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Filtrage sensoriel et fonctions exécutives 1. Contexte de l'étude

Rôle de la dystrophine courte (Dp71)

I. Filtrage sensoriel et fonctions exécutives 1. Contexte de l'étude

Si l’absence de la dystrophine complète (Dp427) conduit à une altération musculaire évolutive et à des troubles cognitifs légers, la perte de la forme la plus courte de dystrophine, la Dp71, n’affecte pas le muscle mais entraine une déficience intellectuelle sévère, une augmentation de la prévalence des déficits de mémoire de travail et des troubles neurodéveloppementaux encore mal caractérisés.

La Dp71 est la plus abondante des dystrophines dans le cerveau. Comme les autres dystrophines, sa partie C-terminale interagit avec les dystroglycanes transmembranaires, les protéines adaptatrices syntrophines et ceci joue un rôle dans l’ancrage et/ou l’agrégation (clustering) de certains récepteurs et canaux ioniques membranaires. La Dp71 est particulièrement exprimée dans les pieds des astrocytes périvasculaires où elle est requise pour le clustering des canaux aqueux (AQP4) et potassiques (Kir4.1), mais elle est aussi détectée au niveau des densités postsynaptiques où elle semble participer au clustering des récepteurs glutamatergiques, notamment dans l’hippocampe (Daoud et al., 2009). Dans tous les cas, on suppose que la perte de Dp71 conduit à une augmentation de l’excitabilité des réseau neuronaux, soit du fait d’une désorganisation moléculaire des synapses excitatrices glutamatergiques, soit du fait d’une augmentation des concentrations extracellulaires en potassium.

La déficience intellectuelle ne se limite pas à des déficits de mémoire à long terme et d’apprentissage, mais peut aussi impliquer des dysfonctions exécutives, comme des déficits de mémoire de travail, qui ont justement été identifiés chez des patients porteurs de mutations affectant l’expression de la Dp71 (Rocotti et al., 2016). Ici, nous avons utilisé la souris Dp71-null, dont l’insertion du gène de la β-Galactosidase dans le premier exon de la Dp71 aboli son expression, afin d’élucider les mécanismes neurophysiologiques altérés dans le cortex préfrontal qui joue un rôle important dans les fonctions exécutives, particulièrement la balance excitation/inhibition et la plasticité synaptique. Ces analyses ont été complétées par de l’imagerie confocale du dystroglycane et de la PSD95, un marqueur des synapses glutamatergiques, et par une étude comportementale ciblant spécifiquement des tâches impliquant les fonctions exécutives qui dépendent du cortex préfrontal.

2. Méthodologie

Les souris Dp71-null utilisées pour les expérimentations ont été croisées sur plus de 10 générations avec des souris de lignée C57BL/6Rj afin que la modification génétique portée par ces souris s’exprime sur un fond génétique C57BL/6 pur, ce qui n’était pas le cas lors de la première étude de ce modèle par Daoud et al. (2009). Les expérimentations en immunohistochimie, microscopie confocale et comportement suivent les mêmes procédures que celles des deux articles sur la souris mdx. Ce sont donc des tests maîtrisés, validés et bien connus au sein de notre équipe. L’étude d’électrophysiologie a été réalisée par M. Amar, anciennement dans l’équipe de P. Fossier, spécialiste de l’étude

de la balance excitation/inhibition corticale et de l’extraction mathématique des différents courants excitateurs et inhibiteurs dans les réseaux corticaux. Toutes les statistiques et figures ont été réalisées à l’aide de MATLAB, en utilisant un code développé par R. Chaussenot, pour les besoins spécifiques à nos expérimentations. La validation des tests statistiques étant réalisée par la communauté MATLAB et la validation des résultats a été faite en comparant les résultats précédemment obtenus par Statview sur les souris mdx par rapport à ceux obtenus avec notre code (qui sont identiques).

