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LES PARLEMENTS MERIDIONAUX ET LES CADRES DE LA VIE POLITIQUE PROVINCIALE

TROIS INSTITUTIONS PROVINCIALES DES ANNEES CARDINALES

2. Conseiller le roi

Cependant, le pouvoir des magistrats ne se réduisait pas au seul exercice de la justice. Comme le rappelait la revendication du Toulousain Bernard de La Roche Flavin « les parlemens n’ont [pas] esté seulement establis pour le jugement des affaires & procez entre parties privées, mais ils ont esté aussi destinez pour les affaires publiques, & vérification des Edicts80 ». Une position qui était en réalité hautement controversée au XVIIe siècle. Quinze années après la première édition de son ouvrage, Louis XIII semblait lui répondre en 1632 lorsqu’il déchargea sa colère contre les officiers du parlement de Paris en s’écriant : « Vous n’êtes établis que pour juger entre maître Pierre et maître Jean, et si vous continuez vos entreprises, je vous rognerai les ongles de si près qu’il vous en cuira81 ». L’expression est si saisissante qu’elle semble être passée dans le langage courant. Lorsque Furetière définit le terme rogner en 1690, il écrit : « Se dit figurément en choses spirituelles & morales. On a bien retranché de l’autorité, du pouvoir des Parlements, on leur a rogné les ongles, les ailes de bien près82 ». Pour les contemporains, une part importante de la puissance des parlements résidait dans cette activité de vérification des édits royaux.

Les procédures suivies sont relativement proches dans les parlements de Toulouse, Bordeaux et Aix. Après avoir été contrôlé par le chancelier, qui y apposait le grand sceau en tant que chef de la justice, chaque édit devait être envoyé aux parlements où ils devaient être vérifiés. Pour les parlements de Toulouse et d’Aix, les édits étaient directement expédiés aux procureurs généraux des deux cours. Concernant la cour bordelaise, il semble que les actes royaux étaient tout d’abord expédiés au premier président, qui les remettait lui-même aux mains du procureur

77 A.D.H.-G., ms. 149, « Collections et remarques du palais » par Malenfant (greffier du Parlement), ff° 248-250. 78 Bernard de La Roche Flavin, Treize livres des parlemens de France, op. cit., p. 1037-1038.

79 Michael P. Breen, « Patronage, Politics, and the "Rule of Law" in Early Modern France », Proceedings of the Western

Society for French History, n° 33, 2005, p. 101.

80 Bernard de La Roche Flavin, Treize livres des parlemens de France, op. cit., p. 920.

81 Cité par Françoise Hildesheimer, « Richelieu et Séguier ou l’invention d’une créature », op. cit., p. 218 et Lauriane Kadlec, Quand le Parlement de Paris s’oppose à l’autorité royale. L’affaire de la chambre de justice de l’Arsenal (14 juin 1631- mars

1632), Paris, Honoré Champion, 2007, p. 72.

général. Le premier président ordonnait subséquemment une assemblée des chambres du Parlement. Le procureur général y rendait ses conclusions par écrit, en principe incitant à l’enregistrement pur et simple de l’acte royal, en même temps qu’il déposait sur le bureau les lettres en forme d’édit. Un rapporteur était alors désigné par la cour. Celui-ci devait être le doyen ou le plus ancien conseiller présent83. Il s’agissait de choisir, parmi les magistrats les plus aguerris, celui qui devait faire la lecture de l’acte législatif. Les débats se déroulaient alors à huis clos. Après que le rapporteur ait fait son office, les magistrats confrontaient le nouvel édit aux textes qui avaient déjà été vérifiés et approuvés par le Parlement. Il s’agissait de s’assurer de la compatibilité du nouveau texte avec les autres édits et ordonnances déjà vérifiés par les cours souveraines. Le premier président prenait ensuite les opinions des magistrats par ordre d’ancienneté. Une fois l’acte royal approuvé, le premier président proclamait le résultat et le greffier lisait l’arrêt d’enregistrement. L’édit était alors transcrit dans le registre de la cour, puis publié à l’audience et aux carrefours de la ville. Par ailleurs, le procureur général devait se charger d’expédier l’acte royal, avec l’arrêt d’enregistrement de la cour, à ses substituts aux sièges des sénéchaussées du ressort, afin qu’il y soit fait une lecture et une publication identique84. Sous Louis XIII, l’enregistrement est ainsi un préalable à l’exécution.

Mais si les magistrats se trouvaient en désaccord avec la forme ou le contenu de l’acte royal, ceux-ci pouvaient refuser sa vérification et décider de « très humbles remontrances et supplications » ou de le vérifier partiellement en modifiant certaines modalités d’application « sous le bon plaisir du roi ». Le roi et son conseil pouvaient alors modifier l’édit en fonction des remarques des magistrats. Surtout, le pouvoir royal pouvait les ignorer et ordonner l’enregistrement par lettre de jussion. Il s’agissait de lettres expédiées par le chancelier portant un commandement exprès aux parlements de vérifier l’acte royal. Ces derniers pouvaient alors réitérer leurs remontrances et le roi expédier de nouvelles lettres de jussion. En dernière instance, face aux velléités du parlement de Paris et pour mettre fin aux débats, Louis XIII eut recours au lit de justice faisant de sa Grand' Chambre « une sorte de salle du trône de 1616 à 164185 », qui lui permit d’imposer sa volonté aux magistrats parisiens. Néanmoins, la situation était tout à fait différente dans les parlements du sud du royaume. En effet, le roi ne pouvait siéger avec autant d’assiduité sur les fleurs de lys de ces parlements. S’il tient à Bordeaux deux lits de justice, en décembre 1615 et en septembre 1620, il en est empêché en novembre 1621 par le parlement de Toulouse, n’y ayant ni chancelier, ni garde des sceaux, pour y présider86. De même, lorsqu’il se

83 Louis Wolff, Le parlement de Provence au XVIIIe siècle, Aix, Niel, 1920, p. 206.

84 A.M.Bx., ms. 785, f° 1000, R.S. du 23/5/1626.

85 Sarah Hanley, « L’idéologie constitutionnelle en France : le lit de justice », Annales, E.S.C., 37e année, n°1, 1982, p. 44.

