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Des trajectoires professionnelles différenciées

Parcours professionnels et compétences de femmes intégrant des métiers dits masculins

3. Des trajectoires professionnelles différenciées

Les investigations menées dans le cadre de notre recherche permettent de présenter une série de parcours de formation et d’itinéraires professionnels de salariées rencontrées lors de l’enquête en entreprises. Une vingtaine d’entretiens individuels de femmes opératrices ou techniciennes ont fait l’objet d’un traitement analytique particulier. Il a été réalisé sur la base d’un repérage d’éléments biographiques objectifs (âge, situation de famille, formations initiale et complémentaires, emplois occupés, événements personnels et familiaux…) et d’éléments subjectifs comme par exemple une tentative de rationalisation de leur trajectoire professionnelle et de vie, l’attirance pour la technique ou le désir de résister à des évolutions « naturelles », Cette analyse permet de proposer une typologie des trajectoires de ces femmes déclinée en quatre modèles de parcours : statiques, réactifs, opportunistes et stratégiques.

3.1. Les parcours « statiques »

Sans formation de base ou ayant suivi des formations traditionnellement féminines (secrétariat, coiffure, santé social….), elles ont souvent occupé pendant de longues années des emplois peu qualifiés dans l’industrie. La plupart d’entre elles ont choisi d’interrompre leur activité professionnelle, pendant des périodes parfois longues, pour se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Opératrices de base en usine ou ouvrières polyvalentes de production, elles ont accédé à des postes traditionnellement qualifiés de masculin (aide-régleur, conducteur de bus, ouvrier-soudeur) qui ne nécessitaient que de courtes formations d’adaptation. En général satisfaites d’avoir changé de poste, elles attendent peu de choses de leur travail, si ce n’est un salaire d’appoint et des horaires de travail leur permettant de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. Ces salariées n’ont pas, ou très peu, connu d’évolution professionnelle. Soit le contexte de l’entreprise ne le permettait pas : elles travaillent dans l’ensemble dans des entreprises plutôt petites, situées dans des zones rurales, qui n’offrent que peu de possibilités de promotion et de formation. Soit par choix personnel, parce qu’elles n’envisagent pas d’acquérir les formations techniques de base requises ou d’accéder à des postes, de premier niveau de maîtrise par exemple, qui supposent des prises de responsabilités et notamment le management de personnes source de charges mentales importantes pour une différence de salaire modique.

3.2. Les parcours « réactifs »

Les femmes qui font partie de la catégorie des parcours dits réactifs ont manifesté très tôt un goût pour le travail manuel, bricolage notamment, et certaines d’entres elles évoquent leur souhait initial d’exercer un métier masculin. Elles ont suivi, il y a souvent de nombreuses années, des formations techniques initiales dites « masculines », plutôt de niveau V (BEP opérateur-régleur des systèmes d’usinage, CAP de mécanique automobile ou de menuiserie...). Très motivées, elles ont généralement connu des parcours de formation linéaires et sans accrocs. Cette formation initiale dans des spécialités techniques ne leur a cependant pas permis d’accéder à un emploi correspondant à leur qualification technique, en raison des résistances manifestées par les entreprises pour recruter des femmes sur des postes dits masculins. Et certaines ont été amenées à occuper provisoirement des emplois « féminins ».

Déterminées à travailler en ateliers, elles se sont résignées à entrer dans l’entreprise « par la petite porte », pour y occuper dans un premier temps des emplois peu qualifiés, qui n’ont parfois aucune relation avec leur formation de base. Elles vont réussir progressivement à faire reconnaître leurs compétences techniques en montrant de l’intérêt pour le réglage, des capacités à réaliser des petits dépannages ou réparations et surtout des aptitudes à comprendre les techniques et à détecter les pannes.

Manifestant leur souhait d’évoluer, elles répondent à des offres, qui peuvent se faire attendre, de postes correspondant un peu plus à leur formation technique initiale, bien que ce ne soit pas toujours facile de passer d’un poste d’exécution à un poste avec plus de responsabilités. Elles ne sont pas souvent attirées par l’encadrement, souhaitant davantage conserver le côté « manuel » (contact avec la machine) de leur emploi, les postes d’encadrement étant considérés comme des « emplois de gestion ».

Les jeunes filles toujours aussi peu nombreuses, qui, ces dernières années, se tournent vers des formations de niveau V voire IV techniques « masculines », trouvent cependant plus souvent des opportunités de travail correspondant à leur formation, dans la mesure où un double phénomène intervient : d’une part, il s’agit de spécialités de formation de moins en moins prisées par les jeunes garçons créant ainsi la rareté ; d’autre part, les entreprises opposent tout de même, au fil des ans, moins de résistances à leur recrutement et peuvent trouver dans des candidatures féminines un moyen de régler leurs problèmes de recrutement.

