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Ouvriers et employés, quelles mobilités pour valoriser les compétences ?

Philippe Lemistre

*

, Marie-Benoît Thibault

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Introduction

La communication est centrée sur les débuts de carrière des employés et ouvriers. Il s’agit essentiellement d’identifier le rôle de la mobilité géographique des employés et ouvriers en début de carrière. Ces catégories représentent plus de 60 % de la population active en 2000 et ce pourcentage demeurera stable au moins jusqu’en 2010, ceci malgré la croissance des professions intermédiaires (+15 %) et des cadres (25 %) (Amar et Topiol, 2001).

Pour ces ouvriers et employés, la construction des compétences passe par deux voies classiques : la certification initiale et la formation sur le tas. Il n’en demeure pas moins que l’on assiste depuis plusieurs années à un phénomène massif de « déclassement » supposé des jeunes diplômés au sein des emplois non qualifiés (ENQ). Dans ce cas, l’usage » de l’ENQ est celui d’un simple « emploi de passage » avant d’accéder à un emploi plus qualifié (Lemistre, 2004a). Mais quand bien même un jeune passe par l’ENQ il est susceptible d’accéder à un emploi d’ouvrier ou d’employé qualifié dans lequel il sera toujours déclassé en regard de son diplôme initial. C’est le cas typique des détenteurs d’un baccalauréat professionnel qui occupent de plus en plus des emplois ouvriers à long terme auquel le « niveau bac » n’est pas « censé » les destiner (Eckert, 1999).

Une manière pour les jeunes de progresser dans la carrière ou de se « reclasser » est alors d’effectuer des mobilités géographiques afin de saisir des opportunités salariales ou d’obtenir un contrat de travail plus stable (Dumartin 1995 ; Drapier et Jayet, 2002).

Toutefois, tous les jeunes ne sont pas mobiles pour diverses raisons (financières, familiales ou personnelles). Par ailleurs, le fait que la mobilité géographique ait un intérêt pour les ouvriers ou employés reste à démontrer. En effet, une étude récente suggère que les moins diplômés retirent peu d’avantages salariaux de cette mobilité (Détang, Drapier et Jayet, 2004). Toutefois, d’une part, il clair que niveau d’études et niveau d’emploi ne se recoupent pas. D’autre part, les jeunes employés et ouvriers sont, pour une grande partie d’entre eux, non qualifiés et la mobilité peut leur permettre d’accéder à la qualification au sein d’emplois d’ouvriers et d’employés qualifiés.

La plupart des analyses précédemment menées sur les migrations ont retenu une échelle régionale ou départementale, fondée sur un découpage administratif et non économique. Le découpage par zone d’emploi (ZE), offre, à l’inverse, une pertinence d’analyse plus forte pour étudier les marchés locaux du travail (Margirier, 2004).

Ainsi, la communication propose d’étudier l’influence des caractéristiques individuelles et territoriales sur la décision de migrer lors d’un changement de ZE pour l’obtention d’un nouvel emploi. Le changement de ZE n’est toutefois qu’une dimension de la migration, une autre tout aussi déterminante est la distance parcourue qui sera prise en compte ici comme élément déterminant et consubstantiel de la migration.

Les données de l’échantillon sont issues de l’enquête « Génération 98 » du Céreq qui observe, pendant trois ans, et mois après mois, 55 000 jeunes sortis du système de formation initiale en 1998.

La première section décrit les différences de comportement de mobilité spatiale chez les jeunes selon la nature de leur territoire d’appartenance. Elle expose, en s’appuyant notamment sur des statistiques descriptives, les problématiques qui seront testées ensuite. La deuxième section présente les méthodes et les résultats. Tout d’abord, les déterminants de la distance parcourue et de la probabilité de changer de ZE pour accéder à l’emploi

*LIRHE, Université des Sciences Sociales, Toulouse (lemistre@univ-tlse1.fr).

occupé trois ans après la sortie du système éducatif sont étudiés. Ensuite, les déterminants du salaire correspondant à cet emploi sont étudiés notamment pour identifier le rôle des différentes mobilités et distances parcourues.

