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Retour sur la notion de « situation coloniale »

La connaissance de l’Autre : état des lieux

DEUXIEME CHAPITRE : Approches du réel

B) Georges Balandier et le souci de l’utilité scientifique

1) Retour sur la notion de « situation coloniale »

Ruptures ?

Il peut être tentant de lire la « situation coloniale » comme étant un lieu de ruptures ; rupture épistémologique accompagnée d’une rupture dans la manière de percevoir l’entreprise coloniale. La politique de table rase que toute entreprise de rupture implique, ne semble cependant pas être la principale caractéristique du travail de Georges Balandier. Ce qui frappe davantage − et cela reste visible dans le texte remanié

en 19551− est le travail de dépouillement critique auquel se livre l’auteur. Il procède en effet par un dépouillement systématique des travaux jusque là consacrés à l’entreprise coloniale, aux contacts de cultures. S’il en pointe les limites, il ne manque pas d’en reconnaître d’abord les apports. De la sorte, il retient ce que ces travaux peuvent contenir d’outils opérationnels.

Il en est par exemple ainsi du constat qui veut que majorité numérique et majorité sociologique ne se confondent pas. La première relève de la simple statistique, la seconde est liée à la détention du pouvoir. Un groupe même minoritaire, dès lors qu’il a l’initiative du pouvoir, constitue la majorité sociologique :

« Il [Louis Wirth] donne l’exemple des Noirs vivant dans le Sud des Etats-Unis qui sont, dans certains Etats numériquement majoritaires et n’en constituent pas moins une minorité "en tant que sociologiquement, politiquement et économiquement subordonnés"2. »

De la même manière, Georges Balandier observe avec Octave Mannoni que le racisme n’est pas un « phénomène primaire spontané » mais qu’il se manifeste essentiellement lorsqu’une situation de crise oppose deux groupes, lorsque le colonisé « à l’air de s’émanciper de sa dépendance3 ». La remarque met en avant l’interprétation dynamiste des phénomènes sociaux contre toute interprétation mécaniste. A Bronislaw Malinowski, Georges Balandier reconnaît le mérite d’avoir défini la notion de « situation de contact », rendant entre autres, caduque l’idée d’une société indigène restée figée.

Ces quelques exemples suffisent à illustrer les apports des travaux antérieurs à la notion de « situation coloniale ». Ils mettent également en évidence la nécessité d’une pluridisciplinarité dans la mesure où interviennent tantôt la sociologie, tantôt la psychologie, tantôt l’anthropologie.

Georges Balandier ne se contente pas de mesurer la portée de ces travaux. Il sait également en reconnaître les limites. Il refuse ainsi de faire sienne la notion de « complexe de dépendance » développée par Octave Mannoni. Il note également que si Louis Wirth saisit l’importance qu’il y a à ne pas confondre majorité numérique et

1 Georges Balandier publie un premier texte en 1951. Georges Balandier, « La situation coloniale : approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, XI, 1951, p. 44-79. Le texte est ensuite remanié pour être intégré dans Sociologie actuelle de l’Afrique noire, [1955], Paris, PUF, 1982.

2 Georges Balandier, op. cit., 1982, p. 16-17. Il cite Louis Wirth, « The problem of minority groups » in The science of man in world crisis, p. 347-372.

3 Ibidem, p. 29. Georges Balandier cite Octave Mannoni, Psychologie de la colonisation, Paris, Seuil, 1950.

majorité sociologique, il échoue en revanche à mesurer la complexité des rapports qui lient dominants et dominés :

« L. Wirth a porté cependant un jugement bien simpliste lorsqu’il affirma, que dans le cas des situations coloniales, "le groupe dominant peut maintenir sa position supérieure en faisant jouer la machine militaire et administrative" ; tant la disproportion des civilisations matérielles est énorme ! Il n’a même pas entrevu la vigueur des décolonisations en gestation1. »

