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e. Une plus forte incidence des troubles émotionnels

Le concept d’émotion est débattu depuis des millénaires, les philosophes étant parmi les premiers à mener une analyse afin de décoder cette partie du comportement humain. Platon définira, quatre siècles avant notre ère, une structure tripartite de l’âme posant les bases d’une scission qui va perdurer entre émotion, motivation et cognition. Le Littré, dictionnaire paru à la fin du XIXème siècle, définit les émotions comme « un mouvement

moral qui trouble et qui agite », considérant les émotions comme néfastes pour l’humain.

Descartes perpétuera cette idée de dualisme, considérant les émotions comme une cognition confuse sans valeur.

A l’inverse, à l’autre but du monde, vécut cinq siècle avant Jésus-Christ un dénommé Siddhārtha Gautama, au Népal. Il définit « 51 formations mentales », tantôt bénéfiques (l’équanimité, l’humilité, la vigilance ), tantôt néfastes (la colère, l’agitation, la distraction ). Son approche, à l’opposé de nos philosophies occidentales, est aujourd’hui utilisée dans de nombreuses thérapies comportementales des troubles émotionnels, telle que la méthode de réduction du stress (MBSR) portée par le Dr. John Kabat-Zinn en Amérique et le psychiatre Christophe André en France.

A l’heure actuelle, aucun consensus tant sur les modèles théoriques que sur la définition des émotions n’existe. C’est la première difficulté pour un chercheur désirant étudier cette modalité, Kleinginna et Kleinginna (1981) ont ainsi répertorié dans la littérature plus de 92 définitions différentes de l’émotion sur une période de 10 ans.

Cependant, depuis environ un siècle, les neurosciences ont postulé un modèle dit des théories cognitives. Une théorie particulièrement intéressante dans le cadre de ce travail est celle de Lazarus (Lazarus, 1991), pour qui la cognition est une condition nécessaire et suffisante aux émotions. Il développe une théorie relationnelle basée sur les concepts de l’évaluation cognitive (appraisal). Selon lui, les émotions seraient la résultante d’une interaction permanente entre le sujet et son environnement, la nature humaine voulant toujours tendre vers le bien-être personnel. Il insiste sur deux processus d’évaluation : Premièrement, l’évaluation de la pertinence d’un stimulus/évènement par rapport à son bien-être. Ensuite, notre capacité à faire face à un évènement affectant nos buts (coping). Ces évaluations sont flexibles, offrant des possibilités de révisions correctives en cours de route (reappraisal).

Il est très important de prendre le temps de comprendre toute la difficulté de l’émotion. Elle va en effet être à la base de nos aptitudes à mémoriser les informations, mémoire qui, par la suite, permettra à un individu de se construire, et établira sa capacité d’apprentissage (Bower et al. 1981).

Plusieurs auteurs ont tenté d’expliquer les déficits intellectuels observés chez les patients DMD par les aspects émotifs liés à cette maladie handicapante. Sollee et al. (1985) rapportent que les enfants DMD obtiennent de meilleurs scores à différentes épreuves neuropsychologiques à partir du moment où ils deviennent dépendants du fauteuil roulant électrique. Les parents ont observé que leurs enfants se montrent plus détendus et plus conscients de leur environnement, pouvant maintenant se déplacer d’un endroit à l’autre avec plus de facilité et moins de perte d’énergie. Dague et Temboury (1974) relèvent aussi une curiosité intellectuelle plus vive chez ceux se déplaçant en fauteuil. Les résultats des recherches de Leibowitz et Dubowitz (1981) vont dans le même sens lorsqu’ils rapportent plus de problèmes de comportement selon l’échelle de Rutter chez les jeunes patients que chez les plus âgés. Devant les difficultés d’abstraction et de pensée symbolique observées au WISC chez les enfants DMD, Benony (1986) donne une interprétation psychanalytique. Ces difficultés d’apprentissage révèleraient d’une incapacité à retenir l’information, les enfants restant figés par l’angoisse qui envahirait l’ensemble du fonctionnement cognitif. Cette interprétation est cependant soumise au doute, comme démontré dans l’étude de Fee et Hinton (2011), utilisant la Child Behavior Checklist (CBCL), qui est un test normalisé pour évaluer le comportement général de l’enfant. Dans cette étude, 84% des enfants DMD, bien qu’ils vivent avec cette maladie handicapante –et à terme fatale– ne sont pas considérés comme « à risque » pour les aspects psychosociaux. Les auteurs démontrent l’importance du soutien social, défini comme le nombre et la qualité des interactions, dans le processus de résilience7, et montrent que le niveau intellectuel de l’enfant est indépendant de son profil psychosocial. Ceci supporte le modèle de Lazarus, dans lequel les facteurs environnementaux vont essentiellement modifier la réponse émotionnelle de l’enfant. Fee et Hinton concluent en disant que si la résilience est une « adaptation positive à l’adversité », alors la nature quantifiable de l’adversité est moins importante pour l’enfant que son adaptation positive à l’adversité (résilience) exprimée. Pehler et Craft-Rosenberg

