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CHAPITRE 7 Les mots d'Action : Noms et verbes dans le cerveau, la

V. Apports des études en TMS et en imagerie cérébrale

2. Les études d'imagerie cérébrale

Les résultats de nombreuses études d'imagerie utilisant différentes approches méthodologiques convergent avec les données issues des études neuropsychologiques et chez les sujets sains, suggérant un rôle clé des régions frontales gauches dans le traitement des verbes.

Certaines études ont mis en évidence des patterns d'activation cérébrale identiques, ou se recouvrant fortement, pour les noms et les verbes lors de tâches de décision lexicale, de catégorisation sémantique ou encore de dénomination d'images (Perani, Schnur, et al., 1999; Tyler, Russell, Fadili, & Moss, 2001; Warburton et al., 1996). Elles suggèrent que le gyrus frontal inférieur gauche et les gyri temporaux inférieur et médian bilatéraux soient activés durant le traitement des noms et des verbes, indépendamment de leur classe grammaticale et de leurs représentations sémantiques.

D'autres études ont en revanche révélé l'existence de réseaux plus distincts, du moins partiellement, qui interviendraient différemment lors de la récupération lexicale des noms et des verbes, tantôt à un niveau grammatical, tantôt au niveau sémantique (A. R. Damasio & Tranel, 1993; Peran et al., 2010; Tranel, Martin, Damasio, Grabowski, & Hichwa, 2005; Vigliocco et al., 2006). De la même façon que pour les études utilisant des méthodologies différentes et que nous avons rapportées jusqu'ici, la majorité des études en imagerie cérébrale ont comparé des noms se rapportant à des objets et des verbes se rapportant à des actions dans diverses tâches de compréhension ou production impliquant des mots isolés ou au sein de phrases. Comme nous l'avons déjà discuté, cette dimension est primordiale pour faire la distinction entre 1) l'hypothèse postulant que la classe grammaticale soit à l'origine d'une séparation des substrats neuronaux du

traitement des noms et des verbes, et 2) l'hypothèse selon laquelle les différences entre noms et verbes n'émergeraient que lorsque les processus de traitement morphosyntaxique seraient engagés. Parmi les études ayant comparé le traitement des noms d'objets et celui des verbes d'action (en génération de mots, jugement sémantique ou dénomination d'images), la plupart rapportent généralement des différences du contraste d'activation entre verbes et noms localisées dans le cortex préfrontal gauche (le plus souvent impliquant le gyrus frontal inférieur et médian) et dans le lobe temporal gauche (gyrus temporal inférieur et médian) (Martin, Haxby, Lalonde, Wiggs, & Ungerleider, 1995; Tranel, et al., 2001; Warburton, et al., 1996). Récemment, par exemple, Khader et collègues (2010) ont exploré les corrélats neuronaux de la génération de noms d'objets à fortes associations visuelles et de verbes d'actions à fortes associations motrices. Ils rapportent une activation commune aux noms et aux verbes (objets et actions) au niveau des aires périsylviennes du langage. De plus de fortes activations pour les noms ont été trouvées au niveau du cortex temporal inférieur médian droit, suggérant que la génération de noms implique les aires de traitement visuel des objets décrits. D'autre part, de plus fortes activations pour les verbes sont apparues au sein du gyrus temporal supérieur, une région impliquée dans la perception du mouvement, ce qui suppose que les représentations perceptuelles des mouvements interviennent lors de la génération de verbes d'action. Les auteurs interprètent leurs résultats comme de forts arguments en faveur de l'hypothèse sémantique d'organisation du lexique (Kemmerer & Gonzalez- Castillo, 2010).

Certaines études ont utilisé des tâches supposées faire intervenir le moins possible la composante sémantique du traitement des mots dans plusieurs langues différentes. Dans une étude d'écoute passive de mots en anglais par exemple, utilisant des noms et des verbes décrivant uniquement des événements, Vigliocco et collègues ne rapportent aucune activation spécifique de l'une ou l'autre classe grammaticale (Vigliocco, et al., 2006). En italien, Perani et collègues rapportent une activation frontale inférieure gauche spécifique des verbes dans une tâche de décision lexicale (Perani, Cappa, et al., 1999). Les mêmes activations ont été rapportées par Yokoyama et collègues (2006) en japonais, ainsi que par d'autres équipes dans lesquelles les tâches utilisées impliquaient ouvertement les processus morphosyntaxiques (Palti, Ben Shachar, Hendler, & Hadar, 2007; Shapiro et al., 2005). Cette distinction entre les réseaux neuronaux sous-tendant le traitement des verbes et celui des noms converge avec les données issues des études neuropsychologiques mais ne permet pas d'infirmer ou confirmer l'une ou l'autre des hypothèses quant aux principes d'organisation du lexique.