1. La mobilité géographique des jeunes en phase d’insertion : les faits stylisés

Les jeunes, à leur sortie du système éducatif, se situent dans la période de leur cycle de vie la plus propice à la mobilité spatiale (Margirier, op.cit.). Les déterminants de ces comportements migratoires seront abordés ici en s’appuyant sur des éléments descriptifs de l’échantillon retenu de l’enquête génération 98. Deux bases de données ont été exploitées : une base de données individuelles et une base de données d’emplois. Pour cette dernière, les mobilités sont identifiées entre séquences d’emploi pour différents emplois d’ouvriers et d’employés de la nomenclature PCS. Les mobilités concernent les passages de l’ENQ vers l’EQ, les mobilités horizontales, les mobilités entre ZE (zones INSEE et distinction rural-ubain). Pour ces dernières, les distances entre ZE ont été estimées. Les situations de déclassement et reclassement sont également identifiées selon la nomenclature de correspondance proposée par Affichard (1981). La base de données individuelles concerne les jeunes qui occupent un emploi d’ouvriers ou d’employés, trois années après leur sortie du système éducatif. Pour chaque individu, certains éléments issus de la bases de données d’emplois sont agrégés pour les mobilités antérieures à la dernière (nombre des différentes mobilités, distances parcourues, durée des différentes périodes d’emploi), la dernière mobilité est caractérisée indépendamment, le parcours est également pris en compte (nombre et durée des périodes de chômage et d’emplois).

Les distances entre ZE sont calculées « à vol d’oiseau » entre les centroïdes des zones d’emploi de départ et d’arrivée. Dans un repère (x,y) représentant les coordonnées géographiques d’un ensemble de points, la distance

entre deux points A et B est donnée par la relation :

d(A,B)

=

(x

b

x

a

+

(y

b

y

a

.

1.1. Niveau de formation, niveau de qualification et comportement de migration

Dans la plupart des analyses de la migration, la première distinction retenue est le niveau de formation (Drapier 2001). Le consensus largement admis dans les dernières décennies était que le comportement migratoire concernait avant tout les individus qualifiés ou les plus diplômés. Aujourd’hui, la littérature tend à souligner que la migration des individus de faible niveau de formation est loin d’être négligeable (Drapier et Jayet, op.cit.). Dans une analyse régionale de la migration des jeunes, le taux de mobilité concerne environ 18 % des jeunes les moins diplômés. Selon une échelle infra-régionale (entre ZE), ce taux monte à 41 %. Dans le cas des plus diplômés (niveau > à IV), les taux respectifs sont de 25 % et 50 %.

Une autre distinction, en partie liée au niveau de formation, est la catégorie socioprofessionnelle. Dans ce cas, les résultats sont moins linéaires qu’avec le niveau de formation. Selon l’étude de Drapier et Jayet (op.cit.) qui retient un découpage départemental, le taux moyen de mobilité géographique chez les moins qualifiés est de 20 % contre 50 % chez les plus qualifiés. Au sein des catégories les moins qualifiées persiste également une hétérogénéité. Ainsi pour les employés et ouvriers en 2001, sortis du système éducatif en 1998, la mobilité des employés s’avère plus importante que celle des ouvriers, même si l’on compare des employés non qualifiés et des ouvriers qualifiés.

1.2. Recherche d’emploi et migration

L’introduction de la dimension spatiale dans les théories de prospection d’emploi (Lippman et McCall, 1976) consiste à prendre en compte l’étendue du champ géographique de prospection (Wolpin, 1987). La distribution salariale retenue est alors celle du champ géographique retenu. L’individu n’est plus face à un unique marché du travail, mais à une multitude de marchés locaux du travail. L’élargissement de l’aire de prospection accroît l’offre d’emplois et donc, la probabilité que l’une d’entre elles soit retenue (Pickles et Rogerson, 1983).

Dans cette prospection d’emploi, certains jeunes choisissent de la restreindre à leur environnement d’origine. On peut alors les considérer, comme des jeunes immobiles ou quasi immobiles. Tandis que d’autres élargissent le champ spatial de prospection en vue de saisir de meilleures opportunités professionnelles.

