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CHAPITRE 1 L'Amorçage

II. L'amorçage masqué

L'une des questions les plus controversées quant au traitement automatique des mots est celle de notre perception non-consciente du monde qui nous entoure. Les méthodes de stimulation subliminales ont permis aux chercheurs d'explorer cet aspect de la perception dans le cadre du traitement du langage. Le paradigme d'amorçage subliminal masqué permet ainsi de mesurer indirectement la façon dont un stimulus perçu de façon non consciente influence notre comportement. Pour cela, l'amorce est présentée de façon très rapide (pour une durée inférieure ou égale à 50ms) et est masquée, c'est-à-dire qu'elle est précédée et suivie immédiatement d'un masque de "rétroaction" (séquence de lettres ou de symboles sans signification). L'utilisation de la technique d'amorçage masqué a débuté dans les années 80 (Forster & Davis, 1984; Marcel, 1983). Par exemple, Marcel a utilisé la méthode de l'amorçage subliminal masqué pour démontrer l'existence d'un biais sémantique dès lors qu'il présentait une amorce "invisible" (e.g. sel) avant de demander aux participants de faire un choix entre deux cibles, l'une liée sémantiquement à l'amorce (e.g. poivre), l'autre non (e.g. lotus). Les sujets tendaient à choisir préférentiellement la cible liée à l'amorce, suggérant selon Marcel l'existence d'une influence sémantique de l'amorce (Marcel, 1983). De même que lorsque l'amorce est perçue consciemment, les études utilisant ce type de protocole ont démontré que bien que l'amorce ne soit pas perçue consciemment par les participants, lorsqu'elle est identique ou liée sémantiquement à la cible, le traitement de cette dernière est facilité (Deacon, Hewitt, Yang, & Nagata, 2000; Dehaene et al., 1998; Greenwald, Draine, & Abrams, 1996; Kiefer, 2002; Kiefer & Brendel, 2006). Cet effet semble particulièrement marqué pour l'amorçage de répétition. Dehaene et collègues ont utilisé l'amorçage subliminal dans deux études d'imagerie fonctionnelle. En 2001, ils ont montré en IRMf que l'amorçage subliminal de répétition (amorce et cible répétées mais de forme – pour des nombres - ou de casse – pour des mots - différentes) entraînait une diminution de l'activité neurale (ou suppression de la répétition d'activation - Naccache & Dehaene, 2001) au sein du cortex occipital extrastrié, ainsi que dans une région du gyrus fusiforme postérieur appelée "Visual Word Form Area" (VWFA) ou aire de perception visuelle de la forme des mots. Les régions occipitales répondaient à la répétition physique du stimulus (e.g. "radio" – "radio"), tandis que l'activation de la VWFA semblait être insensible au changement de casse (l'effet de répétition était équivalent pour "radio" – "radio" et pour "radio" – "RADIO"). La VWFA coderait les connaissances orthographiques et lexicales abstraites des mots (Cohen et al., 2000), cette étude démontre ainsi que des stimuli perçus inconsciemment sont traités au moins au niveau des représentations orthographiques et lexicales (voir Kouider & Dehaene, 2007 pour une revue). En 2004, la même équipe a utilisé des anagrammes1 pour tester si l'effet de répétition observé au sein de la VWFA

1

Transposition des lettres d'un mot pour former un autre mot. Par exemple : "PARISIEN" et "ASPIRINE" sont formés des mêmes lettres.

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reflétait un traitement "bas-niveau" (au niveau des lettres) ou plutôt au niveau d'unités orthographiques plus importantes. Les auteurs ont par exemple amorcé le mot "REFLET" par le mot "trèfle", deux mots dans lesquels les lettres r, e, f, l et e sont répétées selon la même séquence et à la même position, seule la position du t à l'écran étant modifiée (i.e. "trefle_" versus "_REFLET"). Ils ont ainsi montré que la partie postérieure de la VWFA répondait spécifiquement à la répétition des lettres positionnées au même endroit, tandis que sa partie antérieure répondait aux unités de séquences de lettres (Dehaene et al., 2004). Plusieurs autres équipes ont par la suite montré que plusieurs aires impliquées dans le traitement du langage, dont la VWFA, l'aire de Broca et la partie antérieure du lobe temporal, étaient activées par des mots présentés de façon subliminale (Diaz & McCarthy, 2007; Gaillard et al., 2006).

En résumé, l'amorçage masqué met en jeu des processus d'accès aux représentations lexicales et orthographiques des mots ; tandis que quelques études montrent que ce traitement atteint le niveau sémantique, d'autres affirment que l'accès aux représentations sémantiques des mots ne peut se faire qu'à travers une perception consciente,la question de l'accès aux représentations sémantiques de ces mots étant encore débattue (Abrams & Greenwald, 2000; Damian, 2001). Si ce type de paradigme a été jusqu'à présent largement décrit et utilisé chez les sujets sains, il représente un outil de choix dans l'étude de la composante automatique du traitement lexico-sémantique chez les patients.

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CHAPITRE 2 Amorçage et Maladie

de Parkinson

I. Amorçage répété et Maladie de Parkinson :

l'étude de Boulenger et collègues, 2008

Dans le but de déterminer dans quelle mesure l'intégrité des régions et des circuits moteurs est nécessaire au traitement des mots d'action, l'exploration des effets d'amorçage subliminal masqué chez des patients parkinsoniens semble particulièrement pertinente. Si les boucles motrices sont impliquées de façon cruciale dans l'accès aux représentations lexico-sémantiques des mots d'action, leur atteinte dans la maladie de Parkinson devrait se traduire par un déficit spécifique d'amorçage pour cette catégorie de mots chez les patients.

Afin de tester cette hypothèse, Boulenger et collègues (2008) ont soumis récemment des patients parkinsoniens à une tâche de décision lexicale en utilisant un paradigme d'amorçage de répétition masqué dans lequel l'amorce était présentée de façon subliminale. En opposant des verbes d'action à des noms d'objets, les auteurs ont rapporté un déficit spécifique du traitement automatique des verbes par rapport à celui des noms chez les patients parkinsoniens lorsqu'ils étaient privés de leur traitement médicamenteux dopaminergique. La prise de Levodopa normalisait les performances des patients. Etant donné que, dans cette étude, les stimuli différaient à la fois sur le plan sémantique (actions versus objets) et grammatical (verbes versus noms), il est là encore difficile de trancher quant à l'origine des déficits rapportés. Cependant, les auteurs proposent que la déplétion en dopamine chez les patients parkinsoniens sans traitement médicamenteux provoque un dysfonctionnement majeur de la boucle motrice se projetant sur les cortex moteur et prémoteur, entrainant ainsi un déficit d'accès aux représentations lexico-sémantiques des mots spécifiquement liés à l'action (dans ce cas les verbes d'action). Boulenger et collègues concluent que les processus automatiques d'accès aux représentations lexico-sémantiques spécifiquement liées à l'action reposent, au moins en partie, sur le système moteur et les régions motrices.

II.

Amorçage sémantique et Maladie de