Reprenant la tâche de transformation morphologique de mots et de pseudomots décrite plus tôt, Shapiro et collègues (2006) ont rapporté des activations plus importantes pour les noms au sein du gyrus fusiforme gauche (BA20). Les verbes entrainaient quant à eux des activations dans les cortex préfrontal (BA9) et pariétal supérieur (BA7) gauches. Les auteurs concluent que leurs

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résultats sont en accord avec l'hypothèse de réseaux neuronaux distincts sous-tendant les représentations de la classe grammaticale des noms d'une part et celle des verbes d'autre part. Cependant et comme nous l'avons déjà discuté, ce type de stimuli ne permet pas d'éliminer totalement la composante sémantique.

Pour distinguer l'influence des informations dépendantes de la classe grammaticale des mots d'une part et de celles liées à leur catégorie sémantique d'autre part, Vigliocco et collègues (2006) ont exploré en TEP les corrélats neuronaux de l'écoute passive de noms et de verbes se référant soit à des événements, soit à des perceptions sensorielles. Ainsi, aucun processus de prise de décision ni d'intégration morphosyntaxique n'était mis en jeu. Les auteurs ont rapporté des activations sélectives des items sensoriels au sein du cortex temporal antérieur, tandis que les items moteurs activaient le cortex moteur primaire. En revanche, aucune activation spécifique des noms ou des verbes en tant que classes grammaticales n'a été retrouvée.

Pour finir, certaines études en IRM fonctionnelle ont exploré les corrélats cérébraux des représentations lexicales associées aux objets possédant de fortes associations motrices, tels que les outils. Ces études ont considéré l'influence de la "manipulabilité" des objets, postulant que le traitement des noms des objets manipulables dépendrait des territoires moteurs, un argument fortement associé à l'hypothèse d'une organisation des représentations conceptuelle des mots selon leurs attributs sémantiques (Boronat et al., 2005; Campanella & Shallice, 2011; Peran, et al., 2010; Saccuman et al., 2006). Récemment, Péran et collègues (2010) ont comparé différentes tâches impliquant des noms d'objets manipulables qu'ils soient manufacturés (e.g. un tournevis) ou biologiques (e.g. une pomme). Ils ont comparé une tâche de génération de verbes d'action à partir de la présentation de l'image d'un objet et la simulation mentale d'une action liée aux mêmes objets. Une tâche de dénomination d'objets (à partir des mêmes items) était utilisée comme tâche contrôle, la génération de noms ne faisant pas explicitement appel aux représentations conceptuelles de l'action.

La génération de noms et de verbes à partir d'objets manufacturés entrainaient des activations au sein des cortex préfrontal et prémoteur gauches ; en revanche que seule la génération de verbes décrivant des actions liés aux objets biologiques recrutait ces régions (contrairement à la dénomination de ces objets). Les auteurs expliquent ces résultats par la différence entre les deux catégories d'objets en termes de représentation lexicale des caractéristiques sémantiques liées à l'action. Dans le cas des objets manufacturés, majoritairement des outils présentant de fortes associations motrices avec les gestes qui les manipulent, l'accès au nom de ces objets et à la façon de les utiliser (i.e. le verbe d'action qui leur est associé) passerait par un réseau de représentations sémantiques commun, impliquant les régions responsables de l'action et de ses représentations motrices. Confortant cette hypothèse, la tâche de simulation mentale de l'action a révélé des activations communes au sein des régions motrices recrutées lors de la génération de verbes

d'action (quelque soit l'objet présenté). En revanche, la dénomination d'objets biologiques manipulables mais qui ne présentent pas d'associations motrices fortes n'impliquerait pas les régions motrices qui ne seraient recrutées que lorsque l'accès aux représentations lexico- sémantiques de l'action est rendu nécessaire, lors de la génération de verbes d'action à partir de ces objets. Ces résultats sont en accord avec les études soulignant le recrutement des régions sous- tendant la représentation motrice des objets manipulables (exécution des actions et représentation conceptuelle de l'action) dans le traitement sémantique des verbes d'action (Boronat, et al., 2005; Grafton, et al., 1997; Grezes & Decety, 2002; Noppeney, Josephs, Kiebel, Friston, & Price, 2005; Saccuman, et al., 2006; Tettamanti, et al., 2005). Les auteurs concluent que les représentations sémantiques et motrices de l'action reposent sur des assemblées neuronales distribuées à travers un réseau fronto-pariétal. Ils proposent que les régions motrices soient recrutées lors de l'accès implicite 1) aux représentations motrices permettant l'accès aux caractéristiques sémantiques liées à l''action, 2) aux caractéristiques sémantiques des verbes durant l'évocation explicite des représentations motrices.

