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b. Impact de la perte des dystrophines sur les capacités intellectuelles

Dès les années 90, les études comportementales en laboratoire sur des modèles animaux de la myopathie de Duchenne se basent sur une connaissance précise de la ou des dystrophines mutées. En revanche, les études cliniques ont fréquemment été effectuées sur des cohortes de patients susceptibles de présenter des génotypes très variables et les relations génotype-phénotype ne sont pas encore clairement étudiées. Historiquement, c’est l’association entre le quotient intellectuel et le génotype qui a été étudié. Lindlöf et al.

Le trait noir représente autant le gène dmd que ses introns, tandis que les barres bleues verticales correspondent à la partie codante (exons). Les flèches représentent les promoteurs internes. Trois génèrent la forme longue, dite « complète » de la dystrophine (Dp427, pour dystrophin protein of 427 kDa) et vont entrainer son expression dans différents tissus (B : brain, M : muscle, P : cellules de Purkinje), les quatre autres vont permettre l’expression de dystrophines plus courtes : Dp260, Dp140, Dp116, Dp71 et Dp40. La dystrophine se compose de 4 domaines : amino-terminal (NT), central, riche en cystéine (CR) et terminal (CT). Le domaine central comprend 24 triples hélices de type spectrine (boites contenant les nombres, en blanc celles chargées positivement, en jaune, négativement) et de quatre domaines charnières riches en résidus proline (H1 à H4). Excepté pour la Dp140, chaque dystrophine possède un unique N-terminal non présent dans la forme complète (McGreevy, et al., 2015).

(1989) sont les premiers à remarquer que la fréquence de déficience intellectuelle semble augmentée lorsque la mutation est présente dans la deuxième partie du gène de la dystrophine. Mais la résolution de leur technique -à base d’enzyme de restriction HindlII- ne leur permet pas d’être plus précis. D’autres études (Covone et al., 1991 ; Hodgson et al., 1992 ; Nicholson et al., 1993 ; Bresolin et al., 1994 ; Bushby et al., 1995) conduiront à la même conclusion, bien que tous les auteurs restent prudents, concluant qu’il peut y avoir, ou non, déficience intellectuelle, lorsque la seconde partie du gène est délétée. Au vu des connaissances actuelles, ce qu’ils appellent « deuxième partie du gène » (les huit derniers kilobases de l’ARNm de la Dp427) pourraient correspondre à la perte d’expression de la Dp140, Dp116 et Dp71 (voir Annexe 3 : Du gène à la protéine, page 195). C’est en 1991 que deux études viennent apporter des éléments importants au débat. Den Dunnen et al. (1991) mettent en évidence que la forme longue de la dystrophine est compatible avec une cognition normale (confirmé par Rapaport et al. en 1992) tandis que Rapaport et al. (1991) relèvent une apparente association entre la déficience intellectuelle et la délétion de l’exon 52. Dans les années suivantes, Roberts et al. (1992), Lenk et al. (1993) et Tuffery et al. (1995) vont identifier des mutations ponctuelles touchant la partie distale du gène de la dystrophine des patients DMD atteint de déficience intellectuelle. Ces études pionnières suggèrent que cette séquence du gène serait impliquée dans la genèse de la déficience intellectuelle. A cette époque, la forme courte de la dystrophine n’a été découverte que trois ans auparavant, mais Rapaport pose déjà l’hypothèse, dans son étude de 1991, que c’est une dystrophine courte (Dp140 ou Dp71) qui pourrait être à la base des altérations intellectuelles. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que la Dp71 possède un promoteur entre les exons 62 et 63 tandis que la Dp140 possède son site d’initiation dans l’exon 51. En 1998, Moizard et al. (1998) relèvent le manque d’études ayant collectées à la fois des données moléculaires -profil individuel de mutation- et des données neuropsychologiques sur les patients DMD et publient un article visant à répondre à une question non résolue durant cette décennie : la Dp71 et la Dp140 sont-elles impliquées

dans la déficience cognitive observée chez les patients DMD ? Retrouvant à la fois la

baisse généralisée du QI chez les patients myopathes (Emery et al., 2015, mais initialement décrite dans l’édition de 1992) et une altération marquée dans les tâches verbales (Billard et al., 1992 ; Bresolin et al., 1994), ils montrent qu’il n’y a pas de relation simple entre les altérations cognitives et la localisation de la mutation dans le gène dmd. Malgré cette absence de simplicité, leur conclusion est claire : les mutations dans la partie distale du gène tendent à être plus souvent associées avec une déficience intellectuelle que celles dans la partie proximale. Ils établissent trois grandes hypothèses : (1) L’absence de la forme longue de la dystrophine affecte variablement la cognition (den Dunnen et al., 1991 ; Rapaport et al., 1992), (2) Les mutations affectant la forme longue et la Dp140 sont associées à des altérations cognitives et (3) Les mutations affectant toutes les dystrophines -incluant la Dp71- sont associées à des retards mentaux sévères. Ils vérifient cette dernière hypothèse deux ans plus tard (Moizard et al., 2000). La même année deux études viendront confirmer le rôle de la Dp140 dans le fonctionnement cognitif des patients DMD (Bardoni et al., 2000 ; Felisari et al., 2000), mais également chez les patients atteints de myopathie de Becker, dont le profil cognitif est tout autant altéré par la perte de la

Dp140 (Bardoni, et al., 1999). Les années 1990 furent une décennie cruciale dans l’étude du lien entre mutations et déficience intellectuelle.

