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CHAPITRE 7 Les mots d'Action : Noms et verbes dans le cerveau, la

III. Apports des études électrophysiologiques

Les potentiels évoqués ont été largement utilisés dans l'étude du traitement des caractéristiques sémantiques et grammaticales du langage. Certaines études ont proposé que la distinction grammaticale entre noms et verbes puisse moduler sélectivement l'activité enregistrée lorsque les noms et les verbes sont présentés en contexte de phrases par rapport à la présentation de mots isolés (C. M. Brown, Hagoort, & ter Keurs, 1999; Federmeier, Segal, Lombrozo, & Kutas, 2000; Lee & Federmeier, 2006). Certains ont exploré les corrélats neuronaux du traitement des noms et des verbes durant la compréhension de phrases ou de textes et ont démontré que l'ambigüité de la classe grammaticale pouvait moduler l'activité électrique enregistrée. Aucune différence n'a été rapportée entre noms et verbes ambigus lorsque les participants lisaient des phrases correctes (Osterhout, 1997). En revanche, Federmeier et collègues ont comparé le traitement de mots ambigus à celui de noms et de verbes non-ambigus dans des phrases. Ils ont de plus contrôlé les aspects sémantiques des stimuli en ne se limitant pas à des noms d'objets et des verbes d'action. Les réponses enregistrées en potentiels évoqués en réponse aux noms, qu'ils soient ou non ambigus étaient plus négatives entre 250 et 450 ms que pour les verbes, au niveau des sites centro- postérieurs. Les verbes comme les noms, à condition qu'ils ne soient pas ambigus, entraînaient également une négativité frontal aux alentours de 150ms, tandis qu'une négativité frontale plus lente, débutant environ 200ms après la présentation du mot était observée pour les mots ambigus. Selon les auteurs, ces données démontrent que la classe grammaticale des mots affecte les réponses corticales, et que le pattern d'activité neuronale lié aux items lexicaux dépendrait du contexte et du rôle particulier que le mot joue dans la phrase. En conclusion, ils proposent que le contexte influence la recherche de l'information grammaticale relative à la classe des mots, celle-ci n'étant pas une propriété inhérente et immuable des items lexicaux (Federmeier, et al., 2000; Lee & Federmeier, 2006).

En ce qui concerne le traitement de mots isolés, plusieurs études rapportent que la classe grammaticale ne semble pas affecter le traitement sémantique des mots. Lors de la présentation de paires ou de triades de mots, l'effet N400 associé à l'amorçage sémantique ne semble pas être affecté par la classe grammaticale des mots, mais des différences topographiques des potentiels évoqués enregistrés pour les noms et les verbes suggèrent que l'accès à ces deux types de mots dépendrait d'assemblées neuronales distinctes (P. Khader, Scherag, Streb, & Rosler, 2003; Rosler, Streb, & Haan, 2001). Cependant Gomes et collègues rapportent des effets distincts du traitement des noms et des verbes sur l'onde N400 mais pas de différence au niveau de la distribution topographique des effets d'amorçage (Gomes, Ritter, Tartter, Vaughan, & Rosen, 1997). D'autres études ont de plus mis en évidence une différence d'amplitude des ondes associées avec le traitement des noms et celui des verbes en rapportant des patterns d'activité corticale distincts pour

des noms associés à des objets et des verbes décrivant des actions. Les verbes semblent ainsi entrainer une onde fronto-centrale plus positive que les noms aux environs de 200 à 300ms, tandis que le traitement des noms entrainait une onde plus positive dans les régions occipitales (Kellenbach, Wijers, Hovius, Mulder, & Mulder, 2002; Preissl, Pulvermuller, Lutzenberger, & Birbaumer, 1995; Pulvermuller, Lutzenberger, et al., 1999; Pulvermuller, Mohr, et al., 1999). S'ils concluent que les propriétés sémantiques des noms et des verbes c'est-à-dire leurs associations visuelles et motrices rendent compte des différences électrophysiologiques observées entre ces mots sur les aires occipitales et fronto-centrales respectivement, les auteurs n'excluent pas pour autant un effet de la classe grammaticale. Là encore il est difficile de dissocier l'influence de la classe grammaticale des mots de leurs caractéristiques sémantiques. Dans une étude comparant des noms à fortes associations visuelles, des noms à fortes associations motrices et des verbes d'action, Pulvermüller et collègues ont mis en évidence des activités corticales distinctes entre les noms de vision et les verbes d'action, mais également entre les noms de vision et les noms d'action. En revanche aucune différence n'était observée lors de la comparaison entre noms d'action et verbes d'action. Pulvemüller et collègues interprètent ces résultats dans le cadre de l'apprentissage "Hebbien", postulant que les différences entre noms et verbes résultent de la mobilisation d'assemblées neuronales distinctes distribuées dans les aires visuelles et motrices/prémotrices respectivement (Pulvermuller, Lutzenberger, et al., 1999; Pulvermuller, Mohr, et al., 1999).

Récemment, Barber et collègues ont comparé le traitement de noms et de verbes, tous se référant à des événements relatifs soit à des

sensations (e.g. nom : odeur vs verbe : renifler), soit à un mouvement (e.g. nom : pirouette vs verbe : marcher). Ils rapportent à la fois un effet de la classe grammaticale et de l'information sémantique entre 300 et 450ms après le début du mot, les noms et mots sensoriels entraînant une onde plus négative que les verbes et mots moteurs respectivement. Les auteurs interprètent ces effets centro- pariétaux comme une modulation de l'onde N400 liée au traitement sémantique de l'information véhiculée

3-1 – Distribution topographique des effets de la classe grammaticale (colonne de gauche) et des attributs sémantiques (à droite) des mots dans les fenêtres de temps [300-450] et [450-1000 ms]. Pris de Barber et al., 2010

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par les mots et proposent l'existence d'un générateur neuronal unique supportant à la fois les représentations grammaticales et lexicales des mots et dont la vraie nature serait sémantique

(Barber, Kousta, Otten, & Vigliocco, 2010).

L'ensemble de ces résultats suggère que les réseaux neuronaux supportant les représentations des noms et des verbes seraient (au moins partiellement) distincts et s'établiraient à la fois en fonctions des propriétés sémantiques des mots et de leur classe grammaticale. La classe grammaticale des mots ne résiderait pas dans leur représentation neuronale mais émergerait d'une interaction entre

propriétés syntaxiques et sémantiques des mots, à la fois lorsque ces mots seraient isolés et placés dans un contexte de phrase (Pulvermuller, Lutzenberger, et al., 1999; Pulvermuller, Mohr, et al., 1999; Pulvermuller, Preissl, Lutzenberger, & Birbaumer, 1996; Vigliocco, Vinson, Damian, & Levelt, 2002; Vigliocco, Vinson, Indefrey, Levelt, & Hellwig, 2004; Vigliocco, et al., 2005). Si les études électrophysiologiques et comportementales chez le sujet sain donnent des indices épars quant à une potentielle différence de traitement entre noms/objets et verbes/action, les études neuropsychologiques de patients cérébro-lésés sont nombreuses dans la littérature (dans une revue rapportant uniquement les cas de patients testés en dénomination d'images, Matzig, et al., 2009 parlent de 240 cas de patients décrits dans 38 articles, entre 1984 et 2006) et peuvent amener de solides arguments quant à l'origine de la dissociation souvent rapportée entre les deux types de mots.