Un des facteurs explicatifs de la sédentarité réside dans l’attachement local qui peut compenser notamment les avantages salariaux d’emplois sur d’autres sites (Jayet, 1993). Cet attachement peut être rattaché au cercle familial ou à des attributs du site. Il peut aussi s’exprimer dans la volonté de revenir vers sa zone d’origine, après avoir migré durant sa formation.

Cette notion peut aussi s’entendre en termes de distance : le champ spatial de prospection peut se réduire à une aire géographique restreinte par rapport au site d’origine. En effet, 40 % des changements de ZE correspondent ici à une distance de séparation de moins de 50 km environ. Une telle restriction du champ de prospection peut être aussi la conséquence de difficultés à traiter une information plus dispersée géographiquement. La maîtrise de l’information est généralement corrélée au niveau de formation qui est lui-même déterminant des coûts de migration. Or, pour la théorie du capital humain notamment, c’est l’arbitrage entre ces coûts et l’avantage salarial associé à la migration qui aboutit ou non à une migration.

Ainsi, toutes les études sur la migration ont considéré le salaire comme variable liée à la migration. Si le salaire est attaché aux caractéristiques personnelles comme le niveau de formation, le sexe, ou encore l’âge, des différences territoriales existent, notamment entre la capitale et la Province, entre des espaces urbains et ruraux. Au-delà de cette typologie de l’espace, des différences peuvent aussi exister entre ZE en fonction de la taille des entreprises ou des secteurs d’activité présents, notamment. Ainsi, Todaro (1969) a fondé le choix du site de prospection sur le salaire monétaire escompté, pondéré par la probabilité d’obtenir un emploi. La prospection a lieu si l’espérance salariale, diminuée du coût de la migration, est supérieure à l’espérance salariale sur le site d’origine. Dans cette perspective la distance parcourue reflète pour partie le coût de migration qui a lieu uniquement si le bénéfice salarial est supérieur à ce coût. En d’autres termes, le rendement de la mobilité devrait être positif.

De plus, au début de leur vie active, de nombreux jeunes sont en situation de déclassement, pour la génération étudiée ici, il s’agit de près ou plus de 50 % d’entre eux (Giret et Lemistre, 2004). Parmi eux, un nombre important parvient à trouver un nouvel emploi en adéquation avec leur niveau de formation via une mobilité géographique (plus de 46 %).

1.3. Dépendance de la trajectoire de migration

Dans l’analyse des migrations, il est récurrent de lier la probabilité d’une nouvelle migration au fait d’avoir déjà migré pendant la formation ou entre de précédents emplois. Afin de suivre la formation correspondant à son projet professionnel, le jeune individu peut être amené à réaliser une première mobilité géographique. Les comportements en ce domaine sont très liés au niveau de formation. Ainsi, en 2001 32 % des jeunes de niveau I- II ont connu deux emplois successifs contre 21 % des jeunes de niveau VI. En outre, certaines régions ont un rôle différent pour la formation initiale et l’insertion professionnelle (Caro et Martinelli, 2002). Aussi, en fonction de l’appartenance à telle ou telle région, la propension à migrer peut être différente.

Des aptitudes innées ou acquises, dépend la capacité à intégrer les incertitudes sur le marché du travail dans la stratégie individuelle d’insertion. Dans cette perspective, les expériences successives sur le marché du travail permettent d’acquérir des informations sur les emplois (Johnson, 1978). Aussi, une précédente migration augmenterait la probabilité d’obtenir un emploi dans un nouveau marché local. De plus, un facteur d’accoutumance au changement de site peut inciter à effectuer de nouvelles migrations (Jayet, 1993). « Côté employeur », l’effort de mobilité peut être perçu chez l’employeur comme le signal d’une capacité d’adaptation et donc favoriser l’insertion professionnelle (Raphaël et Riker, 1999).

Toutefois, être en emploi suppose, en théorie, que l’individu dispose de moins de temps pour son activité de prospection (Burdett, 1978). Aussi peut-on s’attendre à ce que la probabilité de migration se réduise lors d’un changement d’emploi sans temps de chômage. Néanmoins, être en emploi permet aussi d’avoir accès à un réseau de connaissances professionnelles qui permet de mieux accéder aux informations concernant des offres d’emploi (Degenne et Forsé, 2004).

