1626, Jean de Briet est exclu des délibérations du Parlement au sujet du duc en raison de sa proximité avec ce dernier (A.M.Bx, ms 786, ff° 283-289, R.S. du 4/12/1626).

bastonner à mort son fils unique248 – et le magistrat intégra la clientèle de la créature de Richelieu à Bordeaux, l’archevêque Henri d’Escoubleau de Sourdis. Sa loyauté politique sembla être récompensée, puisqu’il obtint au début de l’année 1635 un brevet de conseiller d’État venant couronner sa carrière249.

Le Cardinal s’appuya sur ces magistrats dans les affaires parlementaires et provinciales. Les premiers présidents y jouaient un rôle majeur. Par exemple, Richelieu pouvait recommander au premier président d’Oppède en 1627 un procès de Françoise de Saint-Pol, belle-sœur du Grand-maître de Malte Antoine de Paulo, qui était par ailleurs tante de Jean de Bertier de Montrabe250. Ce dernier veilla lui-même aux intérêts de Charles-François Abra de Raconis, l’évêque de Lavaur, que le Cardinal lui avait recommandé251. Les premiers présidents pouvaient aussi secourir le Cardinal dans ses entreprises militaires. En 1627, le premier président de Gourgues fournit à Richelieu des navires pour son entreprise contre l’île de Ré. En 1630, le premier président d’Oppède devait porter des blés aux armées du Cardinal qui s’apprêtaient à envahir la Savoie et organiser des levées de gens d’armes en Provence252. Gilles Le Mazuyer se fit pour sa part le serviteur zélé de la politique du Cardinal hostile aux réformés du Languedoc et Jean de Bertier supervisa pour Richelieu la construction d’un port à Agde253. Le principal ministre compta aussi sur les premiers présidents de Gourgues et Le Mazuyer pour faire vérifier par leurs parlements respectifs les lettres du roi lui attribuant l’office de Grand maître et de surintendant général de la Navigation et Commerce de France254. Durant les années 1630, les hommes qu’il avait placés à la tête des parlements furent mis à contribution par le Cardinal pour assurer l’enregistrement d’édits particulièrement impopulaires parmi les magistrats. Par exemple, Jean de Bertier et Joseph Dubernet font vérifier en 1639 de nombreux édits par leurs compagnies malgré les contestations et selon les ordres de Richelieu255. Mais il semble qu’après l’entrée de Pierre Séguier au Conseil, à qui le Cardinal accorda toute sa confiance, les magistrats durent rendre des comptes essentiellement au garde des Sceaux et moins au principal ministre. Si Richelieu contrôlait les

248 Jean de Gaufreteau, Chronique Bordeloise (1600-1638), t. II, Bordeaux, Charles Lefebvre, 1878, p. 165 et 236.

249 A.D.G., 1 B 23, f° 247, « Brevet de conseiller d’État pour le Sieur de Briet, conseiller au Parlement (11 janvier 1635) ».

250 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), op. cit., t. II, p. 435. Lettre du cardinal de Richelieu à Vincent-Anne de Forbin-Maynier d’Oppède, s.l., le 23/4/1627.

251 B.n.F., coll. Baluze, ms. 333, f° 40. Lettre de Jean de Bertier à Denis Charpentier, Toulouse, le 1/5/1640.

252 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), op. cit., t. II, p. 655. Lettre du cardinal de Richelieu à Marc-Antoine de Gourgues, s.l., le 10/10/1627 ; id., t. III, p. 566. Lettre du cardinal de Richelieu à Vincent-Anne de Forbin-Maynier d’Oppède, s.l., le 7/3/1630 ; Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. V, p. 72, 106 et 122. Lettres de Vincent-Anne de Forbin-Maynier d’Oppède au cardinal de Richelieu, de Salon-de-Provence, les 11/2 et 24/2 et 7/3/1630.