Au cours des années suivantes, moins d’études vont s’y intéresser, ou alors uniquement pour confirmer ce qui a été précédemment observé (Giliberto et al., 2004). Cette décennie calme ne signifie pas pour autant l’absence de travaux sur le sujet. Les progrès, à la fois en biologie moléculaire et dans les diagnostics cliniques, vont permettre l’émergence d’une nouvelle littérature, précisant d’autant plus ces relations génotype-phénotype.

Après un suivi de plus de dix ans (entre 1990 et 2000) par la même équipe médicale collectant systématiquement des données deux fois par an, Desguerre et al. ont publié, en 2009, une étude très riche sur l’hétérogénéité clinique des patients DMD, définissant précisément quatre sous-phénotypes permettant d’établir des critères prédictifs de l’évolution de la maladie. Le phénotype moteur (classifié de « médiocre » à « très médiocre ») est indépendant de la localisation de la mutation (tous les patients DMD ayant perdu la Dp427), contrairement au phénotype cognitif (classifié « normal » à « très médiocre ») qui est corrélé avec la nature des dystrophines mutées. Il est en revanche impossible d’établir une relation simple entre le génotype et le phénotype cognitif, comme le notait déjà Moizard et al. dix ans plus tôt. En effet, lorsque toutes les dystrophines sont mutées (mutation après l’exon 63), la présence de déficience intellectuelle est certaine, mais en revanche, dans le groupe ayant perdu uniquement la forme complète, le fonctionnement cognitif varie de normal à médiocre. Les auteurs ne donnent aucune explication à cette variabilité, cependant nous aborderons dans le II (à partir de la page 42), la richesse des profils d’expressions, épissages post-transcriptionnels et interactions avec d’autres protéines des dystrophines, qui pourraient probablement expliquer que la variabilité du fond génétique des individus puissent donner lieu à cette hétérogénéité phénotypique. En Juillet de la même année, Daoud et al. se focalisent sur le rôle de la Dp71 dans la sévérité de ce retard mental. Ils trouvent que tous les patients ayant une mutation affectant la Dp71 présente une déficience intellectuelle, alors que ceux dont toutes les dystrophines sont mutées, à l’exception de la Dp71, présentent une cognition plus variable, à l’image de l’étude de Desguerre et al. (2009). De plus, ils ne se focalisent pas uniquement sur la myopathie de Duchenne, mais également sur la myopathie de Becker où les patients possédant une mutation affectant la Dp71, présentent également une déficience intellectuelle. Ils concluent leur étude en suggérant que les mutations touchant la Dp427 n’entraine pas toujours une altération cognitive et que la perte de la Dp140, serait un facteur de susceptibilité de déficience intellectuelle.

L’année suivante, Taylor et al. (2010) publient une étude encore plus détaillée, reliant le quotient intellectuel complet (FSIQ) aux formes de dystrophines mutées, venant confirmer encore plus l’existence de ce lien génotype-phénotype. Pour les patients avec des mutations avant l’exon 30 (perte de la Dp427 seulement), le FSIQ moyen est de 93, pour les patients ayant des mutations entre les exons 46 à 79 (perte de la Dp140 et/ou Dp71), le FSIQ moyen est de 74.

Figure 4 - Effet de la perte cumulative des dystrophines sur le FSIQ

Wingeier et al. (2011) confirment les altérations cognitives associées à la perte de la Dp140, ce qui sera confirmé par Rasic et al. (2014) dans une étude similaire mais plus précise sur le rôle de la région 5’ UTR de la Dp140 (Dp140utr). Cette séquence est intéressante car très longue (elle s’étend des exons 45 à 50), mais il est très difficile de savoir si elle va où non impacter l’expression de la Dp140. Une façon de faire est donc de comparer le FSIQ des patients qui ont perdu cette région régulatrice par rapport à ceux présentant des mutations au sein de la séquence codante pour la Dp140 (Dp140pc). Là où Taylor et al. (2010) ne trouvent qu’une faible participation de la perte de la région 5’ UTR de la Dp140, Rasic et al. (2014) vont trouver un FSIQ significativement plus faible lorsque la mutation se trouve au sein de la séquence codante pour la Dp140 (FSIQ : Dp140utr : 93,86 vs Dp140pc : 78,33), ainsi que Chamova et al. (2013) (FSIQ : Dp140utr : 90,31 vs Dp140pc : 78,88).

Banihani et al., 2015 ont réalisé une étude très détaillée du FSIQ en fonction des mutations des patients DMD.

Représentation de la valeur du FSIQ (en ordonnée) par rapport aux dystrophines affectées (en abscisse). La perte étant cumulative, le premier groupe est déficient uniquement en Dp427, le troisième en Dp427, Dp260 et Dp140 et ainsi de suite. Les auteurs ont également regardé l’impact de la perte du 5’ UTR (une séquence régulatrice) de la Dp140 (Dp140utr, second groupe). Cercle : valeur individuelle par patient, ligne verticale : ± 1 déviation standard à la moyenne, boite : intervalle de confiance à 95%, barre horizontale : médiane (Taylor et al., 2010).

Figure 5 - FSIQ en fonction des dystrophines affectées.

Cette figure est très intéressante car elle montre la variabilité du FSIQ chez les patients DMD (groupe de droite) ainsi que chez les sous-groupes de patients ayant une Dp427 et/ou 260 mutées. En revanche, la perte de Dp140 et/ou Dp71 impacte clairement le FSIQ.