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Les représentations des compétences des hommes et des femmes

Parcours professionnels et compétences de femmes intégrant des métiers dits masculins

4. Les représentations des compétences des hommes et des femmes

Ce que nous appelons les mentalités ou les représentations collectives des rôles, des compétences voire des qualités différenciées des hommes et des femmes et, par conséquent, des postes et métiers qu’ils sont à même d’occuper, se retrouve de manière assez proche dans les différentes catégories de personnels (hommes et femmes, responsables et opérateurs). Et il reste rare d’entendre des femmes occupant des postes exclusivement féminins et opérant sous la responsabilité exclusive d’hommes, se plaindre ou dénoncer une telle manière d’organiser la division du travail.

4.1. La mise en exergue des « qualités naturelles »

Si la quasi-totalité des responsables d’entreprise ne disent pas ouvertement qu’ils font une différence entre les capacités féminines et masculines, précisant que ce qui les intéresse, c’est « avant tout les compétences de l’individu bien avant son sexe », cette « indifférenciation » ne se répercute pas entièrement sur la gestion des recrutements ou sur la répartition des tâches et des postes de travail entre les hommes et les femmes : on “laisse faire”, auquel cas et d’une manière spontanée les femmes se trouvent maintenues à distance des postes masculins et exclues des postes à responsabilité, ou l’on intervient pour faire de la “discrimination positive”. Et ce sont les mêmes qui déclarent ne pas s’intéresser au sexe du candidat à recruter qui affirment qu’ « à qualité égale, je mets une femme ». C’est dire que l’accès des femmes à des postes habituellement masculins ne se fait toujours pas d’une manière spontanée et met plutôt en exergue les différences supposées de capacités et de compétences entre les hommes et les femmes. Des « qualités » sont attribuées aux femmes, d’autres aux hommes. Cette directrice d’usine déclare : « Il y a des ‘qualités’ proprement féminines. Telles qu’écoute, sens du client, clarté, exemplarité, courage, constance… Les femmes vont au bout de leur projet. » Autres spécificités féminines : « Les femmes sont aisément polyvalentes, elles sont plus souples que les hommes, ce qui est important en termes de polyvalence interne ». Ou encore « Je préfère avoir des femmes à la production que des hommes, elles sont plus minutieuses ». De même, un directeur technique affirme que s’il avait à recruter un cariste, par exemple, il choisirait un homme plutôt qu’une femme, « l’homme étant plus brusque et moins mou. Quant au poste de tri, il conviendrait mieux d’y mettre une femme. Elle est plus méticuleuse. »

4.2. Des bastions à cultiver

C’est ainsi que subsistent des bastions masculins, des endroits réservés où la présence des femmes n’est pas envisagée, voire souhaitée : ateliers mécaniques, outillage, réglage, maintenance, logistique dans certaines entreprises, postes de « chefs » dans d’autres… Le maintien de terrains réservés, même s’ils sont de moins en moins nombreux, semble toujours d’une grande importance dans l’ensemble des entreprises rencontrées. Ils exigent des compétences techniques, acquises par des formations professionnelles et sanctionnées par un diplôme, qui sont présupposées être possédées par les hommes. Ils sont soumis à des conditions de travail qui peuvent être difficiles, parce que ces travaux tenus pour masculins requièrent souvent le port de charges lourdes, ou des postures peu ergonomiques.

4.3. Le masculin et le féminin

Les résistances à la mixité et à l’accès des femmes à des postes masculins émanent a priori des hommes. Mais les femmes y contribuent aussi ! Dans plusieurs entreprises et usines, des femmes acceptent difficilement d’être gérées par des femmes et n’acquiescent pas souvent de les voir à des postes de responsabilités. « Je préfère avoir un

homme comme chef », déclare cette ouvrière, « les femmes seraient plus tordues, moins directes. » Encore, dans une autre usine, « lorsque mon chef était une femme, j’avais l’impression d’être surveillée ! » Ou alors, « les deux chefs- femmes qu’il y avait auparavant traitaient les ouvrières comme moins que rien » ; « les chefs-femmes ont moins de respect pour les autres femmes que les chefs-hommes. »

Les visions communes, les représentations de « l’homme » et de la « femme » conditionnent et interagissent toujours sur l’image que les hommes se font d’eux-mêmes et celle que les femmes se font d’elles-mêmes. Un responsable aimerait encourager les femmes à venir aux postes de vérificatrices mais « je n’ai pas l’impression que beaucoup de conductrices le souhaitent. Elles auraient ‘peur de se faire remarquer en passant au-devant de la scène’. » Sans compter, dans d’autres lieux, sur le fait qu’ « une femme risque dans certains cas d’avoir à affronter les moqueries de ses collègues masculins. »

Les évolutions technologiques – direction assistée, aides à la manutention, robotisation – ont contribué également à faire évoluer les mentalités dans la mesure où des postes qui étaient lourds, fatigants physiquement, salissants et considérés comme peu féminins sont devenus techniquement possibles pour les femmes : c’est le cas des conductrices de bus, des caristes dans un certain nombre d’entreprises, des opératrices de robots de soudure.