3. Résultats

Nous avons commencé par confirmer l’intégrité des propriétés intrinsèques des neurones pyramidaux de la couche 5 du cortex préfrontal médian. Nous mettons en évidence une altération du clustering de deux protéines postsynaptiques normalement associées à la Dp71 dans la synapse glutamatergique (β-dystroglycane et PSD95), en accord avec les résultats in vitro de Daoud et al. (2009). La transmission glutamatergique basale est fortement augmentée chez les souris Dp71-null, suggérant une altération des récepteurs AMPA. Cette hypothèse a été testée en patch clamp, en présence de picrotoxine (antagoniste des récepteurs du GABA) et en imposant un potentiel spécifique à la cellule, pour isoler la composante excitatrice de la neurotransmission, et après addition de NBQX (antagoniste des récepteurs AMPA) ou d’APV (antagoniste des récepteurs NMDA) pour isoler la neurotransmission dépendant des récepteurs NMDA ou AMPA, respectivement. La composante inhibitrice a également pu être isolée en présence des deux antagonistes de la transmission glutamatergique. Un résultat majeur de l’étude est la mise en évidence d’une altération de la balance excitation/inhibition chez les souris Dp71-null. Chez les souris contrôles, on observe 18% d’excitation pour 82% d’inhibition, en revanche, la souris Dp71-null montre clairement un déséquilibre avec une balance de 26% d’excitation et 74% d’inhibition. Nous montrons que l’inhibition médiée par les récepteurs du GABA n’est pas affectée dans ce modèle et que les altérations touchent majoritairement les mécanismes postsynaptiques dans la synapse glutamatergique, avec pour conséquence une réduction importante de la plasticité synaptique (LTP) dans les réseaux du cortex préfrontal.

Au niveau comportemental, la souris Dp71-null ne présente pas de déficit du réflexe de sursaut induit par un stimulus auditif, ni de la capacité à l’inhiber en présence d’un stimulus prédictif de plus faible intensité. Elle est donc capable d’intégrer et filtrer correctement les stimuli sensoriels auditifs. En revanche, nous mettons en évidence une altération de sa flexibilité comportementale dans deux apprentissages impliquant la mémoire de référence spatiale (piscine de Morris et labyrinthe radial). La souris Dp71-null montre également un retard d’apprentissage dans le test de la piscine de Morris, suggérant une utilisation inadéquate des indices spatiaux, ou une stratégie égocentrée inadaptée à cette tâche. Nous montrons aussi une altération claire et robuste de la mémoire de travail chez la souris Dp71-null dans un test de appariement retardé de position (DNMTP, ou delayed

non-matching to place) dans lequel la performance dépend de la sensibilité aux interférences

4. Conclusion

La souris Dp71-null reste un modèle relativement peu étudié dont on ignore encore beaucoup de propriétés. Chez l’Humain, la perte de Dp71 induit notamment une déficience intellectuelle sévère, une augmentation de la prévalence des déficits de mémoire de travail, de l’attention ou encore une tendance accrue aux troubles du spectre autistique. Chez la souris, nous mettons en évidence une absence d’altération des processus d’intégration et de filtrage sensoriel, mais en revanche, la souris Dp71-null présente des déficits d’apprentissage spatial et de flexibilité comportementale associés à une altération forte des processus de mémoire de travail. Ces phénotypes reposent habituellement sur un circuit incluant principalement l’hippocampe et le cortex préfrontal. Dans notre modèle, ces déficits sont associés à une altération de la fonction synaptique corticale, caractérisée par la désorganisation des protéines synaptiques β-dystroglycane et PSD95, une augmentation de la transmission dépendante des récepteurs AMPA, une augmentation de la part excitatrice de la balance excitation/inhibition, et une réduction de la plasticité synaptique. Une hyperexcitabilité des réseaux hippocampiques ayant été également décrite, nos résultats suggèrent que la perte de Dp71 altère considérablement les fonctions exécutives et cognitives qui mettent en jeu la boucle hippocampo-corticale. La balance excitation/inhibition corticale a fait l’objet de nombreuses études depuis la découverte de son implication dans les processus de mémoire de travail, l’autisme et la schizophrénie. Cet ensemble d’altérations pourraient constituer un endophénotype à la base de la déficience intellectuelle induite par la perte de Dp71 dans une sous-population de patients DMD.

Tous ces éléments suggèrent que la Dp71 pourrait effectivement posséder un rôle crucial dans la genèse des déficits cognitifs et neuropsychiatriques observés dans la myopathie de Duchenne et que les bases neurophysiologiques de ces déficits reposent sur une hyperexcitabilité des réseaux neuronaux. Reste à déterminer les mécanismes moléculaires, neuronaux ou gliaux, qui conduisent à cette perturbation, puisque la Dp71 semble s’exprimer et jouer un rôle à la fois dans les neurones et les cellules gliales. Ceci fait l’objet des projets en cours et futurs de l’équipe.

Article n°3

A selective inactivation of