• Aucun résultat trouvé

La représentation est, pour le domaine de la psychologie, l’« ensemble des opérations au terme desquelles une image apparaît aux sens, à l’esprit » (Cajolet-Laganière, 2013b, s.p.). Elles serviront, d’une part, à former nos conceptions sur des sujets de notre quotidien, mais nous guideront également dans nos choix. Ces représentations ne sont pas que le fruit de notre pensée, mais elles sont aussi partagées collectivement, donnant lieu à des phénomènes et des mouvements sociaux, lesquels créent la société et lient les individus entre eux (Lo Monaco, Delouvée et Rateau, 2016). Bref, elles donnent lieu à des conceptions partagées ; elles deviennent des représentations sociales.

5.1 Les représentations sociales

Cette recherche traite des représentations sociales des sujets à interroger, d’une part, celles sur la créativité et, d’autre part, celles sur l’art. Considérant que les représentations sociales sont déterminées par le contexte social et historique d’un domaine ou d’une situation en particulier, qu’elles sont à la fois partagées par un ensemble d’individus, reprenant toutefois les opinions et les conceptions individuelles de chacun, elles ont donc un impact sur les idéologies, sur les attitudes, opinions ou encore sur les choix que l’on peut faire (Pouliot, Camiré et Saint-Jacques, 2013). Les représentations d’enseignants sur la créativité ou sur l’art peuvent donc provoquer des différences dans le choix des activités d’apprentissage.

À partir d’un même projet artistique et culturel, nous pouvons voir que les enseignants ont des pratiques très différentes lorsqu’il intègre une dimension culturelle dans leurs enseignements grâce aux arts […] Chaque enseignant semble improviser en fonction de son bagage d’expérience et expérimenter en fonction de sa représentation (Lemonchois, 2009, p. 233).

En ce qui concerne l’art, les représentations sociales sont en lien avec l’évolution historique de l’art. Nous avons relevé trois paradigmes majeurs en histoire de l’art : le paradigme classique, moderne et contemporain, lesquels sont décrits plus haut. Chacun teinte la manière dont l’enseignant se représentera l’art dans sa pratique (Heinich, 2014). Pour la créativité, l’histoire du concept laisse place à deux directions conceptuelles : une vision plus classique

et une vision psychologique de la créativité. La première, tirée des beaux-arts et de l’art moderne, propose une vision de la créativité comme une capacité extraordinaire et unique. L’aspect qui est créatif se perçoit à travers l’œuvre produite, ayant fait préalablement l’objet de critiques du public : « Le génie, encore une fois, se reconnaît dans ses productions, par le résultat qui se dessine devant lui, comme la reconnaissance d’un fait accompli » (De la Durantaye, 2012, p 9). La deuxième laisse pour compte l’idée du génie créatif et considère la créativité davantage comme un processus commun à tous, telle une résolution de problème. Cette dernière « nous semble porter un certain espoir pour le pédagogue de l’art, puisqu’elle s’attarde à décrire ce qui se passe durant le processus créatif, c’est-à-dire lorsque l’artiste est à l’œuvre » (De la Durantaye, 2012, p.12). L’évolution sociale de la créativité, décrite au point 3.2, passant d’un courant plus romantique au courant rationaliste, teinte alors la représentation des enseignants envers le concept.

5.2 Le rapport des enseignants à la créativité

Plusieurs études s’entendent pour dire que les enseignants conçoivent la créativité comme une compétence importante pour le développement de l’enfant (Cohen, 1988 ; de Bono, 1985, 1990 ; Grupas, 1990 ; Isaksen, Dorval et Treffinger, 2000 ; Lynch et Harris, 2001 ; Osborn, 1953 ; Petersen, 1997 ; Sternberg et Williams, 1996 ; Torrance et Safter, 1986 ; Lubart 1994 ; cités par Aljughaiman et Mower-Reynolds, 2005). Toutefois, des études démontrent également qu’il existe une opposition de leurs pratiques à leur conception de son importance :

Les enseignants ne semblent pas aimer les personnalités créatives. Leurs pratiques découragent la créativité en mettant l’accent sur l’obéissance, les bonnes manières et la pensée traditionnelle. Les enseignants préfèrent les étudiants ayant un QI élevé, moins de créativité et une plus grande conformité.10 (Aljughaiman et Mower-Reynolds, 2005, p.2)

10 "Teachers do not seem to like creative personalities. Their practices discourage creativity by emphasizing obedience, good manners, and traditional thinking. Teachers prefer students with high IQs, less creativity, and greater compliance."