4.4. Construction et valorisation des compétences dans les différents parcours

Dans les entreprises industrielles que nous avons étudiées, la référence à la technique demeure fondamentale, l’articulation entre « métiers d’hommes » et possession d’un diplôme technique paraît essentielle, et les promotions semblent fondées sur les compétences et qualités techniques mais aussi relationnelles des salariés. Il existe pourtant un certain nombre d’exceptions à cette règle générale ou du moins des applications modulées que nous avons repérées dans chacun des quatre parcours de notre typologie.

Dans les parcours statiques, les femmes n’ont pas de formation professionnelle initiale industrielle, ou possèdent des diplômes de niveau V du tertiaire. Elles n’ont pas eu de difficultés pour accéder à leur emploi, qui est peu qualifié, mais n’ont aucune perspective d’évolution de carrière parce qu’elles n’ont pas pu, ou pas voulu bénéficier de la formation professionnelle continue. Elles ont uniquement bénéficié à l’époque de formations courtes d’adaptation aux postes de travail afin d’acquérir des savoir-faire spécifiques, ainsi que des formations à la sécurité.

Dans les parcours réactifs, les salariées concernées ont suivi des formations professionnelles industrielles initiales de niveau 5 validées par un diplôme. Mais elles n’ont pu valoriser ces compétences techniques lors de leur entrée sur le marché du travail en raison de réticences ou de discriminations. Elles ne parviennent que très difficilement à obtenir des emplois qui soient plus en adéquation avec leur formation au cours de leur trajectoire professionnelle parce qu’elles n’ont pas eu la possibilité de mettre en œuvre leurs savoirs et savoir-faire techniques. Cependant, il suffit d’une mise à jour de leurs savoirs initiaux pour qu’elles puissent accéder à des postes dits masculins, mais ces opportunités sont rares.

Dans les parcours opportunistes, les femmes interrogées n’ont pas validé leur formation initiale, mais elles se donnent les moyens d’évoluer professionnellement. Elles trouvent dans l’entreprise une deuxième chance et se construisent un véritable parcours professionnel en s’investissant dans les formations professionnelles qualifiantes voire diplômantes proposées par leur entreprise.

Dans les parcours stratégiques, qui concernent une période plus récente, les salariées concernées ont suivi des formations initiales techniques de niveau III ou plus, validées par un diplôme. Dans un contexte plus favorable à la mixité, certaines n’ont accédé que très progressivement à des emplois correspondant à leur niveau de qualification. Seules quelques salariées ont accédé directement à des postes techniques de haut niveau par le biais d’un recrutement externe. On peut souligner cependant que l’accès des femmes à des postes hiérarchiques de management reste très limité en raison des résistances manifestées par les entreprises.

Conclusion

Partant des parcours professionnels de femmes ayant intégré des métiers dits masculins, nous avons tenté de dégager les modes de construction et de valorisation des compétences dans ces trajectoires individuelles.

Les situations examinées ont montré que les liens entre les formations techniques et l’évolution professionnelle n’étaient pas toujours très serrés pour les salariées interrogées, alors même que la référence au diplôme reste un élément central dans la gestion des ressources humaines des entreprises étudiées. Ce phénomène pourrait tenir au fait que les évolutions de carrière se construisent sur la base de promotions et de systèmes de primes fondées sur l’idée non totalement objectivable de compétences et que ces systèmes sont dans l’ensemble plus favorables aux hommes (Barrat et Meurs, 2003).

Dès lors, on peut se demander si les systèmes de classification et de rémunération fondés sur des caractéristiques individuelles objectivables (diplôme, ancienneté, expérience professionnelle) qui s’inscrivent dans un cadre collectif ne seraient pas aujourd’hui plus favorables pour les femmes, contrairement à la situation qui prévalait auparavant (Silvera, 1999).

Bibliographie

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Les raisons du non-accès à la formation continue des travailleurs précaires :

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