• Aucun résultat trouvé

Les discours comparés des jeunes gens et des jeunes filles.

L’analyse relative aux garçons (81 % d’UCE classés) se structure en trois classes de discours seulement alors que celle relative aux filles (72 % d’UCE classés) en 5 classes (que l’on ramènera à 4 car l’une d’entre elles ne concerne qu’un entretien). Cette différence du nombre de classes montre la plus grande diversité et richesse des champs lexicaux issus des propos tenus par les jeunes filles (graphiques ci-dessous). L’analyse comparée des classes montre

qu’une classe est spécifique aux filles (place de la famille) et que trois autres classes sont communes (l’école, le projet professionnel et le travail) mais les discours sont très différents.

Ensemble du corpus garçons (24 entretiens) Classe 1 24 % Classe 2 15 % Classe 3 64 % L’école Le projet professionnel Le monde du travail (missions, contrats)

Ensemble du corpus filles (18 entretiens) Classe 1 40 % Classe 5 10 % Classe 2 23 % Classe 3

(un seul entretien) 19 % Classe 4 8 % Importance de la famille Formation hors emploi et projet professionnel Le métier Parcours scolaire et reprise d’études Parcours professionnel

PLACE DE LA FAMILLE DANS LES DISCOURS DES JEUNES FILLES

Dans les discours des jeunes filles non diplômées, le registre lexical de la famille tient une importance primordiale (classe 1). Les mots les plus représentatifs sont : enfants, travail, maison, fille, école, préférer, conjoint, sœurs, gagner…

Les situations de chômage et d’inactivité caractérisent cette classe ; de même elle est plus présente dans les discours des jeunes des régions parisienne et lilloise, et de ceux qui sont sortis au niveau collège. Les discours reflètent une trajectoire professionnelle précaire et les évènements de la vie privée les incitent à se retirer du marché du travail en raison des difficultés financières et organisationnelles. Les expériences de travail passées montrent qu’il est difficile de s’investir dans un travail que l’on n’est pas sûre d’effectuer la semaine suivante et surtout où l’on n’est pas

reconnue comme professionnelle, et parfois même comme individu tout simplement. Pour ces femmes l’Allocation Parentale d’Éducation représente une « aubaine » 6(Afsa C., 1998 ; Trancart D. Testenoire A., 2003).

L’engagement familial est alors premier dans leur vie actuelle mais ces jeunes femmes sont partagées entre le désir fort d’élever elles-mêmes leurs enfants et le souhait de ne pas « s’enfermer » dans l’univers domestique. Elles souhaitent « aller travailler » à long terme ; le travail ou l’activité « ne pas rester à la maison » est devenu une norme intériorisée.

Voici quelques UCE caractéristiques :

« Et puis là, je reste avec ma deuxième fille jusqu’aux trois ans, donc, je suis en congé parental pendant trois ans. »

«Voilà, je n’ai pas pu les prévenir en temps et en heure, donc ils m’ont radiée. ILS ONT PAS ACCEPTÉ VOTRE EXPLICATION ?

Voilà. Et, vu que, de toute façon, elle m’a dit, de toute façon : vu que vous allez tomber en congé de maternité, vous serez radiée automatiquement. »

« Chez nous, c’est plus quand on fait des enfants, on reste à la maison à les garder, quoi. ET ÇA, VOUS DITES ÇA, VOUS ÊTES CONTENTE ?

Enfin, quand j’aurais le premier, j’aimerais bien aussi travailler, après, et le deuxième aussi. »

« Alors autant rester et l’élever soi-même. Parce que moi, j’ai toujours travaillé, là, je suis peut-être au chômage, mais je vais retravailler prochainement. »

Dans quelques UCE les expériences de travail antérieures sont relatives à la coiffure, la couture, l’esthétique qui sont des familles d’emplois réglementés où l’absence de diplôme dans la spécialité est très rare, d’où les difficultés rencontrées sur le marché du travail.

Examinons les trois classes communes aux garçons et aux filles (école, projet et métier). Si les thèmes abordés sont comparables, les contenus lexicaux et les poids associés sont différents.

Que disent-ils de l’école ?

Garçons (classe 1 : 21 % des UCE) Filles (classe 4, 8 % des UCE)

Mots lexicaux : école, profs, classe, collège, notes, jeunes, mauvais, suivre, élèves, comprendre, handicap, grandir, moyen, écouter.

