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CHAPITRE 2 Neurones miroirs et compréhension des actions

III. Un système miroir humain

2. Je me représente ce que tu fais

1. Un système particulier de représentation de

l'action

Il n'est pas rare dans le domaine des neurosciences (mais pas seulement) que de nouvelles données permettent une relecture de données déjà connues. C'est ce qui s'est passé à la suite de la découverte des neurones miroirs chez le singe et de sa probable existence chez l'Homme.

En effet, des expériences en électroencéphalographie (EEG) menées dans la première moitié des années 50 renfermaient déjà des indices de l'existence d'un mécanisme miroir chez l'homme. L'EEG permet chez l'homme d'enregistrer les variations de l'activité électrique spontanée du cerveau1. Les différents rythmes de l'activité cérébrale enregistrés peuvent être classés selon leur fréquence d'onde. Ces rythmes varient chez l'homme selon les états de veille/sommeil et en fonction de l'environnement (stimulations sensorielles, etc.). Chez les sujets adultes sains au repos et les yeux fermés, le rythme alpha (8 à 12 Hz) prévaut dans les régions cérébrales postérieures, en l'absence de toute stimulation des systèmes sensoriels. Il suffit au sujet d'ouvrir les yeux pour que ce rythme disparaisse ou s'atténue considérablement. D'autre part, on observe dans les régions centrales le rythme mu, un rythme semblable au rythme alpha. Ce rythme mu prévaut lorsque le système moteur du sujet est au repos. Tout mouvement actif ou stimulation somato-sensorielle suffisent à le désynchroniser.

En 1954, Henri Gastaut et ses collaborateurs avaient montré que l'observation d'une action exécutée par un tiers entrainait une désynchronisation de ce rythme mu chez le sujet examiné (Gastaut & Bert, 1954). Plus de quarante ans plus tard, l'équipe de Ramachandran, puis celle de Cochin corroborent les observations de Gastaut en rapportant une réduction du rythme mu pendant l'exécution, mais aussi l'observation ou encore l'imagination d'une action humaine manuelle. Les auteurs vont alors suggérer que cette suppression du rythme mu pourrait refléter l'activité d'un réseau de neurones miroirs chez l'homme, au sein duquel exécution, observation et imagination de l'action partageraient en partie un même réseau (Altschuler et al., 2000; Cochin, Barthelemy, Roux, & Martineau, 1999).

Par la suite, un certain nombre d'études menées en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)2 et en Tomographie par Emission de Positrons (TEP)1 ont comparé les aires

1 L'EEG est un examen fonctionnel, explorant l'activité électrique produite spontanément par les cellules nerveuses. Le

principe de l'EEG est de recueillir les potentiels électriques sur un appareil qui amplifie les signaux, puis les transcrit pour qu'ils puissent être analysés. Ces signaux sont recueillis en surface, au niveau du scalp

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L'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est une application de l'imagerie par résonance magnétique permettant de visualiser, de manière indirecte, l'activité cérébrale. Elle consiste à enregistrer des variations

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corticales activées lors de a) l'exécution d'action sans retour visuel, b) l'observation passive des mêmes actions, c) l'observation d'actions intransitives (non dirigées vers une cible), d) l'observation de l'imitation d'actions transitives (mimes) et ont montré des correspondances entre les régions activées chez l'homme et le réseau miroir mis en évidence chez le singe. Cependant, le système miroir humain semble présenter des caractéristiques que l'on ne retrouve pas chez le singe, puisqu'il était activé à la fois lorsqu'un sujet humain observait un tiers réaliser une action dirigée vers une cible, mais également pour une action intransitive ou des pantomimes (Aziz- Zadeh, Koski, Zaidel, Mazziotta, & Iacoboni, 2006; Aziz-Zadeh, Maeda, Zaidel, Mazziotta, & Iacoboni, 2002; Buccino, Vogt, et al., 2004; Catmur, Walsh, & Heyes, 2007; Grezes, Armony, Rowe, & Passingham, 2003; Iacoboni et al., 1999).

Chez l'Homme, l'observation, l'exécution d'actions réalisées avec la main (le bras/les doigts) mais également l'observation de pantomimes d'actions activent un circuit temporo-pariéto-prémoteur, principalement latéralisé à gauche (Buccino et al., 2001; Decety et al., 1997; Gazzola, Aziz- Zadeh, & Keysers, 2006; Hickok, 2009; Iacoboni, et al., 1999) impliquant les aires BA 44, 45 et 47 (correspondant à F5 chez le singe et regroupées pour former l'aire de Broca dans l'hémisphère gauche chez l'homme), au niveau frontal, l'aire motrice supplémentaire (AMS), ainsi que les parties ventrale et latérale de BA 6 dans le gyrus précentral (Grafton, Arbib, Fadiga, & Rizzolatti, 1996; Rizzolatti, et al., 1996). On retrouve de plus une activation du cortex moteur primaire (M1). Ces activations cérébrales correspondent en partie à celles que l'on retrouve pendant l'exécution des mêmes actions par le sujet. Les régions ventrale et postérieure du lobe pariétal sont également activées, principalement dans l'hémisphère gauche.

2. Somatotopie de la représentation de l'action

Comme chez le singe, la topographie des activations rapportées chez l'Homme lors de l'observation d'actions correspond à celle que l'on retrouve lors de l'observation d'objets manipulables (e.g. des outils) et dépend de l'effecteur utilisé (on retrouve donc là encore une organisation somatotopique des aires activées). De plus, ces activations pariétales coexistent avec l'activation des aires visuelles concomitantes et responsables de la détection d'objets biologiques

hémodynamiques cérébrales locales minimes, lorsque ces zones sont stimulées. La localisation de ces zones cérébrales est basée sur l'effet BOLD (Blood Oxygen Level Dependant), lié à l'aimantation de l'hémoglobine contenue dans les globules rouges du sang.