253 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), op. cit., t. III, p. 364-365. Lettre du cardinal de Richelieu à Gilles Le Mazuyer, s.l., le 1/7/1629 ; Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. V, p. 258 et 636. Lettres de Gilles Le Mazuyer au cardinal de Richelieu, L’Isle-Jourdain, les 14/5 et 9/11/1630 ; A.D.H.-G., 6 J, Fonds Bertier de Pinsaguel, liasse n° 15, non folioté, « Mémoire à Monseigneur le premier président sur le port d’Agde […] suivant les intentions du Roy et de son éminence ».

254 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. II, p. 184. Lettre du cardinal de Richelieu à Marc-Antoine de Gourgues, s.l., 16/5/1627 ; id., t. V, p. 636. Lettre de Gilles Le Mazuyer au cardinal de Richelieu, L’Isle-Jourdain, le 9/11/1630. 255 A.D.H.-G., ms. 148, « Collections et remarques du palais » par Malenfant (greffier du Parlement), ff° 179-202 ; A.A.E., M.D. France, Provence, vol. 1706, f° 291. Lettre de Joseph Dubernet à Richelieu, s.l., le 18 /10/1639.

nominations aux principales charges, il laissait à Séguier la responsabilité de la gestion politique quotidienne de la magistrature provinciale256.

En retour, ces magistrats pouvaient avoir recours à la protection et au patronage de Richelieu. Les demandes d’intervention les plus fréquentes semblent concerner les démêlés qu’ils avaient avec les gouverneurs provinciaux. Le premier président d’Oppède fit appel à lui contre le duc de Guise, mais aussi contre la Cour des comptes de Provence257. Le conseiller Jean de Briet recourut à la protection du Cardinal après avoir été attaqué par les hommes du duc d'Épernon258. Le premier président d’Aguesseau suivit la même démarche contre le marquis de Sourdis qui était alors commandant des armées du roi dans la province259. La protection du Cardinal n’était néanmoins pas illimitée et les magistrats pouvaient voir leurs illusions s’envoler face aux impératifs politiques poursuivis par Richelieu. Malgré ses sollicitations, Joseph Dubernet fut destitué de sa charge de premier président de Provence en 1642, à la demande répétée du comte d'Alais et bien que Richelieu y soit apparu particulièrement réticent260. Le Cardinal refusa sa protection au président de Lalanne en 1640 après sa condamnation par le parlement de Bordeaux, sans doute en raison de l’attention particulière que portait le prince de Condé à cette affaire261. Ainsi, Richelieu n’était pas prêt à sacrifier son alliance avec le prince de Condé et son neveu le comte d'Alais pour prendre la défense de deux membres, par ailleurs éminents, de la magistrature provinciale. Enfin, comme clients du Cardinal, ils pouvaient recourir à son patronage pour distribuer à leur tour des faveurs à leurs propres alliés. Par exemple, les premiers présidents d’Oppède et Bertier eurent recours à lui afin d’obtenir des bénéfices ecclésiastiques, le premier pour son fils, le second pour son frère262. Le premier président de Laisné recommanda au Cardinal en 1632 Pierre de Porcellets, sieur d’Ubaye, qui fut pourvu d’une charge d’avocat général au parlement de Provence263. Le premier président de Bertier obtint de Richelieu la nomination de Pierre Bourdes au capitoulat de Toulouse en 1633264. Mais ici aussi, l’appel au Cardinal semble

256 Françoise Hildesheimer, « Richelieu et Séguier… », op. cit., p. 222.

257 Denis-Louis-Martial Avenel (éd.), op. cit., t. II, p. 474. Lettre du cardinal de Richelieu à Vincent-Anne de Maynier d’Oppède, s.l., le 20/6/1627 ; Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. IV., p. 581. Lettre de Vincent-Anne de Forbin-Maynier d’Oppède au cardinal de Richelieu, Lédergues, le 13/9/1629.