Mots lexicaux : sanitaire, social, lycée, troisième, classe, professeurs, horticulture, échouer, orientation, élèves, redoublement. Problèmes de santé :

« POUR QUELLES RAISONS ?

Pour la raison que je ne suis pas allé jusqu’au bout de mon handicap pour montrer à mes parents que je suis capable de cacher mon handicap de dyslexie pour pousser plus loin. »

« Il y avait plusieurs secondes : économique et social, technique et littéraire, je suis allée en économique et social, pensant que ça serait bon. J’ai redoublé la première année, parce que j’avais déjà des problèmes de santé. je n’étais pourtant pas la dernière de la classe. »

Échec = Difficultés comportementales, (discours affectif ) :

Échec = Niveau insuffisant, (discours plus général ) : « Non, il y en a qui étaient âgés, mais ils savaient

comment se comporter avec nous. C’était, le professeur, il avait sa cigarette dans la classe, il fumait sa cigarette. »

« Si on a un niveau trop bas, on sera pas pris, parce que la carrière sanitaire et social,elle est très très demandée.

D’ACCORD. IL Y A UNE SELECTION. Il y a une sélection par rapport au niveau de la moyenne. Donc, pour eux, j étais trop bas à la moyenne, donc ça servait a rien que je demande. »

6. C. Afsa distingue l’effet d’aubaine (lorsque le bénéficiaire ne modifie pas son comportement pour obtenir la prestation) de l’effet incitatif (qui se produit lorsque le comportement est modifié). Dans le cas de l’APE, il a évalué l’effet d’aubaine à 40 % et l’effet incitatif à 60 %. Cependant en faisant passer ces femmes de la situation de chômeuse à celle d’inactive, l’APE diminue la population active et peut de ce fait être assimilée à une politique passive de l’emploi.

« Dès que je n’avais pas envie de l’écouter, je sortais. Dès que tu devais travailler, dès que tu étais en classe, c était pour suivre le professeur, pour écouter ce qu’il te disait. »

« Comment ça s’est passé ? Et bien j’étais pas intellectuelle, donc j’avais un niveau très très très bas, donc c’est pour ça que j’ai fait la quatrième ASS, plus la troisième insertion, enfin…. » « Un peu de l’attitude, parce qu’ils voyaient qu on

écoutait pas, et puis les notes étaient pas terribles. »

« QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LA FORMATION INITIALE ?

L’ambiance du lycée professionnel était médiocre : les classes étaient nombreuses, les élèves n’étaient pas motivés ni disciplinés ; le contact avec les professeurs était moyen, sans plus. Je n’ai pas gardé de contact avec les camarades de classe. … » « Il y avait des professeurs qui me traitaient comme

une personne incapable de travailler. Mes parents, quand ils ont entendu ça, ils ont été choqués et …..

« J’essayais de m’accrocher. J’ai eu de la chance d’avoir sur mon chemin des professeurs qui étaient des appuis, le fait de redoubler fut un choc au début, sachant que j’avais déjà redoublé la classe de troisième. »

Les discours des garçons sur l’école sont plus négatifs, plus affectif que ceux des filles. Ils expriment une plus grande souffrance, des difficultés d’écoute et des problèmes comportementaux. Les filles parlent, avec plus de détails objectifs du parcours d’orientation, de leur niveau trop bas. Leurs réponses sont également plus longues et plus argumentées.

Que disent-ils du projet professionnel et de la formation post-scolaire ?

Garçons (classe 2 : 15 % des UCE) Filles (classe 2 : 23 % des UCE)

Mots lexicaux : formateurs, justement, voie professionnelle, industriel, alternance, chimie, niveau, informatique, électronique, bijouterie.

Mots lexicaux : formateurs, mission locale, contrat, intérim, lettre, centre, agence, proposer, embaucher, mairie, emplois, projets, ANPE.

