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Restauration de la Dp427 par thérapie génique

I. Contexte de l'étude

Des mutations dans le gène dmd entrainant la perte d’expression de la dystrophine sont responsables de la myopathie de Duchenne. Ce gène est remarquable, principalement du fait de sa taille : c’est le plus grand gène du chromosome X et l’un des plus grands du génome humain. Cette taille le rend susceptible à de nombreuses mutations : dans 66% des cas, on observe de larges délétions touchant un ou plusieurs exons, dans 10 à 15% des cas, il s’agit de duplications et dans le reste des cas (~20%) de mutations ponctuelles non sens ou de petites délétions/insertions. En général, ces mutations vont provoquer une perte ou un décalage du cadre de lecture résultant dans la non-expression de la protéine. Une approche de remplacement de gène apporté par un virus, n’est pas possible pour la forme complète de la dystrophine (Dp427) du fait de sa taille, bien qu’il ait été tenté d’exprimer une mini-dystrophine comportant les domaines indispensables de la protéine tout en conservant sa fonction. D’autres approchent ont donc été tentées, visant les patients présentant des mutations ponctuelles, ou des mutations ne touchant qu’un seul exon. L’idée étant non plus de remplacer toute la protéine -par un apport exogène d’une

version tronquée mais fonctionnelle- mais d’utiliser de petites séquences antisens qui vont

cibler spécifiquement l’exon contenant la mutation, au niveau du pré-ARNm, et vont forcer son épissage (saut d’exon, exon skipping), de façon à restaurer un cadre de lecture et à permettre ainsi la réexpression d’une dystrophine presque complète.

Actuellement, les thérapies à base d’oligonucléotides antisens sont prometteuses dans les essais cliniques basés sur le saut d’exon, mais leur faible absorption par les tissus cardiaques et cérébraux ne permet pas encore d’observer des effets suffisants pour améliorer considérablement la condition des patients.

Dans cette étude collaborative (A. Goyenvalle et L. Garcia, Laboratoire END-ICAP, Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines), nous avons testé une nouvelle génération d’oligonucléotide antisens formé d’ADN tri-cyclique (tcDNA), qui présente des propriétés pharmacologiques nouvelles offrant une absorption beaucoup plus forte par les tissus lors d’administration systémique chez deux souris modèles de la myopathie de Duchenne.

II. Méthodologie

Nous avons comparé le TcDNA à deux autres oligonucléotides déjà utilisés dans des études cliniques (2’OMe et PMO). Différentes concentrations ont été utilisées afin de définir la dose minimale effective pour chacune des trois molécules en utilisant deux souris modèles de la dmd : la souris mdx et la souris double knock-out dystrophine/utrophine (dKO).

Des techniques d’études des propriétés physiques (analyse du suivi individuel des particules (nanoparticle tracking analysis, NTA), microscopie électronique à transmission (transmission electron microscopy, TEM) et chromatographie d’exclusion couplée en ligne avec la mesure de la diffusion de la lumière multi-angle (size-exclusion chromatography

with multi-angle static light scattering, SEC-MALS) ont été utilisées pour analyser le

comportement des molécules en milieu aqueux. Puis, des études pharmacocinétiques (chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse) ont été utilisées

pour quantifier la stabilité des molécules dans les tissus. L’efficacité du saut d’exon a ensuite été vérifiée en quantifiant le niveau d’expression de l’ARN par RT-PCR, puis de la protéine par western blot.

Nos collaborateurs se sont intéressés aux impacts physiologiques du traitement, en étudiant la fonction motrice (réponse du muscle tibial antérieur suite à la stimulation du nerf sciatique), la fonction respiratoire (pléthysmographie) et la fonction cardiaque (échocardiographie). Notre participation a été d’analyser la réexpression de la dystrophine dans le cerveau par immunofluorescence puis d’évaluer les effets compensateurs des traitements sur la réponse de peur inconditionnée de la souris mdx. Nous avons comparés les souris WT, mdx et mdx traitées avec le 2’OMe, PMO et tcDNA.

III. Résultats

L’analyse du suivi individuel des particules (NTA) prouve que le tcDNA forme spontanément des particules de 40 à 100 nm contrairement aux 2’OMe et PMO, ce qui a été confirmé par microscopie électronique et SEC-MALS. Ceci imite les propriétés de certains agents de transfection et peut éventuellement expliquer l’amélioration de l’assimilation par les cellules du tcDNA par rapport aux 2’OMe et PMO. Les études de pharmacocinétique montrent que la demi-vie du tcDNA dans l’organisme est approximativement de 45 jours, sa présence étant toujours significative trois mois après la fin du traitement dans des tissus tels que le muscle et le cerveau (~20% de la dose initiale). De plus, le tcDNA engendre trois à quatre fois plus de saut d’exon que le 2’OMe et le PMO, à des doses équimolaires, dans des tissus tels que le diaphragme et le cœur, habituellement difficiles d’accès pour les thérapies. Les études sanguines montrent une baisse de la créatine kinase (marqueur de la fragilité des membranes des fibres musculaires dans la DMD) plus marquée chez les animaux traités au tcDNA et dépendante de la dose injectée.

