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CHAPITRE 6 Je dis, donc j'agis : Mots d'action et système moteur

III. Sémantique des mots d'action et cortex moteur

2. Apports des études en IRMf

Hauk et collègues sont les premiers, en 2004, à comparer les activations cérébrales entraînées à la fois par l'exécution d'actions simples mettant en jeu différentes parties du corps et la compréhension de verbes d'action. Ils ont tout d'abord localisé les aires motrices somatotopiques impliquées dans la réalisation de mouvements élémentaires de la langue, des mains et des pieds. Puis ils ont demandé aux mêmes sujets de réaliser une tâche de lecture passive de verbes dénotant des actions de la langue et/ou des lèvres (e.g. lick - lécher), des mains et/ou des bras (e.g. pick - ramasser), des pieds et/ou des jambes (e.g. kick - donner un coup de pied). Les patterns d'activation obtenus pour les verbes associés à des actions des mains/bras et des pieds/jambes recouvraient en parties ceux obtenus lors de la réalisation des actions avec ces mêmes effecteurs, de façon significative.

Cette étude est la première à démontrer que la simple lecture passive de mots d'action suffit à activer l'homunculus moteur (Hauk, Johnsrude, & Pulvermuller, 2004). Des résultats comparables ont été retrouvés lors de l'écoute passive de phrases relatives à des actions, impliquant que la modulation différentielle des régions motrices lors du traitement sémantique de mots d'action est indépendante de la modalité de présentation de ces mots (Tettamanti et al., 2005).

2-1 – Patterns d'activation hémodynamique lors de A –

l'exécution d'actions et B – la lecture passive de verbes

d'actions de la langue (en vert), des doigts/mains (en rouge) et du pied/jambe (en bleu). Hauk et al., 2004

En 2006, Aziz-Zadeh, et collègues ont comparé les patterns d'activation corticale obtenus au sein des régions motrices de la bouche, la main et le pied, d'une part lors de l'observation d'actions complexes du corps et d'autre part lors de la compréhension de phrases décrivant le même type d'actions. Ils ont ainsi montré que chacune des régions motrices répondait de façon plus importante aux phrases impliquant l'effecteur qui lui correspondait. Le traitement de stimuli linguistiques liés à l'action impliquerait donc en partie les régions motrices impliquées dans l'exécution mais aussi dans l'observation de ces actions, de façon somatotopique (Aziz-Zadeh, et al., 2006).

L'équipe de Rüshemeyer démontre en 2007 que le pattern d'activation observé au sein des régions motrices lors du traitement de stimuli linguistiques est spécifique aux verbes d'action (par rapport à des verbes dénotant des événements plus abstraits, e.g. espérer, penser, etc.) (Ruschemeyer, Brass, & Friederici, 2007). Dans une étude distinguant plusieurs classes de verbes, Kemmerer et collègues (Kemmerer, Castillo, Talavage, Patterson, & Wiley, 2008) ont montré que les verbes dénotant différentes façons de courir (e.g. marcher, sautiller), de frapper (e.g. frapper, taper, cogner) ou de couper (e.g. scier, trancher) entraînaient des activations au sein des régions motrices du pied/jambe, de la main/bras et des régions prémotrices de la main/bras respectivement. En revanche, des verbes désignant différentes façons de parler (e.g. crier, murmurer) n'ont entraîné aucune activation des régions motrices de la bouche/langue, pas plus que les verbes "de changement d'état" (e.g. briser, écraser).

L'ensemble de ces données obtenues en IRMf rapporte des patterns d'activation somatotopique des régions motrices et prémotrices lors de la lecture/écoute de mots/phrases se référant à des actions plus ou moins complexes des différentes parties du corps. Elles semblent donc valider les prédictions des deux modèles (neurones miroirs et apprentissage Hebbien) en confirmant que la compréhension du sens des mots d'action impliquerait dans une certaine mesure un mécanisme de résonance motrice somatotopique au sein des régions impliquées dans l'exécution et l'observation de l'action.

Cependant, dans une étude en IRMf, l'équipe de Tomasino a comparé les patterns d'activation hémodynamique obtenus lorsque 1) les sujets devaient lire silencieusement des phrases dénotant des actions, ou 2) imaginer (se représenter) les mêmes actions (versus réaliser une tâche de détection de lettre). Les auteurs rapportent que le cortex moteur primaire n'était activé que lors de l'imagination de l'action. Ils proposent alors que les activations motrices décrites dans d'autres études pourraient résulter d'une stratégie développée inconsciemment par les participants qui imagineraient les mouvements du corps décrits via les stimuli linguistiques. Selon eux, la lecture ou l'écoute de mots d'action inciterait les participants à se représenter mentalement l'action décrite, menant à l'activation des régions motrices impliquées dans la réalisation de ces actions et impliquées dans leur représentation (Tomasino, Werner, Weiss, & Fink, 2007).