« Peut-être que j’aurais fait un BEP de joaillerie, de joaillier, parce que, après la bijouterie y avait la joaillerie, mais sinon, pas plus loin. mais, par contre, en formation, c’est la possibilité, donc, d’avoir un niveau bac, il faut avoir un BTS, là, par contre, oui. »

« Oui, on était payés par le CNADIA ? et puis après en même temps dans la pré qualif on nous a demandé de rechercher un stage pour qu’après on puisse chercher une école de formation et qu’on puisse avoir quand même notre stage pratique, déjà notre stage pratique, et, en fait... »

« Que ça soit des risques chimiques. Déjà c’est une formation qui est à l’intérieur de la raffinerie. Après ben on m’a fait subir on m’a fait faire des formations euh de ? qui permet aussi justement enfin qui permet justement à l’intérieur de la raffinerie de pouvoir travailler sur certains postes. »

« Parce que des fois on, ils nous donnent les coordonnées, ou alors des fois il est marqué les coordonnées en bas, bon j’ai envoyé CV, lettres de motivation. On me répondait, c’est oui ou non, mais j’ai eu de la chance, souvent c’était oui. »

« Bon, administrateur réseau c’est un niveau trois, donc c’est les BTS, ça correspond à un BTS, et, bon, je savais très bien que j’ai pas le niveau déjà pour attaquer une formation dans le réseau. »

« ET ÇA S’EST PASSÉ COMMENT À CE MOMENT LÀ ?

Je faisais rien, je suis restée chez moi. enfin, j’ai pris contact avec la mission locale. Il fallait faire une formation, c’est ce que j ai fait et j’ai attendu qu’on me rappelle et qu’on me propose un emploi, il fallait toujours faire une définition de projet profession- nel. »

« Donc j’ai trouvé cette formation en alternance a l’AFPM qui avec une conseillère justement qui m’a beaucoup aidé justement dans le fait de m’indiquer quelle voie choisir et quelle chose quel parcours obtenir. »

« J’ai fait une démarche de retrouver une formation : formation BEATEP, sachant que c est la suite de mon projet. et c’est comme ça que j’ai trouvé… »

Les jeunes non diplômés qui ont connu des périodes hors de l’emploi suivent souvent des stages de formation de courte durée, stages qui peuvent les aider à construire un projet professionnel. Les filles semblent mentionner plus souvent la mission locale que les garçons. La mission locale joue alors un rôle de prescripteur du projet professionnel et de la formation. En effet, l’enquête G98 révèle que le recours à la formation hors emploi est plus fréquent chez les filles. En revanche, les garçons parlent des filières et des domaines de formation de façon plus concrète que les filles dont le projet semble plus flou.

Que disent-ils de l’emploi, du travail ?

Garçons (classe 3 : 64 % des UCE) Filles (classe 5 : 10 % des UCE)

Mots lexicaux : mois, intérim, paye, travail, boîte, missions, patrons, heure, embauche, permis, temps, argent

Mots lexicaux : client, vendre, clientèle, vêtements, rayon, produit, relations, galerie Lafayette, Manoukian, Rarole, légumes, magasins, contact. « DONC VOUS FAITES DIFFÉRENTES MISSIONS

AVEC EUX ?

Mais toujours maintenant dans l’électricité en bâtiment. Je fais une mission, des fois ça peut durer euh deux jours, des fois une semaine, des fois deux semaines après ça dépend. »

« Je supporterais pas. Dans la vente, surtout dans les grands magasins, vous avez une chef de rayon, pour toutes les vendeuses, quoi. …, en démonstratrice, si en démonstratrice, c’est obligé d’avoir, comme je vous dis, chez Carole, une responsable, deux vendeu- ses, mais j’ai jamais eu de problèmes avec eux. » « J’ai posé partout : voilà, je vous donne un CV, une

lettre de motivation vous allez chez Carrefour, chez Leclerc, chez Mc Donald, ils embauchent n’importe qui. »

« QU’EST CE QUE VOUS AVEZ APPRIS ?

Dans la vente, le contact avec la clientèle, comment vendre un vêtement et des choses comme ça, comment se présenter à un employeur. »

«Je ressortais tout gonflé des fois, rires. Surtout l’après-midi, c’était des horaires d’une heure à neuf heures en plein été. Je ressortais avec mes doigts tout gonflés des fois. C’est des boulots durs. Ah ouais, des boulots de chiens. Genre, on portait des palettes, fermer les cartons. »

« Dans les boutiques, oui, mais dans les grands magasins, non. C’est pas de la vente forcée, dans les magasins, on a tendance à laisser la cliente regarder, après si on la voit au bout de dix minutes, bon, on va vers elle, on lui demande notre aide, et tout. » « Je suis manager de station service en région

parisienne, depuis 6 mois. Si je serai resté ici à Roubaix, eh ben je serais encore dans la zone quoi. »

« Donc, j’ai passé un entretien avec la société, puis voilà, j’ai été acceptée. C’est plus facile, quand on est à l’intérieur, de...