De nombreuses études ont été menées en imagerie cérébrale pour permettre la distinction entre l'influence de la classe grammaticale et celle de la catégorie sémantique lors du traitement des mots. Si l'ensemble des résultats qu'elles ont rapportés suggère que ces deux types de caractéristiques lexicales puissent déterminer le traitement des mots, il semble peu probable que le lexique soit organisé selon la seule distinction entre noms et verbes. Les caractéristiques sémantiques des mots seraient déterminantes dans l'organisation de leurs représentations au sein du cerveau. Ainsi, il semble que les régions motrices et sensorielles soient recrutées lors du traitement des mots se référant à des actions ou aux objets qu'elles manipulent, et à des propriétés sensorielles respectivement, ce indépendamment de leur classe grammaticale. De plus le traitement morphosyntaxique des noms et des verbes, indépendamment du sens qu'ils véhiculent, ferait intervenir les régions temporales (le gyrus fusiforme médian) et le cortex (pré)frontal (gyrus frontal inférieur et supérieur antérieur) respectivement.

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VI. Conclusion

Les noms et les verbes représentent deux catégories de mots qui diffèrent à la fois sur les plans sémantique et grammatical. Dans cette section, nous avons décrit de nombreuses études visant à comprendre les corrélats neuroanatomiques du traitement de ces mots appartenant à des classes grammaticales différentes et véhiculant des représentations sémantiques distinctes. Deux observations principales émergent de l'ensemble des résultats décrits dans la littérature : il existerait une distinction évidente entre les substrats neuronaux des représentations sémantiques des mots décrivant des objets d'une part et des actions d'autre part ; les effets de la classe grammaticale des mots se feraient sentir lors de tâches nécessitant l'accès à et la manipulation de l'information morphologique et syntaxique des mots. Ces observations sont en accord avec les données issues des études neuropsychologiques rapportant les déficits observés chez des patients cérébro-lésés. En termes de systèmes cérébraux, le traitement sémantique des mots d'action et de vision recruterait les aires frontales motrices et temporales visuelles/sensorielles respectivement, tandis que le cortex préfrontal et le lobe temporal seraient activés lors du traitement des aspects grammaticaux des verbes et des noms respectivement.

Ces observations semblent cohérentes avec l'hypothèse avancée par Pulvermüller et développée par les partisans du modèle des neurones miroirs postulant une implication des régions motrices dans le traitement du langage spécifiquement lié à l'action. Qu'il s'agisse de noms ou de verbes, le traitement des mots d'action reposerait bien sur un réseau distribué faisant intervenir les régions responsables de l'exécution de l'action et supportant les représentations motrices des mots s'y référant (qu'ils désignent des objets manipulables ou des actions). Si les données de la littérature s'accordent sur cette proposition, la question de la nécessité de l'implication des régions motrices dans le traitement sémantique des mots d'action reste débattue.

Ce travail de thèse a été réalisé avec pour objectif principal d'apporter des indices robustes quant à l'existence d'une implication nécessaire des régions motrices lors de l'accès aux représentations sémantiques spécifiquement liées aux mots d'action. Dans la deuxième partie de cette introduction, nous focaliserons notre exposé sur les liens particuliers qui ont été mis en évidence entre le système moteur et l'accès au sens des mots d'action. En effet, s'il est clairement établi à présent que production, perception et représentations sémantiques des mots d'action mobilisent en partie les régions motrices, il reste à déterminer si cette mobilisation est élément clef de l'accès au sens, aux représentations sémantiques spécifiquement liées aux mots d'action.

SECONDE PARTIE :

SYSTEME MOTEUR,MALADIE DE PARKINSON ET

ACCES AUX REPRESENTATIONS SEMANTIQUES DES

MOTS D'ACTION

Le traitement sémantique des mots liés à l'action

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CHAPITRE 1 Rôle du système