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CHAPITRE 2 La maladie de Parkinson a-t-elle des répercussions sur les

II. Maladie de Parkinson et représentation de l'action

L'atteinte du système moteur dans la maladie de Parkinson et ses répercussions sur les performances des patients lors de l'exécution d'actions sont bien connues à l'heure actuelle. Depuis les années 90 et l'émergence des théories associant représentations conceptuelles de l'action et système moteur, quelques travaux ont étudié l'impact de la MP sur les représentations de l'action. Aux vues des hypothèses récentes quant à l'implication des régions motrices dans la représentation des concepts d'actions, on peut supposer que l'atteinte du système moteur chez les patients parkinsoniens se répercute au niveau des représentations conceptuelles des actions chez ces patients, entraînant une diminution des performances lors de la compréhension d'actions réalisées par autrui.

Les macroélectrodes utilisées pour la stimulation cérébrale profonde chez les patients MP permettent également l'enregistrement des modulations des potentiels de champs locaux (modification de l'activité électrique neuronale locale), fournissant une opportunité d'étudier le fonctionnement des ganglions de la base chez l'homme. Quelques études ont utilisé cette méthode pour mesurer les modulations de l'activité électrique au sein du noyau subthalamique (NST) et du pallidum interne (GPi), chez des patients Parkinsoniens, lors de l'exécution et l'observation d'actions et les comparer avec les données disponibles chez les sujets sains.

L'exécution de mouvements volontaires est normalement associée à des changements de l'activité oscillatoire enregistrée au sein des NST et du GPi : l'activité alpha-beta (basses fréquences, inférieures à 50 Hz) diminue environ une seconde avant l'initiation du mouvement et est maintenue basse jusqu'à la fin de l'action ; cette diminution du rythme beta est associée à une augmentation du rythme gamma (hautes fréquences entre 60 et 90 Hz).

Chez les patients parkinsoniens, la déprivation en traitement dopaminergique (patients OFF- traitement) entraine, au repos, une augmentation anormale de l'activité oscillatoire beta dans les NST et une activité oscillatoire dans la bande de fréquences gamma plus faible qu'en présence du traitement médicamenteux (P. Brown et al., 2001). Le traitement dopaminergique modulerait donc l'activité des NST au repos.

Cette activité anormale a été associée aux bradykinésies observées dans la maladie de Parkinson, chez les patients sans traitement (P. Brown, 2003). Chez les patients avec ou sans traitement dopaminergique, l'exécution de mouvements volontaires entraîne une diminution de l'activité beta dans les NST, de la même façon que chez les sujets sains et malgré l'augmentation anormale de

l'activité oscillatoire au repos chez les patients OFF-traitement. Cette activité oscillatoire

anormale au sein des NST chez les patients en l'absence de traitement dopaminergique pourrait interférer avec l'initiation et l'exécution de mouvements volontaires en rendant plus difficile la diminution de l'activité beta du NST nécessaire durant la phase précédant le mouvement. Après la prise du traitement dopaminergique, l'activité anormale au sein des NST au repos est atténuée et la diminution des oscillations beta lors de l'initiation du mouvement est normalisée (Alegre et al., 2005). Mise à part la modulation du niveau basal de l'activité oscillatoire au sein des NST, le traitement dopaminergique n'influencerait donc pas les modifications d'activité oscillatoire au sein des NST dues à l'exécution d'action.

Chez les sujets sains en EEG, l'observation d'une action entraîne également une diminution de l'activité beta au sein du cortex, de façon synchrone avec le début du mouvement observé, tandis qu'aucune modification de l'activité gamma n'y est associée. Cette modification de l'activité beta rapportée à la fois lors de l'exécution et de l'observation d'actions pourrait refléter l'activité du système miroir et la résonance motrice de l'action observée. Ainsi, si la compréhension de l'action observée repose en partie sur les régions motrices de l'observateur, les modifications de l'activité électrique rapportées lors de l'exécution d'actions chez les patients parkinsoniens sans traitement devraient également être observées lors de la compréhension d'actions effectuée par un tiers.