86 A.M.Bx., ms. 784, ff° 171-194, R.S. du 10/12/1615 et Jules Delpit (éd.), Chronique d’Étienne de Cruseau (1605-1616), t. II, Bordeaux, Imprimerie G. Gounouilhou, 1881, p. 219-225 ; A.M.Bx., ms. 784, ff° 1008-1027, R.S. du

rend à Aix en décembre 1622, s’il est visité par les membres du Parlement, il ne se rend pas au palais87. Surtout, durant les années 1630 et 1640, l’autorité royale n’eut jamais recours au lit de justice dans ces parlements provinciaux, l’obligeant à développer d’autres méthodes pour contraindre ses juges.

Ce mécanisme de vérification des textes royaux par les parlements leur conférait donc un véritable rôle politique, une capacité d’intervention au sein de l’État royal, en les associant à l’exécution juridique des desseins du souverain. Les magistrats expliquaient cette compétence par la nécessité pour le monarque de leur soumettre ses volontés afin d’obtenir l’obéissance de ses sujets. Bernard de La Roche Flavin expliquait ainsi que « la première & principale authorité desdits Parlements, c’est de vérifier les ordonnances & edicts du roy : & telle est la loy du Royaume », ajoutant

« [qu’]on ne les tient pour edicts & ordonnances, s’ils ne sont verifiés aux cours souveraines, & par la libre deliberation d’icelles. Qui est un vray moyen pour asseurer l’Estat de la Monarchie, quand le peuple cognoist que le Prince ne veut rien ordonner & establir, que par l’advis & authorité de ses cours souveraines. D’autant que par telle maniere, il se rend plus amiable au peuple, & le peuple plus obeyssant à ses edicts, les voyant estre verifiés sans difficulté, sans exprès commandemens, & sans modifications & restrinctions. Ainsi, les Roys amateurs de leur Estat l’ont toujours très prudemment & religieusement observé88 ».

Le magistrat toulousain se faisait ainsi le reflet d’une idéologie parlementaire qui défendait la participation des juges à la production de la loi en tant que conseillers du roi. Comme l’a bien montré Joël Cornette, celle-ci s’affirme d’autant plus durant les années 1630 et 1640 qu’elle est contestée89. En effet, pour Louis XIII, Richelieu, leurs affidés et leurs continuateurs, la conduite de l’État ne pouvait s’embarrasser des prétentions des magistrats. Cardin Le Bret, rédacteur, selon l’heureuse formule de Richard Bonney, du « manuel de gouvernement du temps de Richelieu et de Mazarin90 », écrivait ainsi : « J’ose dire que la resistance qu’on feroit à vérifier [les édits que le roi envoie aux parlements] seroit une pure désobéissance91 ». Le cardinal de Richelieu lui-même, dans son Testament politique, souhaitait « restraindre les officiers de justice à ne se mêler que de la rendre aux sujets du roi, qui est la seule fin de leur établissement92 ». Le chroniqueur bordelais Jean de Gaufreteau l’éprouvait bien lorsqu’il notait en 1637 : « nous sommes au temps qu’il ne fault point faire de remonstrance, ni poiser et considerer si ce qu’on commande est juste ou injuste93 ». Aussi les prétentions des robes rouges, autant que les méthodes gouvernementales,

28/09/1620 ; A.D.H.-G., ms. 147, « Collections et remarques du palais » par Malenfant (greffier du Parlement), ff° 238-239 et M. Perrier (copiste), Histoire du Parlement de Toulouse, t. III (1589-1643), 1877, ff° 379-380.

87 Honoré Bouche, L’histoire chronologique de Provence, t. II, Aix, Charles David, 1664, p. 866 ; Jean-Scholastique Pitton,

Histoire de la ville d'Aix, Aix, Charles David, 1666, p. 371-372.

88 Bernard de La Roche Flavin, Treize livres des parlemens de France, op. cit., p. 921.

89 Joël Cornette, La mélancolie du pouvoir. Omer Talon et le procès de la raison d’État, Paris, Fayard, p. 268-276. 90 Richard Bonney, Political Change in France under Richelieu and Mazarin, op. cit., p. 115.

91 Cardin Lebret, De la souveraineté du Roy, Paris, Jacques Quesnel, 1632, Livre II, Chapitre VI, p. 195.

92 Armand Jean du Plessis, cardinal duc de Richelieu, Testament politique, Amsterdam, Henri Desbordes, 1688, p. 191. 93 Jean de Gaufreteau, Chronique Bordeloise (1600-1638), t. II, Bordeaux, Charles Lefebvre, 1878, p. 237.

étaient source de conflit et d’opposition avec l’autorité royale. Par leurs revendications, les parlementaires jouaient ainsi un rôle incontournable dans la vie politique provinciale et dans le fonctionnement de l’État royal.