258 A.N., KK 1216, f° 449. Lettre de Jean de Briet au cardinal de Richelieu , Bordeaux le 8 /6/1636.

259 A.N., KK 1215, ff° 375-376. Lettre d’Antoine d’Aguesseau au cardinal de Richelieu, Bordeaux le 19/8/1641. 260 A.A.E., M.D. France, Provence, vol. 1708, f° 73. Lettre Louis-Emmanuel de Valois, comte d'Alais, à Léon Bouthillier, comte de Chavigny, Aix-en-Provence, le 14/5/1642 ; id., vol. 1709, ff° 196 v°-197. Minute d’une lettre de Léon Bouthillier, comte de Chavigny, à Louis-Emmanuel de Valois, comte d'Alais, Paris, le 18/11/1644.

261 Jean-Claude Huguet, « Le livre de raison du président Sarran de Lalanne. Introduction, édition et notes », Les cahiers du Bazadais, n° 160, mars 2008, p. 19 ; A.C., série N, t. XXIII, f° 11. Duplicata d’une lettre de Joseph d’Andrault à Henri II de Bourbon-Condé, Bordeaux le 26/1/1640.

262 Pierre Grillon (éd.), op. cit., t. V, p. 389. Lettre de Vincent-Anne de Forbin-Maynier d’Oppède au cardinal de Richelieu, Salon-de-Provence, le 12/7/1630 ; Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), Le cardinal de Richelieu à la

conquête de la Lorraine. Correspondance, 1633, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 603. Lettre de Jean de Bertier au cardinal de

Richelieu, Toulouse, le 9/10/1633.

263 Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), La correspondance de Richelieu, op. cit., 1632, p. 282. Lettre d’Hélie de Laisné au cardinal de Richelieu, Aix-en-Provence, le 19/6/1632.

264 Marie-Catherine Vignal Souleyreau (éd.), Le cardinal de Richelieu…, 1633, op. cit., p. 101. Lettre de Jean de Bertier au cardinal de Richelieu, Toulouse, le 22/2/1633.

somme toute assez limité, ou plutôt médiatisé par le chancelier Séguier qui recevait la plupart des demandes.

À la mort de Richelieu en 1642, ses clients s’empressèrent d’écrire à Denis Charpentier, son secrétaire. Parmi eux, Jean de Bertier disait vouloir « mesler [ses] larmes avec les [siennes]265 ». Joseph Dubernet, alors exilé à Bourges et malgré sa disgrâce, déplorait la « grande perte […] d’un homme [que Dieu] avoit rendu si adorable266 ». Au-delà du chagrin, peut-être sincère, de ces hommes, se jouait en réalité la question du maintien d’un dispositif clientélaire après le décès de son patron. Si Louis XIII renouvela sa confiance aux créatures de Richelieu au sein du Conseil en même temps qu’il y annonçait l’entrée de Mazarin267, la situation pouvait paraître incertaine dans les rangs de la magistrature provinciale. Le nouveau Cardinal-ministre courtisa diversement les anciens clients de Richelieu tout en établissant ses propres fidèles. À Toulouse, le premier président de Bertier fut l’objet principal de ses attentions jusqu’à la Fronde. Le Cardinal utilisa Jean de Bertier durant les premières années de la régence pour contrôler les élections des capitouls de Toulouse, lui recommander ses intérêts dans les affaires languedociennes et se servit de lui dans les entreprises militaires en Catalogne268. Jean de Bertier chercha de son côté la protection du Cardinal pour maintenir son autorité dans les affaires de la ville de Toulouse269. Mazarin chercha par ailleurs à s’attacher les services du coadjuteur de Montauban, Pierre de Bertier, fils d’un cousin germain du premier président de Toulouse270. Dans un de ses longs mémoires sur les affaires languedociennes, l’intendant Jean-Baptiste Baltazar assurait Mazarin de la fiabilité du premier président271. Mais après la nomination de Gaston d’Orléans au gouvernement du Languedoc en 1644, la correspondance entre le principal ministre et le premier président semble se faire plus rare. Nous remarquons de même que l’attitude de Jean de Bertier durant la Fronde se caractérisa par la recherche du plus offrant parmi les différentes factions curiales, cherchant à assurer les intérêts de son clan en obtenant la nomination de son fils ou de