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Les jeunes les plus rétifs à l’idée de formation qualifiante différée

Retour sur un lieu commun et une injonction à la formation

2. La formation différée dans les discours et récits des jeunes

2.2. Les jeunes les plus rétifs à l’idée de formation qualifiante différée

En regard de ces jeunes favorables à une formation qualifiante différée d’autres semblent au contraire peu convaincus de son intérêt, leur posture est baptisée « l’incertain », voire convaincus de son inutilité, c’est le « parti du non ».

Le profil de « l’incertain » peut rassembler deux attitudes qui se différencient par le degré de consistance ou de non implication que laisse transparaître le discours du jeune. De nombreux garçons émettent ainsi une réponse floue quant à l’éventualité d’une formation, que ce soit un « oui bof » peu convaincu, ou bien un « oui » contredit par une attitude très passive.

Dans le premier groupe, la question de la formation qualifiante différée n’est pas envisagée dans le court terme, et surtout il s’agirait de toutes façons d’un pis-aller. Ces jeunes hommes émettent un discours convenu sur l’utilité des diplômes en tant que signal (« toujours un plus sur le CV »), mais visiblement, n’entendent pas creuser de sitôt dans cette direction. Ils ne s’y retrouvent pas, que ce soit pour accéder à un emploi, se réorienter ou progresser dans leur domaine. F. (Lille), en recherche d’emploi, ne se tournerait vers la formation qu’« en dernier recours, pour garder (son) logement ». K. (Lyon) qui n’est jamais allé au bout de ses expériences de formation précédentes, car il continuait à s’occuper de son camion-pizza, n’y songerait qu’« au cas où les affaires marchent moins bien » .

« Faut voir… c'est toujours bien d'avoir des diplômes dans sa poche… si j'ai rien de mieux à faire alors j'y vais…c'est pas quelque chose que j'envisage… » (E., Lille).

Dans le second groupe, l’approbation est noyée par l’inactivité totale déployée pour atteindre cet objectif. Le projet s’est parfois plus ou moins arrêté à l’occasion d’un contact téléphonique qu’on ne parvient pas à établir depuis des mois et des mois ou d’une réponse qui n’est pas donnée. Ces atermoiements ne semblent pas provoquer de réactions, ces jeunes sont « en attente » à l’égard d’institutions (ML, ANPE, organismes de formation). Ils semblent rejouer, après plus de six ans de vie active, l’hasardeux processus d’orientation par lequel ils sont passés, en règle générale,

en 3ème. Les institutions (ML, ANPE, organismes de formation) semblent perçues comme les héritières des

conseillers d’orientation du collège. Ils connaissent mal les possibilités d’accès et les formations effectivement disponibles sur le marché.

« C’est eux [la ML] qui vont me réorienter vers le choix que j’ai voulu faire : la mécanique moto… Ils sont en train de chercher une entreprise qui pourrait me prendre. Pour voir comment je me débrouille en mécanique moto et après pour me faire passer un diplôme de qualification. Là ils doivent me trouver quelqu’un pour avoir mon niveau avant de passer un diplôme. » (J., Lille).

On est bien loin d’un agent économique anticipant l’avenir et optimisant un choix d’investissement avec un calcul coût/avantage…

Enfin, d’autres jeunes semblent beaucoup plus sûrs de leur posture, c’est le parti du « non ». Ils manifestent une opposition très claire à l’idée de formation qualifiante aujourd’hui, au moins pour ce qui les concerne, et souvent même sur le principe. Pour la plupart de ces jeunes, cette réticence semble assez « enracinée ». Elle s’appuie fréquemment sur un passé scolaire encore mal digéré malgré les années écoulées. Enfin, de leur point de vue, le

problème n’est pas un manque de formation ou de compétences de leur part mais le manque d’emplois… La comparaison avec la génération des parents semble plus souvent présente. La faible rémunération associée à une formation est plus souvent évoquée comme motif de refus :

« Quand vous travaillez, vous touchez, on va parler en francs, 11 000 francs ou quoi. Et puis après, on vous propose des formations à 2000 francs ou quoi, c’était « non » tout de suite. 2000 francs, qu’est-ce qu’on va faire ? Tu payes le téléphone, deux trois trucs, c’est tout. Je préfère travailler. Même si après ça me rapporte un travail. » (F., Lille, qui accumule les courts épisodes d’intérim et vit toujours chez ses parents).

Quels enjeux ?

Ces jeunes peu enclins à bénéficier d’une formation qualifiante différée, sont peu nombreux à relier problèmes durables d’accès à l’emploi et manque de formation.

o Beaucoup professent ne pas croire au pouvoir de la formation, ni en son « effet titre » (le « signal » est

inefficace) ni en son « effet compétence » (la « boîte » n’est pas loin d’être vide). On cite tel ou tel diplômé qui se trouve au chômage ou qui exerce le même emploi que des non-qualifiés. D’autres remettent en cause l’efficacité des stages pour acquérir des compétences. Pour plusieurs garçons, les employeurs rechercheraient avant tout les qualités pratiques acquises par l’expérience de terrain.