Au-delà des réseaux, le comportement de migration reste largement associé aux caractéristiques des territoires. Par exemple, l’information circule mieux et en quantité plus importante dans les marchés urbains que dans les marchés ruraux, ce qui réduit le coût de recherche de l’information. Si l’on reprend l’analyse en termes de disparités de revenus, le salarié issu d’un milieu rural est moins exigeant que le salarié urbain (Gibbs 1994).

2. Déterminants de la migration et salaires

2.1. Migrer : le rôle de la distance

La distance a été prise en compte sous forme logarithmique, cette dernière améliorant largement le niveau de variance expliquée (pseudo R² tobit +5 %). Ceci traduit l’influence importante des distances parcourues jusqu’à un certain seuil. Par exemple, faire 500 ou 1 000 kilomètres s’explique d’une manière assez similaire en regard des variables retenues contrairement à une distance de 50 kilomètres en regard de 500 km. Par convention, le log de zéro n’existant pas, l’absence de mobilité entre ZE correspondant à zéro kilomètre a été assimilée à un déplacement de 1 kilomètre.

Le premier constat est conforme à celui d’autres études déjà évoquées : plus le niveau d’étude est élevé, plus la

migration et la distance parcourue sont importantes1. A contrario, à niveau d’études identique, les plus âgés ont

tendance à être moins mobiles. Compte tenu des particularités de l’échantillon, ce résultat est susceptible de refléter une moindre performance de ces salariés. En effet, les sortants en 1998 plus âgés que les autres pour un même niveau d’études sont majoritairement des jeunes qui ont accumulé des années d’études non validées ou redoublées, ou encore un temps de formation plus long que les autres, par exemple pour les formations universitaires par modules.

Toujours en relation avec le niveau d’études, lorsque le jeune est déclassé en 2001, il est moins probable qu’il ait changé de ZE. Or, les statistiques descriptives montrent que le reclassement s’effectue autant voire plus sans changer de ZE. Ainsi, le reclassement s’effectue « en moyenne » autant en changeant que sans changer de ZE, mais à niveau d’études, situation personnelle et géographique identiques, le reclassement est plus facilement obtenu en changeant de ZE.

Comme cela est toujours le cas, les femmes sont moins mobiles que les hommes. Quant à la situation familiale, si le nombre d’enfants n’influence pas significativement le changement de ZE et la distance parcourue, avoir un enfant jeune diminue la probabilité de migrer et, inversement, si un enfant au moins est relativement âgé. Les caractéristiques du conjoint ont une influence uniquement pour les femmes. En effet, si le conjoint est un homme, la probabilité de migrer de l’ouvrière ou de l’employée est plus forte et cette mobilité est accrue si le niveau d’études du conjoint est élevé.

Les résultats pour le statut d’emploi sont peu surprenants en regard de la situation « fonctionnaire » qui conditionne nettement plus que les autres la mobilité entre ZE. En effet, la réussite aux concours de la fonction publique s’accompagne quasi systématiquement d’une mobilité au moins entre ZE. Par ailleurs, si plusieurs études ont montré que la mobilité peut conduire à une situation plus stable, cette stabilité assimilée souvent au CDI n’est pas conditionnée par la mobilité. En d’autres termes, pour obtenir un CDI, il n’est pas « nécessaire » d’avoir été mobile.

Assez logiquement, travailler à temps partiel en 2001 est moins associé à une mobilité que le travail à temps complet. Plus surprenant est le fait que l’augmentation de la durée hebdomadaire de travail s’obtiendrait davantage sans changer de ZE. A contrario, le changement de ZE favoriserait la baisse de cette durée. Ce résultat s’explique par le fait que plus des trois quarts des jeunes dont la quotité de travail a diminué sont des femmes. Il s’agit donc vraisemblablement, en majorité, de mobilités contraintes par la situation familiale.

1. Le niveau d’études est saisi par une variable construite à partir des années d’études et du diplômes. Il s’agit du « nombre d’années d’études théorique » qui correspond au plus haut niveau d’études certifié. Voir Lemistre (2004) pour le détail.

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