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Plus récemment encore, Willems et collègues proposent que si la compréhension du sens des mots d'action implique une simulation mentale de ses propres actions, alors les représentations motrices activées lors de cette simulation devraient varier selon la latéralité manuelle des sujets. Ils ont donc proposé à des gauchers et des droitiers une tâche de décision lexicale impliquant des verbes d'action de la main, des verbes d'action non-manuelle et des non-mots1. Dans un second temps, les participants devaient réaliser une tâche explicite d'imagerie mentale (au cours de laquelle ils devaient se représenter mentalement les actions décrites par ces mêmes verbes d'action). Lors de la tâche de décision lexicale, tout comme dans la tâche d'imagerie mentale, les régions prémotrices controlatérales à la main dominante étaient activées préférentiellement. Ces résultats suggèrent que les composantes motrices de la sémantique des verbes décrivant des actions manuelles

dépendent spécifiquement de la représentation interne d'imagerie motrice développée par l'individu. Chacun utiliserait donc ces propres représentations motrices pour se représenter l'action ainsi que le sens du mot qui la désigne, que cette représentation soit délibérée ou entraînée par le traitement sémantique des mots d'action. En revanche le cortex moteur primaire

n'était activé que lors de la tâche d'imagerie mentale. Les auteurs proposent donc que les régions

prémotrices seraient directement impliquées dans le traitement du sens des mots d'action, tandis que les activations observées au niveau de M1 lors de tâches linguistiques traduiraient une simulation motrice implicite provoquée par ces mêmes stimuli, comme l'avaient proposé

Tomasino et collègues (Willems, Hagoort, & Casasanto, 2010).

Plusieurs propositions ont été faites quant aux raisons de l'activation du cortex moteur primaire observée lors du traitement sémantique de mots d'action : certains proposent que la compréhension de phrases liées à des actions implique une simulation interne de ces actions, et que l'activation des circuits sensori-moteurs puisse être due à cette imagerie mentale. La simulation mentale de ces actions au sein du système moteur permettrait ainsi la compréhension de la description linguistique de ces actions (Buccino, et al., 2005; Tettamanti, et al., 2005; Zwaan & Taylor, 2006). D'autres suggèrent que l'imagerie motrice serait un phénomène corollaire au traitement sémantique des mots d'action, la perception de ces mots menant parfois à la génération d'images mentales liées au concept décrit. Selon cette hypothèse, l'activation du cortex moteur ne serait pas nécessaire à la production du mot d'action . Enfin, quelques auteurs considèrent l'imagerie mentale comme un effet secondaire de la compréhension des mots liés à l'action (Boulenger, et al., 2006). Les résultats décrits jusqu'à présent ne démontrent pas clairement une implication nécessaire de M1 pour le traitement du sens des mots d'action.

Ces données obtenues en IRMf semblent apporter une validation des prédictions des deux modèles (neurones miroirs et apprentissage Hebbien) en confirmant que la compréhension du sens des mots d'action impliquerait un mécanisme de résonance motrice au sein des

1 Les non-mots sont des chaînes de caractères ne respectant pas les règles phonologiques de la langue (ils ne donc pas prononçables). Par exemple, "XDVCNB" est un non-mot.

régions impliquées dans l'exécution et l'observation de l'action. Cependant, comme le montrent les résultats obtenus récemment par les équipes de Tomasino et Willems, il nous faut considérer ces conclusions avec prudence. Si toutes les études portant sur le traitement sémantique des mots d'action soulignent la présence d'une activation des régions motrices, rien ne nous permet encore d'affirmer que cette activation est indispensable à la compréhension du sens des mots d'action.

2-2 – Pics d'activation dans les cortex prémoteur (en jeune) et moteur primaire (en bleu) gauches rapportés dans les études d'imagerie fonctionnelle sur les corrélats neuronaux des représentations sémantiques des verbes et phrases désignant des actions du pied/de la jambe, de la main/du bras, et de la bouche (Kemmerer & Gonzalez-Castillo, 2010).

La résonance motrice associée au traitement des verbes d'action reflète-t-elle un mécanisme automatique de récupération de l'information sémantique, ou plutôt un processus d'imagerie mentale qui surviendrait après la compréhension du mot? L'électrophysiologie pourrait apporter des indices probants quant à une implication réelle des régions motrices et prémotrices dans le traitement sémantique des mots d'action.

Plusieurs études en EEG et en MEG ont donc exploré le décours temporel des activations motrices en réponse à des stimuli linguistiques pour répondre à cette question.

3. Apports des études d'électrophysiologie :