Ces études dénotent alors deux directions opposées, qui prétendent que les enseignants conçoivent la créativité comme nécessaire pour le développement global des enfants, tout comme le programme de formation l’indique, mais qui prétendent également que les enseignants ne l’encouragent pas (Aljughaiman et Mower-Reynolds, 2005). Malgré leur bonne volonté, ils décourageraient les pratiques créatives, en gratifiant davantage les bonnes manières, la pensée traditionnelle, bref des capacités convergentes. Alors que cette étude démontre la préférence des enseignants à un quotient intellectuel élevé, plutôt qu’à une grande créativité, il serait alors plutôt nécessaire de s’attarder à l’origine de cette croyance :

Très peu des études mentionnées donnent un aperçu des origines, des croyances et des pratiques des enseignants [...]. La recherche antérieure n’explique pas non plus le paradoxe entre les suppositions des enseignants, concernant l’importance de promouvoir la créativité, alors que leurs pratiques semblent incompatibles avec leurs croyances. 11 (Dawson, 1997 ; Fleith, 2000 ; cités par Aljughaiman et Mower-Reynolds, 2005, p.3)

Le rapport à la créativité chez les enseignants peut être flou, dans la mesure où les représentations sociales et scientifiques le sont également. Plusieurs études s’attardent à la conception de la créativité d’une manière générale, sans nécessairement la relier à sa provenance. Une certaine étude, sur les conceptions des enseignants vis-à-vis la créativité des élèves, permet de déterminer un autre point important, celui des conceptions des enseignants par rapport à leur rôle dans le développement de cette compétence chez les élèves :

La majorité des participants ont indiqué que de faciliter la créativité des élèves est inclus dans le rôle des enseignants, mais ils (les enseignants eux-mêmes) ne se sentent pas bien formés et

11 "Very few of the aforementioned studies, offer insights as to the origins of teachers’ beliefs and practices […] prior research also fails to explain the paradox between teacher suppositions regarding the importance of promoting creativity when their practices appear inconsistent with their beliefs."

assez confiants pour réaliser cette attente particulière.12 (Kampylis, Berki et Saariluomaa, 2008, p.15)

On peut alors comprendre que les enseignants se sentent parfois non outillés pour amener les élèves à leur plein potentiel créatif ou encore pour laisser une plus grande liberté à l’élève. L’impact du système social en fera tout autant, puisque dans un système individualiste, les qualités d’une personne créative sont grandement reliées au potentiel de l’individu et aux idées uniques, tandis que dans un système collectiviste, les normes et la conformité sont mises de l’avant (Oral, 2008) : « Dans les systèmes éducatifs collectivistes où les normes et les valeurs de groupe sont super-imposées aux jeunes, les compétences créatives et intellectuelles sont façonnées par les autorités qui sont obligées de maintenir le statu quo »13

(Oral, 2008, p.6). Une dialectique est ainsi créée par l’importance du développement de chaque enfant dans leur plein potentiel, en favorisant la différenciation pédagogique, mais également parfois en opposition avec la manière dont le système d’éducation est construit pour la cohésion des groupes et l’adhésion aux normes sociales (Oral, 2008 ; Orhon, 2012).

12 "The majority of the participants reported that the facilitation of students’ creativity is included in the teachers’ role, but they (teachers themselves) do not feel well-trained and confident enough to realise this particular expectation."

13 "In collectivistic educational systems where group norms and values are superimposed on young people, creative and intellectual skills are shaped by authorities who are obliged to maintain the status quo."