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b. Rôle fonctionnel de la Dp71 dans le système nerveux

Au-delà des découvertes réalisées à l’aide de cellules en culture ou sur du tissu sain, la souris Dp71-null a permis de clarifier le rôle fonctionnel de la Dp71 au niveau du système nerveux central, plus particulièrement dans la glie de Müller et de Bergmann.

En absence de Dp71, le rassemblement des canaux potassiques Kir4.1 et aqueux AQP4 à la membrane plasmique est délocalisé et/ou diminué (Dalloz et al., 2003). C’est lors d’un stress, comme un décollement de la rétine ou un choc osmotique que l’absence de Dp71 est remarquable : la régulation volumique des cellules de Müller est alors impossible et la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique augmente très fortement (Sene et al., 2009). De plus, Benabdesselam et al. (2010) montrent le rôle essentiel de la Dp71 dans la régulation de l’osmolalité plasmatique, celle-ci étant plus faible chez la souris Dp71-null que chez les contrôles. Dans la rétine, la Dp71 joue également un rôle dans l’inflammation

et les lésions vasculaires, ainsi que dans la dégénération des capillaires. Cela pouvant être une des raisons de la perméabilité accrue de la barrière hémato-encéphalique dans ce modèle (Vacca et al., 2014 ; 2016 ; El Mathari et al., 2015).

Les études récentes ne font que confirmer le rôle astrocytaire de la Dp71. Giocanti-Auregan et al. (2016) montrent que dans la rétine, le nombre des astrocytes est plus faibles et que leur morphologie est altérée chez les souris Dp71-null dès P6 (sixième jour postnatal) et que ces anomalies se maintiennent jusqu’à l’âge adulte.

Récemment, Vacca et al. (2016) ont montré par thérapie génique que la réexpression de la Dp71 dans la rétine des souris Dp71-null permettait de restaurer la barrière hémato-rétinienne et de normaliser la réabsorption des œdèmes rétiniens, confirmant ce rôle glial clef de la Dp71.

Tous ces résultats, obtenus in vivo chez la souris Dp71-null, mettent en lumière le rôle clef de la Dp71 dans le cerveau, pouvant être à la base des déficits cognitifs observés chez les patients qui présentent une mutation dans la région distale du gène dmd.

4. Conclusion

Considérée comme une protéine de structure nécessaire à la stabilité membranaire des muscles dans les années 80, la dystrophine est aujourd’hui vue comme une composant clef de l’échafaudage des protéines exprimées dans une variété de tissus, comme le cerveau où plusieurs formes de dystrophine sont impliquées dans le clustering de nombreux récepteurs membranaires et canaux ioniques et dans la modulation de l’intégration des signaux cellulaires et de la plasticité synaptique. Les deux dernières décennies de recherche sur la DMD ont permis des avancées majeures dans les découvertes de processus cellulaires nouveaux et essentiels, comme l’est le clustering des récepteurs du GABA à la synapse inhibitrice centrale par la Dp427 et l’organisation de la machinerie moléculaire impliquant l’homéostasie aqueuse et potassique à l’interface gliovasculaire par la Dp71. Malgré des progrès majeurs, le rôle spécifique de chaque forme de dystrophine dans la genèse des déficiences cognitives dans la DMD nécessite des études plus approfondies pour être pleinement mis en lumière. Le développement rapide d’outils moléculaires et pharmacologiques modernes permettant la modulation de l’expression des dystrophines apporte de nouveaux espoirs pour de futures thérapies qui seront capables de traiter à la fois les altérations musculaires et cérébrales associées à la DMD.

IV. Objectifs

Si les altérations génétiques responsables de la DMD sont aujourd’hui caractérisées avec précision, la variété des symptômes et altérations centrales résultant de différents profils de mutation n’est que partiellement comprise. Cette hétérogénéité phénotypique et clinique s’explique tout autant par la diversité des formes de dystrophines (6 formes de taille variable) pouvant être touchées de manière cumulative en fonction de la position des mutations, que par le profil d’expression distinct de chaque dystrophine cérébrale, le tout couplé à des partenaires d’interaction divers incluant des protéines de structures (comme l’actine), des protéines transmembranaires (canaux ioniques et aqueux, récepteurs synaptiques) et des protéines synaptiques (neurexines, PSD95). L’absence des

dystrophines désorganise ainsi l’architecture cytosolique, membranaire et

extramembranaire de différents types de cellules neurales (neurones, astrocytes), avec des répercutions très vastes sur la neurophysiologie et les fonctions cognitives.

