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Emotions, fonctions motrices, Cognition et dysfonctions GABAergiques

Neurobiology of Learning and Memory

II. Emotions, fonctions motrices, Cognition et dysfonctions GABAergiques

1. Contexte de l'étude

Des études récentes ont mis en évidence un rôle inattendu pour la dystrophine complète Dp427, protéine responsable de la myopathie de Duchenne, dans les réponses de peur et de stress. Chez la souris mdx, les réponses de peur suite à un stress léger sont caractérisées par une immobilité tonique (freezing) exacerbée, qui rappelle le comportement exprimé par certaines espèces animales en présence d’un prédateur. Un rôle cérébral de cette protéine dans les processus émotionnels est fort probable, puisque ce phénotype peut être modulé par restauration ciblée de la dystrophine dans le cerveau (Sekiguchi et al., 2009) ou par des modifications de l’environnement olfactif du contexte expérimental (Yamamoto et al., 2010).

Bien caractériser ces processus comportementaux est un défi essentiel pour la prise en charge des patients, qui présentent des altérations intellectuelles, comportementales et émotionnelles. De plus, ils peuvent constituer un très bon biomarqueur pour la validation des outils de thérapie génique visant à restaurer l’expression de la dystrophine dans le cerveau. Enfin, la réponse de peur se caractérise par une inhibition motrice durable et forte chez la souris, pouvant biaiser l’interprétation de certaines études comportementales si elle n’est pas prise en compte. La dystrophine est une protéine normalement exprimée à la membrane postsynaptique des synapses inhibitrices en interaction avec les récepteurs du GABA mais l’hypothèse d’une relation possible entre les modifications GABAergiques et l’expression de réponses émotionnelles et/ou motrices anormales n’avait pas été encore étudiée.

Dans cette étude, nous avons donc évalué les causes et les conséquences de l’immobilité engendrée par ces réponses de peur exacerbées, ainsi que l’effet d’un activateur sélectif des récepteurs au GABA extrasynaptiques, suspectés d’être altérés chez la souris mdx.

2. Méthodologie

Les tests comportementaux réalisés sont classiquement utilisés dans notre équipe, utilisant pour certains un logiciel de suivi et d’analyse vidéo éprouvé (Any-Maze) dont certaines fonctionnalités ont été spécifiquement demandées au développeur pour nos besoins d’analyses. L’éclairement lumineux est vérifié au début de chaque expérimentation, pour les tests en champ ouvert, en labyrinthe en croix surélevé et dans le test de choix clair-obscur, où ce paramètre est crucial dans les réponses d’anxiété et de stress des animaux. Une analyse fine des propriétés du haut-parleur de la cage de comportement utilisée pour le conditionnement de peur a été réalisée avec l’aide de chercheurs de notre unité spécialisés en bioacoustique (T. Aubin, J.-M. Edeline) et nous avons choisi de ne pas utiliser la fréquence de 8 kHz (bien qu’à cette fréquence l’animal possède une audition optimale) car le haut-parleur présentait une mauvaise restitution acoustique à cette fréquence au contraire des sons de 10 kHz que nous avons utilisés. La mesure de

l’immobilité tonique effectuée à l’aide d’une grille piézo-électrique a été préalablement comparée à un suivi manuel par vidéo afin de s’assurer de la validité de nos mesures des réponses de peur (freezing) dans cet appareil. Enfin, pour le test du réflexe de redressement, l’appareil en forme de V en polycarbonate a été spécifiquement construit, selon nos plans et en accord avec ce qui avait déjà été réalisé dans la littérature. De plus, les expériences ont été réalisées uniquement le matin, afin de s’affranchir des variations du cycle circadien, qui pouvait interférer avec l’usage du gaboxadol (Lundbeck et Merck l’ayant testés dans le traitement de l’insomnie ; voir Krogsgaard-Larsen et al., 1977 et le brevet américain n°4,278,67611).