7. La résilience est définie comme « un processus dynamique englobant une adaptation positive au sein d’un contexte d’adversité majeur ».

(2009) ont mené une étude sur le rapport des enfants myopathes vis-à-vis du désir de ce qu’ils ne peuvent pas faire au quotidien. Il est intéressant de constater que la majorité ne vit pas cette impossibilité comme un manque, mais comme une partie de leur expérience de vie. Les auteurs ont choisi la relation des enfants à la religion, ou à la spiritualité comme point central de leur étude, mais ils finissent par exprimer la même conclusion que dans l’étude de Fee et Hinton (2011) : La connexion, qu’elle soit au travers des relations sociales, avec son soi intérieur, ou avec un Dieu, aide l’enfant à surmonter sa maladie et lui permet d’appréhender son quotidien de façon plus heureuse. Dans une étude plus récente, Pangalila et al. (2015) s’intéressent à la prévalence de la douleur, de la fatigue et de la dépression chez des enfants DMD. La majorité des patients note sa qualité de vie comme étant « bonne » ou « très bonne », même si tous avouent vivre de façon permanente avec la douleur et une fatigue certaine, et les symptômes de dépression sévère sont aussi fréquents que dans la population saine. Cependant, ils notent que les symptômes de dépression légère et modérée sont deux fois plus fréquents. Fitzpatrick et al. (1986) en revanche, trouverons un syndrome dépressif majeur chez leurs patients DMD. Ce que viendra confirmer Roccella et al. en 2003 qui trouvent des preuves d’isolement, de basse estime de soi, de marginalisation, de symptômes mineurs de dépression, de signes d’insécurité, d’hypochondrie et d’anxiété chez les DMD. Lu et al. (2016) trouvent de nombreuses altérations (capacités physiques, relations sociales) chez les patients DMD, mais mettent surtout en avant le rôle essentiel de l’environnement pour que les patients deviennent résilients. Les problèmes émotionnels sont également soulevés dans la récente étude de Ricotti et al. (2016), en particulier au niveau du comportement d’agression, de l’hyperactivité, de la conciliance et de l’anxiété. Cependant, même si Ricotti et al. notent une prévalence accrue d’anxiété, ce n’est pas le cas de Pangalila et al. (2015). La question n’est donc pas facile à trancher, même si la part environnementale (soutien) semble jouer un rôle crucial. C’est d’ailleurs l’objet de l’étude de Yamaguchi et Suzuki (2015) qui s’intéresse en particulier au rôle des parents dans ce soutien quotidien et à l’importance que revêt l’accompagnement des parents, qui sont eux aussi à risque, au vu de la difficulté de soutenir un enfant atteint d’une maladie fatale. Ils apportent des éléments intéressants concernant l’évolution du soutien parental lorsque les enfants DMD deviennent adolescents et adultes grâce au progrès médical.

Le profil émotionnel des patients DMD est certes loin d’être similaire à celui de la population saine, cependant les cliniciens mettent réellement en avant l’importance du soutien psychosocial dans l’accompagnement quotidien, et la capacité que présente les malades à juger leur qualité de vie comme étant « bonne » à « très bonne », appuyant l’importance des facteurs environnementaux et du travail cognitif permettant d’être résilient face à cette situation pathologique.

L’importance de ce soutien, essentiel pour la qualité de vie des patients, biaise cependant les études. Il est impossible pour un clinicien de savoir si les troubles émotionnels sont spécifiques, c’est à dire liés à la perte de la dystrophine dans le cerveau, ou purement sociétaux, donc dépendants des facteurs familiaux, environnementaux ou liés au handicap.