Au niveau cérébral, trois formes principales de dystrophine sont cruciales dans la genèse de déficiences intellectuelles : la forme complète (Dp427) et les formes courtes (Dp140, Dp71). Les études récentes chez les patients ont permis de mieux caractériser leur phénotype, qui présente des troubles cognitifs précoces indépendant de la myopathie et non évolutifs au cours de la vie. Les dystrophines semblent jouer des rôles important aux niveaux sensoriel, émotionnel, intellectuel, et neuropsychiatrique. Des études récentes des relations génotypes-phénotypes ont permis de mieux cerner le rôle de certaines dystrophines, en particulier la Dp427 jouant un rôle important dans les tâches de mémoire verbale de travail (empan mnésique) et d’attention, tandis que la Dp71 serait à la base de déficiences intellectuelles plus profondes et de troubles neuropsychiatriques (autisme, ADHD, TOC). Cependant, ces études sont encore incomplètes et il reste beaucoup de questions en suspens.

Dans ce travail, nous avons utilisé la souris mdx, déficiente spécifiquement pour la Dp427, et la souris Dp71-null, déficiente spécifiquement en Dp71, afin d’apporter des éléments de réponse précis au rôle de chacune de ces dystrophines à l’échelle moléculaire, cellulaire et comportementale.

Dans la première partie de ce manuscrit, je présente les résultats de deux études publiées centrées sur la souris mdx, où nous avons effectué une réévaluation de son phénotype, des aspects sensoriels et émotionnels aux fonctions cognitives et exécutives. Cette approche multidisciplinaire combine des techniques d’immunohistochimie pour préciser le profil d’expression de la Dp427, des techniques électrophysiologiques pour étudier l’intégration des stimuli externes par les organes sensoriels, et une vaste étude comportementale permettant de préciser l’impact phénotypique de la perte de Dp427. Ceci nous a permis de mettre en évidence le rôle crucial de la Dp427 dans les processus d’apprentissage et de mémorisation reposant sur l’hippocampe et l’amygdale. Nous montrons aussi au travers de ces expérimentations la place centrale qu’occupe la Dp427 dans les altérations du comportement émotionnel, moteur et cognitif et nos résultats suggèrent que celles-ci reposent sur une dysfonction du système GABAergique, ce qui

apporte des preuves solides quant à la validité du modèle murin mdx pour l’étude des processus centraux qui mettent en jeu la Dp427.

La seconde partie de ce manuscrit est centrée sur l’étude de la souris Dp71-null, dont nous avons effectué une caractérisation comportementale détaillée comme pour la souris mdx, du sensoriel aux fonctions cognitives de haut niveau, mettant en évidence une altération des processus de mémoire de travail et de flexibilité comportementale. En collaboration avec M. Amar, nous apportons également des preuves électrophysiologiques d’une altération de la neurotransmission glutamatergique et de la balance excitation/inhibition dans le cortex préfrontal impliqué dans les fonctions exécutives. J’expliquerai en quoi ces résultats concordent avec les études cliniques qui lient la mutation de la Dp71 à la déficience intellectuelle et aux troubles neuropsychiatriques. Bien que seul un patient présente une mutation affectant uniquement la Dp71, l’ensemble des dystrophines étant en général mutées de manière cumulative chez la plupart des patients, le modèle Dp71-null apporte des éléments intéressants pour mieux comprendre la complexité et les substrats neurobiologiques mis en jeu dans la genèse d’une déficience intellectuelle sévère dans la myopathie de Duchenne.

La dernière partie est centrée sur ma participation à une étude collaborative, où mes compétences en immunohistochimie ont permis de compléter une vaste étude mettant en évidence l’efficacité d’une nouvelle molécule de thérapie génique, capable de restaurer l’expression de la Dp427 à des niveaux encore jamais observés chez la souris mdx, réexpression ciblant tout autant les organes périphériques (muscle, cœur, diaphragme) que le système nerveux central, et permettant de compenser certains déficits comportementaux. Cette technique basée sur le saut d’exon ne serait applicable qu’à une sous-population de patients et les études toxicologiques sont en cours, mais les résultats obtenus sont très prometteurs et porteurs d’espoirs réalistes pour un traitement global de la DMD.

Je conclurai ce travail de thèse par une discussion générale, confrontant nos résultats obtenus chez la souris mdx et Dp71-null à ceux observés par les cliniciens chez les patients. Ce sera aussi l’occasion d’expliciter certains aspects moléculaires de ce syndrome aujourd’hui encore difficilement quantifiable chez l’Humain, mais également d’appuyer le rôle central que doivent jouer les modèles murins dans les études de thérapie, en particulier en ce qui concerne le déficit cognitif.

Chapitre I

Rôle de la dystrophine