Ce sont surtout les travaux de Malinowski qui appellent le plus de réserves. Georges Balandier reproche à cet auteur de ne pas exploiter suffisamment la notion de « situation de contact », limité qu’il est par sa volonté de ne pas voir ses travaux lus comme étant une critique de l’entreprise coloniale. Malinowski échoue ainsi à mobiliser l’historicité des sociétés mises en contact, considérant trop rapidement que l’histoire précoloniale ne peut être véritablement connue. Ce faisant, il ne voit pas que malgré la paix coloniale, les anciennes rivalités continuent de jouer sous des formes autres que militaires et sont manipulées par le pouvoir colonial. Par ailleurs, bien qu’il reconnaisse que la société coloniale ne diffuse sa culture que de manière sélective, Malinowski échoue dans son interprétation du changement culturel. Il entend distinguer trois réalités culturelles : la culture coloniale, la culture africaine, la culture issue du contact des deux premières. Cette catégorisation, parce que trop schématique, le conduit à ne pas prendre suffisamment en considération les dynamismes, les forces transformatrices et conflictuelles mises en œuvre à l’occasion du contact. Son erreur est de penser pouvoir travailler sur chacune des trois cultures prises séparément :

« Bien qu’il reconnaisse que ces trois "ordres" culturels sont interdépendants, il établit une coupure, décrivant et traitant chacun d’eux d’une manière séparée, que ne justifie pas l’observation des faits2. »

Cette manière de procéder empêche donc Malinowski de percevoir ce qu’est réellement la situation coloniale à savoir le résultat d’un contact de civilisations dans les conditions particulières de l’entreprise coloniale. La situation coloniale résulte en effet d’une situation de crise qui doit être interprétée en considérant la globalité de ce que la domination coloniale implique : processus de justification, manipulations, processus de résistance et de contournement de la part du dominé, rôle des histoires… Ainsi

1 Ibidem, p. 18. 2

théorisée, la « situation coloniale » permet de mettre en évidence le dynamisme des faits sociaux. Elle permet en outre de relever des outils dont l’utilité scientifique dans l’appréhension du réel n’est pas négligeable. Il s’agit de l’historicité, du dynamisme, de l’actuel, de la globalité… Ne pas mobiliser ces outils, revient à prendre le risque de mal interpréter les réalités coloniales.

En ce sens, il peut être permis de parler de rupture épistémologique dans la mesure où l’utilisation de ces outils est neuve et s’inscrit en opposition aux habitudes épistémologiques :

« La théorisation de la situation coloniale, la réception du texte qui le propose, signalent une rupture épistémologique qui a été propice à la manifestation des anthropologies critiques ultérieures. Elle détache de l’interprétation mécaniste de phénomènes rassemblés sous la rubrique de "l’acculturation", tout autant que des thèses d’une ethnologie attachée à l’idée de primitivisme intemporel1. »

Il semble cependant que ce qui est le plus important c’est le travail de dépouillement critique qui a conduit à la théorisation de la notion de « situation coloniale ». En outre, ce travail, lorsqu’il est analysé, met en évidence tout un réseau de filiations qui affaiblit le constat de rupture. Il s’agit de ne pas mésestimer les apports d’auteurs tels que Malinowski ou encore Mannoni, sans les « égarements » desquels, la théorisation de la « situation coloniale » eut été difficile. Il s’agit également de rendre hommage à des chercheurs qui comme Marcel Mauss et Georges Gurvitch ont recommandé l’usage de la pluridisciplinarité et la recherche de la globalité sociale :

« En Sorbonne, la sociologie est alors sous l’influence de Georges Gurvitch, qui vient d’être l’initiateur de la réédition des écrits majeurs de Marcel Mauss. De l’un à l’autre, une même inspiration chemine : au "phénomène social total" de l’un répond le social considéré en tous ses "paliers" de l’autre, au refus du social "cadavérisé" de l’un correspond l’"effervescence" du social, le dynamisme de construction / déconstruction de l’autre2. »

Un phénomène de filiations similaire apparaît dès lors qu’est considérée, la position politique qui a sans doute motivé le travail de Georges Balandier à savoir son engagement anti-colonialiste. Il a été vu comment la position de Malinowski a pu se traduire par un manque d’audace scientifique. Rien de tel en ce qui concerne Georges Balandier qui choisit d’alimenter l’anti-colonialisme grandissant surtout après la seconde guerre mondiale. Cette prise de position n’est sans doute pas étrangère au fait

1 Georges Balandier, Civilisés, dit-on, Paris, PUF, 2003, p. 155. 2

que la « situation coloniale » est une invitation à percevoir l’entreprise d’instrumentalisation qui est à l’œuvre ; ni non plus à la manière dont la « situation coloniale » se voulait être un outil à forte utilité scientifique dans l’appréhension du fait colonial.