Les équipes de Marceglia (2009) puis d'Alegre (2010) rapportent que, de la même façon que chez les sujets sains, l'observation d'actions entraîne une diminution de l'activité beta au sein des NST bilatéraux chez des patients parkinsoniens OFF et ON-traitement. Cette diminution de l'activité beta est d'amplitude plus faible que celle rapportée chez les patients lors de l'exécution d'actions.

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En revanche, de même que pour les sujets sains, aucune modification de l'activité gamma n'est rapportée.

Chez les patients parkinsoniens, cette modulation spécifique de l'activité électrique des neurones du NST par l'observation d'actions, ne dépendrait pas de la prise du traitement dopaminergique. En effet, indépendamment de l'augmentation de l'activité basale des neurones au sein des NST chez les patients OFF-traitement, les modifications entraînées par l'observation, comme par l'exécution d'actions, sont similaires chez les patients OFF- et ON-traitement.

4-1 - Modifications de l'activité au sein des NST chez un patient parkinsonien sans traitement dopaminergique, durant l'exécution (en heut) et l'observation (en bas) d'une action. Dans les deux cas on observe une diminution de l'activité oscillatoire beta. Les tracés de l'électromyogramme (EMG) du patient et de l'examinateur permettent de situer dans le temps la réalisation de l'action. Pris de Alegre et al., 2010.

Selon les auteurs, ces résultats démontrent qu'il existerait une association forte entre observation du mouvement et activation des NST qui impliquerait le système miroir humain. Les NST sont directement connectés au cortex frontal (moteur et prémoteur) via la voie "hyper-directe" du circuit moteur, ainsi que par une voie indirecte impliquant des projections cortico-strio-pallido- subthalamiques (Nambu, 2004).

La voie hyper-directe délivre un input excitateur monosynaptique aux NST en provenance des aires motrices et prémotrices. L'activité corticale entraînée par l'observation d'actions via le système moteur pourrait donc facilement se propager aux ganglions de la base et aux NST. Ces modifications de l'activité corticale se reflèteraient alors par les changements de l'activité beta observés dans le STN. De plus, Les oscillations beta basses (10-18Hz) seraient spécifiquement modulées par l'observation de l'action tandis que les modifications des oscillations beta-hautes (20-30Hz) dépendraient à la fois de l'observation de l'action et d'objets liés à ces actions – ce que les auteurs qualifient de "scène d'action" (Marceglia, et al., 2009).

Les auteurs concluent que l'activité des ganglions de la base, et en particulier celle des NST est modulée par l'activité du système miroir humain. La modulation des oscillations beta des NST par les aires corticales motrices et prémotrices en particulier jouerait un rôle clé, non seulement dans l'exécution du mouvement mais aussi dans l'accès aux représentations des informations liées au contexte moteur lors de l'observation de mouvements ou d'objets liés à des actions. Selon cette étude, la MP n'affecterait pas l'accès aux représentations des actions faisant intervenir le NST, puisque malgré les modifications de l'activité basale des NST en l'absence de traitement dopaminergique, les auteurs n'ont rapporté aucune différence d'amplitude entre les modulations de l'activité électrique chez des patients avec et sans traitement dopaminergique lors de l'exécution et de l'observation des actions (Alegre, et al., 2010; Marceglia, et al., 2009). Une diminution de l'activité beta du NST a également été décrite chez des patients durant une tâche d'imagerie

motrice (Kuhn et al., 2006), ce qui renforce l'idée d'une implication des NST dans les processus

d'accès aux représentations de l'action.

Les implications physiopathologiques de ces découvertes restent à clarifier, mais les résultats rapportés chez les patients parkinsoniens suggèrent que les ganglions de la base et les NST feraient partie intégrante du système miroir humain et participeraient ainsi aux mécanismes de compréhension de l'action. Le traitement médicamenteux dopaminergique 4-2 – Rappel des trois voies principales du réseau impliquant les NST

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chez les patients permettrait de normaliser l'activité des NST au repos, facilitant les modulations de l'activité des NST qui surviennent lors de l'exécution et l'observation d'actions (Alegre, et al., 2010; P. Brown, 2003; P. Brown, et al., 2001; Kuhn, et al., 2006; Marceglia, et al., 2009).