1 La tomographie par émission de positrons (TEP) est une méthode d'imagerie médicale qui permet de mesurer en trois

dimensions l'activité métabolique d'un organe. La TEP repose sur la détection, par un appareillage approprié, des rayonnements associés aux positons (particules élémentaires légères de même masse que l'électron, mais de charge électrique positive) émis par une substance radioactive introduite dans l'organisme, et permettant d'obtenir des images en coupe (tomographies) des organes.

en mouvement (Grezes, et al., 2003)ou à la reconnaissance d'objets (Shmuelof & Zohary, 2005), de la même façon que chez le singe au niveau pariétal (neurones miroirs de PF).

En 2001, l'équipe de Buccino utilise l'IRMf pour localiser les aires cérébrales activées durant l'observation d'actions liées ou non à des objets et réalisées avec différents effecteurs (main, bouche et pied). Les auteurs rapportent pour les deux types d'actions, transitives et intransitives, des activations somatotopiques du cortex prémoteur, activations semblables à l'homunculus moteur classique (Rasmussen & Penfield, 1947a, 1947b). Pendant l'observation d'actions transitives liées à des objets, une activation supplémentaire est rapportée au sein du lobe pariétal postérieur, également de façon somatotopique (Buccino, et al., 2001). Ce réseau latéralisé à gauche, impliquant l'IFG, dont l'aire de Broca, ainsi que le lobule pariétal, n'est pas sans rappeler le réseau cérébral mis en évidence dans le traitement du langage chez l'Homme. Ces observations confirmeraient ainsi l'existence de liens potentiels entre systèmes linguistique et moteur.

Le système miroir chez l'Homme présenterait donc la même congruence entre actions observée et exécutée que son homologue simien, l'observation d'actions réalisées avec la bouche, la main ou encore le pied activant de façon somatotopique et sélective les aires motrices et prémotrices correspondantes à l'exécution de ces actions.

2-1 - Activations rapportées par Buccino et collègues (2001) lors de l'observation d'actions réalisées avec la bouche (rouge), la main (vert) et le pied (bleu) et liées à des actions (a) ou non (b). Le cortex prémoteur et le lobe pariétal sont activés de façon somatotopique et l'homunculus moteur est représenté dans la partie droite de la figure. Dans le lobe pariétal, la bouche est représentée de façon rostrale tandis que les représentations du pied sont plus caudales.

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Suite à ces premières études qui semblent apporter de solides arguments à l'existence d'un réseau miroir humain semblable à celui décrit chez le singe, plusieurs études neuropsychologiques ont démontré l'importance de ce réseau pour la compréhension des actions réalisées par autrui.

3. Apraxie et représentation de l'action

En associant la compréhension de l'action (qu'elle soit exécutée ou imitée par autrui) aux régions responsables de sa production, l'hypothèse d'une implication du système moteur dans l'accès aux représentations de l'action prédit que l'apraxie puisse être associée à une incapacité à reconnaître correctement des actions présentées visuellement. Plusieurs études basées sur des patients présentant des lésions de topographies différentes rapportent effectivement des corrélations entre la capacités des patients apraxiques à produire des actions et leur capacité à reconnaître et/ou imiter des actions de la main ou du bras (Buxbaum, Johnson-Frey, & Bartlett-Williams, 2005; Myung et al., 2010; Negri et al., 2007; Pazzaglia, Smania, Corato, & Aglioti, 2008).

Pazzaglia et collègues (2008) ont constitué deux groupes de patients apraxiques, l'un présentant une apraxie buccofaciale, déficitaire lors de l'imitation d'actions impliquant la bouche, l'autre présentant une apraxie des membres, déficitaire lors de l'imitation d'actions exécutées avec la main ou le bras. Ils ont présentés des sons (associés à des actions de la main ou de la bouche, ou des sons non humains – e.g. respectivement : bruit de ciseaux coupant du papier, bruit de succion, bruit d'avion) à ces deux groupes de patients qui devaient associer ces sons à des images décrivant des actions. Les performances des patients présentant une apraxie buccofaciale sélective étaient déficitaires spécifiquement pour les sons décrivant des actions de la bouche, la même spécificité était retrouvée pour les patients présentant une apraxie sélective des membres. L'étude de la localisation des lésions démontrait des atteintes frontales différentes entre les deux groupes de patients, démontrant des substrats neuronaux distincts pour les apraxies buccofaciale et des membres, selon une organisation somatotopique. D'après les résultats obtenus, ces atteintes se répercuteraient directement sur l'imitation et la reconnaissance des actions, quelle que soit la modalité selon laquelle elles sont présentées. En revanche, d'autres études rapportent les cas de patients apraxiques tout à fait capables de reconnaître ou d'imiter des actions qu'ils ne peuvent eux-mêmes produire (Bartolo, Cubelli, Della Sala, Drei, & Marchetti, 2001; Negri, et al., 2007; Rothi, Mack, & Heilman, 1986; Rumiati, Zanini, Vorano, & Shallice, 2001; Tessari, Canessa, Ukmar, & Rumiati, 2007). L'ensemble de ces observations suggère qu'une atteinte spécifique des régions motrices responsables de l'exécution des actions pourrait entraîner des troubles spécifiques de reconnaissance et de compréhension de l'action, confirmant ainsi que ces régions supporteraient en partie les représentations conceptuelles de l'action (Mahon, 2008; Pazzaglia, Smania, et al., 2008).