La « situation coloniale », une notion dépassée ?

La question de l’efficacité de la notion de « situation coloniale » dans l’interrogation des réalités nouvelles, marquées notamment par la mondialisation, n’est pas neuve. Elle a été déjà posée par Jean Copans et par Georges Balandier lui-même. Avant d’aborder l’analyse de leurs argumentaires respectifs, il convient d’abord de s’arrêter sur une évidence. La notion de « situation coloniale » est loin d’être dépassée dans la mesure où l’étude de la période coloniale n’est pas fermée. C’est d’ailleurs par ce constat qu’Emmanuelle Saada ouvre le volume CX des Cahiers internationaux de sociologie consacré à Georges Balandier :

« Depuis quelques années, on peut constater, particulièrement sur le terrain des sciences sociales, un regain d’intérêt, de part et d’autre de l’Atlantique, pour la question coloniale1. »

La période coloniale est loin d’être un domaine délaissé. Bon nombre de tentatives d’appréhension des crises africaines nécessitent qu’elle soit questionnée. Cela est particulièrement visible dès lors qu’il est question du Rwanda. L’on ne peut alors que regretter que cette interrogation ne mobilise pas la notion de « situation coloniale ». Une telle mobilisation, si elle avait lieu, disqualifierait systématiquement les écrits des Lugan et autres Debré.

L’épisode colonial intervient donc doublement dans la période contemporaine : en tant qu’objet d’étude et à travers les séquelles qu’elle a pu laisser et qui informent encore le réel. C’est sur ce deuxième aspect que Georges Balandier insiste lorsqu’il se pose la question de l’actualité de la notion de « situation coloniale » :

1 Emmanuelle Saada, « La "situation coloniale" vue d’ailleurs : regards croisés transatlantiques », p. 5, Cahiers internationaux de sociologie, vol CX, Paris, PUF, 2001, p. 5-7.

« Il faut partir de la constatation que le "postcolonial" n’est pas l’effacement du "colonial", mais seulement de ses formes les plus apparentes. Il maintient des vastes espaces d’influences, de domination indirecte, en utilisant des solidarités issues du temps des colonies mais dont les partenaires et la nature ont changé1. »

Il est donc indispensable d’interroger les survivances du système colonial en s’appuyant sur les outils qui procèdent de la « situation coloniale » :

« Dans les pays en situation postcoloniale, l’attention doit se porter sur ce qui est inscription maintenue, transmission, intérêt préservé, sur ce qui révèle l’effet retard de l’ancienne situation2. »

Fait nouveau, la « situation coloniale » est également utile, selon Georges Balandier, dans la lecture de l’actuel tel qu’il se réalise dans les pays dominants. Ils sont le lieu de mutations qui introduisent des espaces internes nouveaux et qui doivent être explorés :

« Les nouvelles capacités technologiques font de chacun des domaines où elles s’exercent domaines du vivant et des ingénieries associées, de l’informatique et des automates, de la communication et des réseaux, du virtuel et du techno-imaginaire des nouveaux Nouveaux Mondes où s’établissent des sortes de "colonisation du dedans"3. »

Ces nouveaux Nouveaux Mondes qui sont l’objet des derniers travaux de Georges Balandier4, tiennent lieu et place des territoires géographiques de l’Ailleurs, naguère explorés par l’ethnologie. En cela, ils méritent l’attention du chercheur. Georges Balandier entend donc que la « situation coloniale » aide à leur exploration. Il est toutefois regrettable qu’il ne s’explique pas clairement, du moins dans le texte qui pose la question de l’actualité de la notion, sur les modalités de son utilisation dans la lecture de ces nouveaux Nouveaux Mondes. Il peut tout juste être permis de supposer qu’il appelle à une utilisation des outils qui procèdent de la notion, parmi lesquels figure le souci de l’actuel. Souci de l’actuel qui dans ce cas précis de l’interrogation des nouveaux Nouveaux Mondes, doit être complété par un souci de l’inédit. Pour Georges Balandier, le chercheur, en même temps qu’il considère l’actuel, ne doit pas perdre de vue ce fait nouveau que les dynamismes sociaux sont désormais marqués par l’inédit. Il avance une métaphore de la société vue comme étant un chantier où « s’effectue un