« Je connais quelqu’un, ici, qui a le BTS, il cherche du boulot, il a rien. Ca fait un an et demi, il cherche du boulot, il a le BTS, et rien » (M., Paris).

« Moi, ce que je pense moi, dans mon CV, je préfère marquer que j’ai trois ans d’expérience, que j’ai travaillé trois ans, plutôt que de dire que je viens d’avoir mon CAP » (R., Marseille).

o Pour d’autres jeunes, l’horizon professionnel qu’ils anticipent rend caduque la possession d’un diplôme. Ils

se sentent, dans tous les cas, voués à des emplois peu qualifiés et/ou précaires, sans perspective de promotion. L’inscription dans le marché secondaire semble programmée :

« - faire une formation (…), continuer l’école, ça m’aurait quand même amenée à faire ce boulot. J’en suis, j’en étais sûre et certaine, en fait. C’était…

-La fatalité ?

-Oui, voilà. Sûre et certaine que je fasse ce boulot, quoi » (S., Paris, en emploi dans la confection dont elle est peu satisfaite).

o Si le retour en formation est ici associé à un avantage faible ou nul sur le marché du travail, il peut être de

surcroît représenter un « coût psychologique » important :

« Maintenant c’est comme si je retournais à l’école, et là ça me rappellera des mauvais souvenirs. J’aime bien la lecture mais rentrer des choses dans la tête, non » (D., Paris).

Ce coût psychologique, largement absent dans les théories présentées précédemment, peut évidemment représenter une barrière importante.

Conclusion

Ces entretiens, comme les théories économiques envisagées, nous permettent de questionner la pertinence d’une politique essentiellement basée sur le développement d’une offre de formation qualifiante différée. Si pour certains jeunes l’engagement dans une telle formation fait « sens », d’autres s’en tiennent toujours à l’écart six ans après leur entrée dans la vie active.

Comme le laissaient prévoir les théories du capital humain ou du signal, les jeunes ont des postures variées face à l’offre de formation différée. Toutefois, les enjeux mis en avant sont souvent éloignés d’un calcul d’optimisation intégrant les revenus à venir. Très peu de jeunes affichent comme mobile pour la formation un gain anticipé sur le plan salarial. Cela ne résulte vraisemblablement pas d’une autocensure. Pour la plupart des jeunes considérés, les

préoccupations majeures semblent concerner l’accès à l’emploi et à une certaine sécurité. On peut aussi noter qu’un cercle vertueux s’enclenche et conduit vers la formation un jeune dès lors qu’il acquiert une préférence marquée (voir une passion) pour un domaine professionnel dans lequel le diplôme tient une place centrale. Nous retrouvons ici, peu ou prou, un processus en lien avec les « marchés professionnels ». Parmi les obstacles à la formation, on peut pointer, outre un fort scepticisme quant aux vertus du diplôme sur le marché du travail, le « coût psychologique » associé à la formation.

Au-delà du repérage des attitudes et des enjeux affichés par les jeunes, la genèse de leurs postures vis-à-vis de la formation mériterait d’être examinée en détail dans une approche plus longitudinale.

Les liens avec les expériences d’emploi passées comme les effets hérités de l’expérience scolaire sont variables et complexes. Certains jeunes ont apprécié l’école, y ont trouvé un intérêt et aujourd’hui encore sont favorables à l’idée d’une formation qualifiante différée. Leurs expériences professionnelles n’ont fait que les conforter dans cette position : une formation différée apparaît réellement comme une « deuxième chance ». Pour ces jeunes la sortie non diplômée de l’école apparaît plus comme un « accident » de parcours (car ils ont eu des problèmes de santé, n’ont pas trouvé de place dans la formation souhaitée, leurs parents ont refusé leurs choix d’orientation, ils n’ont pas trouvé de maître d’apprentissage…) que comme un choix motivé et « rationnel ».

Inversement, d’autres jeunes n’ont jamais accordé aucun crédit à la formation, qu’elle soit initiale ou différée, et leurs six années passées sur le marché du travail leur ont confirmé cette posture : une formation ne leur servirait à rien, soit qu’ils peuvent correctement s’insérer professionnellement sans, soit qu’ils se pensent de toutes les façons, avec ou sans formation, condamnés à la précarité.

Mais les six années passées sur le marché du travail ont également pu conduire les jeunes à modifier leur appréciation de la formation qualifiante. Ainsi un hiatus apparaît parfois entre pertinence de la formation initiale et pertinence d’une formation différée. Par exemple, certaines filles relatent une expérience scolaire douloureuse, leur « deuil » de l’échec scolaire n’est pas forcément réalisé et elles sont pourtant favorables à un engagement dans une formation qualifiante différée. C’est dans tous les cas pour changer d’orientation professionnelle et pouvoir accéder à un emploi dont elles ont réellement envie. La formation a pris un « sens » pour ces jeunes filles et c’est du côté de leur cheminement sur le marché du travail qu’il faut sans doute en rechercher l’origine…

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L’articulation formation-emploi dans la valorisation salariale des compétences

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