3. Résultats

Nous montrons que les réponses de peur inconditionnées (freezing) sont augmentées, durables et résistantes à l’extinction chez la souris mdx. Constantes entre 3 et 9 mois alors que l’atteinte musculaire évolue au cours de cette période, elles ne dépendent donc pas directement d’altérations périphériques. Une sensibilité accrue à la douleur a été réfutée, de même qu’une altération endocrinienne, la sécrétion d’adrénocorticotrophine étant normale suite à un stress chez ces souris. Les réponses comportementales traduisant la dépression ne sont pas altérées, de même que l’exploration d’un nouvel environnement, cependant des déficits exploratoires en champ ouvert sont mis en évidence, ainsi qu’une augmentation de l’anxiété dans un test de clair-obscur. Nous avons également observé une inhibition motrice forte et durable suite à un stress léger dans le test de l’actimètre, et une forte corrélation entre stress et activité exploratoire même si un délai de plusieurs jours sépare les deux évènements. De toute évidence l’augmentation des réponses de peur inconditionnées chez la souris mdx ont un impact fort et durable sur leur activité locomotrice, suggérant qu’une part des phénotypes attribués à des déficits moteurs pourrait en fait résulter de perturbations émotionnelles. Ceci peut constituer un biais d’interprétation dans les études fonctionnelles visant à évaluer les effets d’un traitement de cette maladie. De plus, ces réponses de peur sont induites par des stress légers, ce qui suggère que de simples différences de manipulation des animaux pourraient expliquer la variabilité des résultats expérimentaux entre différents laboratoires.

Dans notre étude pharmacologique nous avons découvert que le comportement des souris

mdx est plus sensible aux effets pharmacologiques du gaboxadol, ou THIP. Il s’agit d’un

agoniste partiel des récepteurs du GABA ciblant spécifiquement la sous-unité δ extrasynaptique. Son effet est dépendant de la dose, anxiolytique puis sédatif et enfin hypnotique à forte dose. Chez la souris mdx, l’effet sédatif est augmenté et se traduit par la perte d’activité verticale en champ ouvert, tandis que l’effet hypnotique est caractérisé par une perte du réflexe de redressement, plus rapide et plus longue chez la souris mdx. Ces résultats suggèrent qu’il y a bien une altération du système GABAergique chez la souris

mdx et qu’il touche le nombre ou les propriétés des récepteurs extrasynaptiques du GABA,

cibles des anesthésies générales en clinique et modulateurs des mécanismes de la mémoire, de l’éveil et du sommeil.

4. Conclusion

Nous avons vu dans le premier article que la dystrophine semble jouer un rôle dans les processus d’acquisition et de rappel d’apprentissage et nous venons de voir ici qu’elle joue un rôle clef dans les processus émotionnels. En effet, bien que l’augmentation de la prévalence de l’anxiété et des troubles émotionnels puissent résulter de la condition physique des patients, notre étude sur la souris met en lumière le rôle de la Dp427 dans les fonctions liées à l’expression des émotions. Nos résultats sont en accord avec les études cliniques récentes suggérant que les altérations émotionnelles sont communes chez les patients DMD qui présentent une perte sélective de la dystrophine complète Dp427 (Ricotti, et al., 2016). Ils suggèrent, de plus, que la perte de la Dp427 altère le circuit de la peur, incluant l’amygdale et les structures corticales, conduisant à une augmentation de la peur inconditionnée, de l’anxiété, ainsi que des déficits de peur conditionnée et de mémorisation. Ces traits comportementaux étant cruciaux pour la survie et la gestion des situations aversives, leur dérèglement peut entrainer une réactivité émotionnelle inappropriée, un comportement social inadapté ou une difficulté à utiliser ses capacités intellectuelles. Nous montrons également que l’augmentation de la réponse de peur chez la souris mdx induit une inhibition durable de la fonction motrice, mettant en évidence que le cerveau et les altérations comportementales peuvent avoir une influence significative sur les mesures motrices dans ce modèle expérimental.

Nous apportons également des éléments appuyant l’hypothèse actuelle que les altérations centrales dues à la perte de Dp427 pourraient reposer sur une mauvaise localisation spatiale des récepteurs GABAA et à une altération de l’inhibition GABAergique tonique qui est principalement sous contrôle de récepteurs extrasynaptiques. Ces éléments doivent faire l’objet d’une attention particulière, tant dans les études précliniques chez la souris

Article n°2

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