1 Georges Balandier, op. cit., 2003, p. 158. 2 Idem.

3 Ibidem, p. 159. 4

travail constant de recherches des formes nouvelles à donner au lien social1 ». Ce chantier, donne lieu à un défi :

« Il [le défi] résulte de l’irruption de l’inédit dans tous les domaines, principalement ceux à partir desquels opèrent les technosciences et les technologies de l’intelligence et de la communication. L’inédit est par nature un inconnu ou presque. […] l’exploration des territoires de l’inédit, de ces nouveaux Nouveaux Mondes qui naissent de sa multiplication, en devient d’autant plus urgente2. »

Il apparaît ainsi que malgré la métaphore d’une "colonisation du dedans", l’objet que sont les nouveaux Nouveaux Mondes, s’il doit être lu à travers la notion de « situation coloniale », demande cependant qu’elle soit réactualisée et qu’elle intègre de nouveaux outils.

La notion est donc loin d’être obsolète. Elle peut être utile dans l’appréhension de la réalité contemporaine marquée par le contexte de la mondialisation et de la « surmodernité ».

Il peut être également intéressant de chercher à voir si le travail de dépouillement critique qui a conduit à la théorisation de la notion peut être applicable à d’autres domaines, s’il n’était pertinent que dans le seul contexte de la période coloniale.

L’anthropologie politique telle que définie par Georges Balandier est sans doute redevable à un travail similaire. La section consacrée aux « méthodes et tendances de l’anthropologie politique »3, autorise par exemple, à penser ainsi :

« Ces méthodes se caractérisent par les instruments auxquels elles recourent, par les problèmes auxquels elles sont appliquées. […] Il convient d’établir un inventaire sommaire de ces méthodes, avant d’évaluer leur efficacité scientifique dans la reconnaissance du champ politique4. »

Suit une analyse succincte des différentes démarches, qui se sont proposées l’étude du politique : démarches génétique, fonctionnaliste, structuraliste, dynamiste…

En réalité, le travail de dépouillement préliminaire à la définition de l’anthropologie politique telle que la conçoit Georges Balandier, s’inscrit dans la prolongation de celui qui a conduit à la théorisation de la « situation coloniale ». Il ne

1 Ibidem, p. 229. 2 Ibidem, p. 229-230.

3 Georges Balandier, Anthropologie politique, [1967] Paris, PUF, 1984, p. 18-27. 4

s’agit pas seulement de démontrer les faiblesses des anciennes méthodes pour mieux les rejeter :

« Enfin, le texte semblait congédier l’ethnologie et son extension, l’anthropologie, pour leur substituer une sociologie actuelle dont les implications politiques étaient rendues manifestes. Il est en réalité à l’origine d’une nouvelle anthropologie politique1… »

De fait, l’exemple de l’anthropologie politique ne suffit pas à affirmer l’efficacité du travail de dépouillement critique appliqué à d’autres domaines. Un autre exemple s’avère nécessaire. Il peut être trouvé dans les travaux de Bernard Mouralis. Il semble en effet que ce dernier se livre à un travail similaire lorsqu’il se propose de définir la spécificité de la littérature négro-africaine d’expression française2. Il s’attarde ainsi d’abord sur l’examen des différents critères par lesquels cette littérature a, jusque là, été définie, à savoir les critères linguistique, culturel et idéologique. Il en note respectivement la « portée et les limites ». Ce faisant, il s’aperçoit que la spécificité de la littérature africaine ne peut être véritablement approchée qu’à condition de compléter les portées et de dépasser les limites de ces critères en considérant le « réseau des textes » au milieu desquels cette littérature évolue. Ce réseau de textes pris en compte, il devient intéressant d’analyser la manière dont ils influent sur le travail de l’écrivain africain :

« L’écrivain africain d’expression française se trouve ainsi pris dans ce réseau de textes qui constitue dès lors son horizon littéraire. En prenant la décision d’écrire, il est nécessairement confronté à tous ces autres textes d’origine européenne ou d’origine africaine et il doit désormais se situer par rapport à eux. Quels éléments va-t-il leur emprunter ? Quels sont ceux, au contraire, qu’il s’efforcera de modifier ? Comment va-t-il parler de l’Afrique et des Africains ? Quelle vision en donnera-t-il ?