Au niveau phénotypique, la force musculaire est normalisée par le tcDNA (de façon dose-dépendante) au contraire du 2’OMe et du PMO qui ne font que l’améliorer sans égaler le niveau des souris WT. La fonction respiratoire s’améliore en fonction du niveau de réexpression de dystrophine dans le diaphragme, celui-ci étant plus élevé chez les souris traitées au tcDNA (~50%) que chez les souris traitées au 2’OMe (20%) et au PMO (28%). Nous observons également une amélioration des constantes cardiaques chez les animaux traités au tcDNA à la plus forte dose, associée à une réexpression de dystrophine plus importante dans le cœur par rapport aux animaux traités avec le 2’OMe ou le PMO. Enfin, nous montrons également des bénéfices importants chez la souris dKO dystrophine/utrophine, dont le phénotype moteur est encore plus sévère que celui de la souris mdx.

Au niveau cérébral, seul le tcDNA induit un saut de l’exon 23 et une réexpression de dystrophine chez la souris mdx, certes à des niveaux assez faibles (~2% dans l’hippocampe et le cortex, ~6% pour le cervelet), mais cela prouve que cette molécule est capable de franchir la barrière hémato-encéphalique, contrairement aux autres formes d’oligonucléotides. De plus, notre analyse immunohistochimique a mis en évidence la

présence d’un marquage ponctiforme de dystrophine dans l’hippocampe des souris traitées au tcDNA, signe d’une réexpression synaptique partielle de dystrophine.

Enfin, nous montrons que le traitement au tcDNA normalise les réponses d’immobilité tonique (freezing) suite à une contention chez la souris mdx, phénotype comportemental le plus robuste chez cette souris, qui a été associé à une altération de l’amygdale, structure cérébrale impliquée dans l’émotivité, la réponse comportementale au stress et la mémoire émotionnelle (voir II Emotions, fonctions motrices, Cognition et dysfonctions GABAergiques, page 83). Au contraire, le 2’OMe et le PMO n’ont aucun effet améliorateur sur le comportement des souris mdx, en accord avec leur incapacité à franchir la barrière hémato-encéphalique dans ces conditions (saut d’exon indétectable dans le cerveau des souris mdx traitées avec ces molécules).

IV. Conclusion

Les mécanismes responsables de l’amélioration de l’efficacité du tcDNA par rapport à d’autres molécules comme le 2’OMe ou le PMO sont encore mal compris. Une hypothèse expliquant ce phénomène peut être sa capacité à s’assembler spontanément en nanoparticules, ce qui pourrait favoriser son transport sanguin puis sa capacité à franchir la barrière endothéliale. Sa forte hydrophobicité et sa résistance aux RNAses joue sans doute aussi un rôle dans ces propriétés exceptionnelles du tcDNA.

Nous montrons que son mode d’action est dose-dépendant, offrant à sa plus forte dose une meilleure efficacité que le 2’OMe et le PMO et conduisant à une amélioration phénotypique, aux niveaux musculaire, respiratoire et cardiaque. Mais au-delà de ces aspects physiologiques périphériques, le tcDNA s’est également montré efficace pour abolir le phénotype comportemental le plus robuste de la souris mdx, sa réponse de peur exacerbée suite à un stress léger. La présence de réexpression de dystrophine dans le cerveau suite au traitement par le tcDNA est un résultat majeur, les oligonucléotides antisens étant généralement incapables de franchir la barrière hémato-encéphalique. Ces résultats encourageants ne doivent pas faire oublier le point crucial des thérapies géniques : leur capacité à être tolérée par l’organisme. Nous n’avons observé aucun signe de toxicité évident au cours de nos expérimentations, mais rien ne permet d’exclure une différence de tolérance chez l’humain. Des études toxicologiques sont en cours dans le laboratoire de nos collaborateurs.

La capacité du tcDNA à restaurer la dystrophine dans tous les tissus affectés (incluant le muscle squelettique, le cœur et le système nerveux central), après des injections systémiques chroniques, ainsi que son impact au niveau respiratoire, cardiaque et comportemental, fait de cette molécule un candidat attractif pour traiter simultanément l’ensemble des phénotypes qui caractérisent le syndrome de DMD, mais également pour d’autre pathologies génétiques pouvant être traitées par saut d’exon.

Article n°4

Functional correction in