3.3. Les parcours « opportunistes »

Les femmes que l’on peut inscrire dans ces parcours ont un niveau d’enseignement général qui va de la 5e à la 1ère, et

n’ont pas de diplôme sanctionnant une formation initiale de base. Elles ont souvent suivi des formations traditionnellement féminines. Ces salariées vont, au fil des emplois divers qu’elles occupent, se retrouver dans l’industrie, chercher à progresser, en procédant, le cas échéant, à des changements d’orientation radicaux.

Les femmes aux parcours opportunistes ont un vrai désir d’évolution professionnelle et ont eu l’occasion de se saisir des opportunités successives qui sont apparues au sein de l’entreprise : elles sont candidates lorsque des postes plus techniques sont proposés, elles font des formations internes leur permettant d’acquérir des compétences techniques, certaines vont même jusqu’à suivre des formations professionnelles diplômantes qui nécessitent un gros investissement personnel surtout lorsque ces formations s’enchaînent (CAP-BEP-BAC Professionnel). Jeunes et moins jeunes, elles ne choisissent en général pas d’interrompre leur vie professionnelle pour l’éducation de leurs enfants. Bien au contraire, elles mènent de front leur travail, les enfants et leur formation. Le contexte familial, en milieu rural, leur permet très souvent de pouvoir compter sur leur mère, belle-mère ou sœur mais aussi sur leur mari. Elles se retrouvent plutôt dans des entreprises de taille moyenne ou grande qui développent une politique de formation intensive, privilégient la promotion interne et offrent des nombreuses possibilités de mobilité horizontale et verticale ; certaines incitent fortement les femmes à évoluer, se former et se qualifier. Elles occupent des emplois de régleuses, de coordinatrices process ou de régulatrices.

S’accrochant aux possibilités qui se présentent à elles, elles construisent leur itinéraire professionnel au gré des circonstances ou de façon parfaitement maîtrisée, « rattrapant » ainsi dans leur parcours professionnel les étapes qu’elles n’ont pu mener à bien dans le système scolaire

3.4. Les parcours « stratégiques »

Les femmes relevant de ce type de parcours, plutôt jeunes, sont attirées depuis toujours par la culture technique et disposent d’une formation initiale technique de niveau III, voire plus. Elles ont construit leur parcours en fonction d’objectifs et de choix déterminés. Leur formation les a confrontées depuis au monde masculin : elles étaient souvent des exemplaires féminins uniques dans leur classe. Elles sont déterminées et volontaires, dotées d’un caractère bien trempé et veulent accéder à un poste en relation avec leur formation. Elles ne se laissent pas décourager par les fins de non-recevoir opposées par certaines entreprises à l’embauche de femmes. Elles sont prêtes à bouger, n’hésitant pas à poser leur candidature dans des horizons lointains, leur objectif étant de décrocher un poste technique correspondant à leur souhait même si cela implique quelques semaines voire des mois de chômage. Convaincantes, avec un CV attractif, elles sont parvenues à se faire recruter par des entreprises, ouvertes à la mixité, sur des postes techniques de haut niveau (technicienne méthodes, études, responsable logistique...), mais plus rarement de production ou de maintenance. Elles se retrouvent là aussi très souvent en tant que « première femme » dans l’équipe mais s’intègrent très bien et s’entendent bien avec les hommes dans la mesure surtout où elles peuvent prouver leurs compétences techniques. Elles avouent préférer travailler avec des hommes, avec qui les rapports

seraient plus francs et même si la concurrence s’avive quand une promotion est en jeu. Elles s’investissent beaucoup dans leur travail, ne comptent souvent pas les heures passées et font preuve de beaucoup d’efficacité.

Ambitieuses, elles cherchent à progresser, font des formations internes. Elles se démènent au sein de l’entreprise pour occuper des postes évolutifs. Pour aller de l’avant, elles n’hésitent pas à changer d’entreprise, si elles considèrent que cela est nécessaire pour améliorer leur plan de carrière.

Elles sont plutôt jeunes (la trentaine), et certaines n’ont pas encore de contraintes familiales ; célibataires ou en concubinage, elles n’ont souvent pas encore d’enfant et, si elles en ont, elles s’organisent très bien. Avec le temps, avec les responsabilités professionnelles et des charges de familles qui s’intensifient, les choses peuvent se compliquer quelquefois.

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