Tels sont les problèmes concrets qui se poseront à lui et qui vont déterminer l’orientation de ce que nous appellerons maintenant le travail de l’écrivain3. »

Ce travail de l’écrivain se révèlera être caractérisé par un discours sur la littérature qui accompagne le discours fictionnel et entend dire ce que doit être la littérature africaine :

« Les écrivains africains ne se contentent pas seulement en effet de produire des textes de fiction poésie, roman, théâtre, ils doublent constamment ces textes de fiction d’un discours critique dont la fonction principale n’est pas de prendre position sur des problèmes d’esthétique littéraire et les implications de l’écriture mais de dire ce que doit être la

1 Georges Balandier, op. cit., 2003, p. 151.

2 Bernard Mouralis, op. cit., 1984. Voir précisément la deuxième partie : « Définition de la littérature négro-africaine d’expression française », p. 141-382.

3

littérature africaine. Ce fait constitue une particularité essentielle de la situation littéraire qui prévaut en Afrique noire et qu’on ne retrouve pas dans d’autres contextes1. »

La notion de discours sur la littérature aide à mieux comprendre la relation ambiguë que l’auteur africain entretient avec l’écriture. Il se trouve en effet que ce dernier doit se frayer un chemin entre une censure qu’il s’impose lui-même et les diverses stratégies de dérobade qu’il invente pour en limiter les effets. En ayant ainsi permis de dégager cette notion de discours sur la littérature, dont l’utilité scientifique est loin d’être négligeable, la méthode du dépouillement critique fournit encore la preuve de son efficacité. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Jean Copans semble appeler à sa mobilisation lorsqu’il pose la question de l’actualité de la « situation coloniale ».

L’article de Jean Copans est très dur à l’encontre des sciences sociales telles qu’elles se réalisent depuis quelques années. Il dénonce ainsi « les silences tragiques d’une sociologie "hexagonalisée" » et le « symbolisme post-moderniste peu historicisé » de l’anthropologie. Les deux disciplines sont coupables de négliger leur objet, laissant ainsi à d’autres disciplines toute latitude de « jouer aux apprentis sociologues2 ». La raison de ces lacunes serait à rechercher non pas dans un manque d’outils d’analyse, mais plutôt dans une paresse intellectuelle. Il devient donc urgent pour les sciences sociales de se ressaisir et de s’atteler à l’appréhension des nouvelles réalités induites par la mondialisation. Jean Copans rêve ainsi d’une anthropologie « sans frontières qui permettrait de croiser tous les regards possibles avant de dissoudre les terrains en les enfermant dans des traditions nationales ethnocentriques3 ». Il souhaite pouvoir encore atteindre à la globalité sociale, une globalité aux extensions démultipliées dans la mesure où, comme le fait remarquer Georges Balandier, trop de déterminants sont maintenant à prendre en compte :

« Aujourd’hui, la dynamique du mondial est profondément indissociable de la dynamique du local, sans comparaison avec ce qui déterminait les rapports respectifs auparavant. […] Trop de déterminants, qui ne relèvent pas de la stricte identification sociologique, doivent être examinés et évalués. C’est par eux, et sous leur effet, que le social se trouve pris dans un mouvement de déconstruction et de reconfiguration continuellement entretenu4. »

1 Ibidem p. 381.

2

Jean Copans, « La "situation coloniale" de Georges Balandier : notion conjoncturelle ou modèle sociologique et historique ? », p.33, Cahiers internationaux de sociologie vol CX, Paris, PUF, 2001, p. 31-52.

3 Ibidem p.50. 4

La saisie de tant de déterminants ne peut être possible sans convoquer une fois encore, la pluridisciplinarité, sans dépouiller les travaux des différentes sciences sociales :