Castiello et collègues ont réalisé des mesures cinématiques pour explorer l'effet de l'observation d'un mouvement sur la réalisation consécutive du même mouvement chez des sujets sains et des patients parkinsoniens. Ils rapportent un effet de facilitation visuo-motrice (amorçage visuo- moteur) de l'observation sur l'exécution de l'action chez les sujets sains, effet qui n'est retrouvé chez les patients que lorsque l'action observée est réalisée par un autre patient, et non quand l'action est exécutée par un expérimentateur sain. Les auteurs proposent que les patients soient incapables de réactiver les représentations d'une action exécutée par des sujets sains et qu'ils ne peuvent plus réaliser eux-mêmes (en termes de précision et de vitesse par exemple). La facilitation de l'exécution d'une action par son observation préalable dépendrait donc de la congruence existant entre les représentations des deux actions (Castiello & Begliomini, 2008). Ces résultats ne sont pas sans rappeler ceux obtenus par l'équipe de Dominey en 1995 qui rapportaient que les patients parkinsoniens étaient déficitaires dans une tâche d'imagerie mentale d'actions impliquant leur hémicorps le plus atteint par rapport à l'hémicorps préservé. Ainsi, des patients droitiers plus atteints du côté droit étaient déficitaires à la fois dans la réalisation de mouvements de rotation de la main droite et dans la simulation mentale de ces actions (Dominey, Decety, Broussolle, Chazot, & Jeannerod, 1995). Ces observations suggèrent que les ganglions de la base ne seraient pas uniquement impliqués dans les aspects liés à l'exécution des mouvements mais aussi dans le maintien des représentations internes des actions. Les représentations conceptuelles des actions reposeraient donc sur le système moteur impliquant les ganglions de la base et leurs projections vers les aires prémotrices ventrales et intrapariétales antérieures (régions clés du système miroir proposé par Rizzolatti & Luppino, 2001).

Enfin, Tremblay et collègues ont mesuré les variations de l'activité corticale induites par l'observation et l'imagination d'actions, durant une stimulation du cortex moteur gauche par TMS chez des sujets sains et des patients Parkinsoniens, en mesurant les variations des PEMs au niveau de la main droite. Si l'observation et l'imagination d'actions entraînaient bien une facilitation cortico-motrice chez les sujets sains (donc une augmentation de l'activité corticale au niveau des aires motrices), aucune modification n'a été enregistrée chez les patients. Le déficit de l'activation du système moteur associé au dysfonctionnement des ganglions de la base se répercuterait ainsi sur les représentations de l'action au sein du système moteur, entraînant un déficit des processus de simulation interne des gestes moteurs observés ou imaginés (Tremblay, Leonard, & Tremblay, 2008).

L'atteinte du réseau moteur impliquant les ganglions de la base et leurs projections vers les aires corticales dans la maladie de Parkinson semble mettre en péril l'intégrité des représentations motrices des actions chez les patients. Certaines études ont rapporté des déficits touchant à la représentation de l'action chez ces patients, que ce soit lors de la compréhension d'actions transitives réalisées par un tiers ou de la reconnaissance de pantomimes ou de gestes intransitifs. Si l'intégrité du système moteur est cruciale pour les processus de récupération des mots d'action, alors l'atteinte des ganglions de la base et le déficit moteur qu'elle entraîne devraient se répercuter sur le traitement sémantique de ces mots.

Si l'on considère que la boucle motrice (impliquant les régions motrices et les ganglions de la base) est impliquée dans la compréhension d'actions, que celles-ci soient exécutées ou évoquées via le langage, son dysfonctionnement dans la Maladie de Parkinson devrait se répercuter aussi bien sur l'observation et l'imitation d'actions que sur le traitement sémantique des mots se référant à ces mêmes actions. Quelques études se sont intéressées récemment aux répercussions des déficits moteurs observés dans la maladie de Parkinson sur l'intégrité du traitement des mots d'action chez des patients.