OUI. UNE FOIS QUE VOUS ÉTIEZ RENTRÉE DANS LE SYSTÈME.

Voilà parce qu’ils voient, aussi, avec l’aide de la chef de rayon, ils voient que j’étais une vendeuse sérieuse, bien avec les clientes, il y a pas eu de problèmes. »

« Et j’ai cherché pourtant. Ah oui, pendant des mois, j’allais aux boites d’intérim là. Chaque fois que j’y repense, je signais tout comme un chien là. »

« Quand ils voyaient qu’ils avaient besoin de

quelqu’un chez Carroll, dans les vêtements, ils m’appelaient… En plus, je suis chez Manpower, à Lafayette, juste a côté des grands magasins, quoi, donc ils ont vu mon CV, puis ils m’ont acceptée, quoi. »

« Charger les camions, on prend souvent une grue, minimum, c’est sept à neuf camions par jours à charger. Bon, encore, c est, quand je vois ce matin, ce matin, on avait pas de grue, et on avait des bunga- lows à charger, on a eu douze camions, ce matin, à charger en une heure et demie. »

« Il faut être toujours là quand il y a une cliente. Il faut montrer qu’on est motivé, et qu’on en veut, quoi, dans la vente, sinon c’est pas la peine. »

L’activité de la vente est dominante chez les jeunes filles. La description est précise et témoigne d’une capacité de parler de son activité de façon détaillée. Des compétences issues de l’expérience et de l’observation apparaissent (voir également Chatel et al., 2004).

Le monde professionnel décrit par les garçons est à la fois plus divers (manager de station service, palette, cariste, porter ou charger des produits) mais beaucoup plus dur, plus humiliant. La pénibilité des tâches, effectuées en intérim surtout, apparaît très nettement. Par ailleurs, ces travaux semblent accessibles « à n’importe qui ».

Conclusion

L’analyse des discours des jeunes non diplômés laisse apparaître deux axes, le monde scolaire et le monde professionnel. À l’intérieur du premier axe, le rôle de l’école dans l’évolution personnelle et professionnelle est mis en évidence. Les interrogés insistent à la fois sur leurs difficultés propres et sur l’importance du système éducatif. Ils reviennent également de manière précise sur leurs parcours d’échecs. Pour ce qui est du monde professionnel, le discours s’articule autour de trois éléments : les problèmes rencontrés lors des recherches d’embauche ou de contrats d’apprentissage, et les périodes de chômage qui s’en suivent ; le contexte institutionnel d’aide dans ces recherches, et le rôle des missions locales ; enfin la description des activités, des questions d’organisation liées à celles-ci, et l’importance du travail dans le projet de vie des individus.

Néanmoins, derrière cette trame générale, se cachent des écarts notables entre le discours des filles et celui des garçons. Non seulement ces dernières accordent une place plus importante à la famille, mais leurs propos sur l’école, la formation post-scolaire ou encore sur l’emploi et le travail sont moins affectifs, plus construits, et surtout moins durs que ceux des garçons. Ces derniers insistent davantage, et en des termes plus violents, sur leurs difficultés, leurs échecs scolaires et professionnels, et leur pessimisme quant à leur avenir, même si leurs projets semblent mieux définis.

Enfin, au-delà de la mise en évidence des différences de genre dans les façons de dire sa trajectoire personnelle et professionnelle, Alceste permet de mettre en lumière le fait que les personnes ne peuvent pas se réduire à une seule classe, même si une classe est plus associée à une variable qu’à une autre (sexe, situation par rapport à l’emploi, niveau de sortie…). Dans la typologie proposée par B. Cart et E. Verley, en revanche, une personne appartenait à une classe et une seule. En outre, il ressort que malgré la diversité des situations, les événements produisent des contraintes très fortes sur les jeunes non diplômés qui traversent presque tous des périodes difficiles (emplois précaires et non qualifiés, tâches pénibles, chômage et recherche d’emplois …) et l’analyse lexicale en rend mieux compte, en mettant en évidence le poids des mots relatifs à la pénibilité des tâches et aux échecs successifs.

Bibliographie

Afsa C., 1998, « L’allocation parentale d’éducation : entre politique familiale et politique pour l’emploi », INSEE Première n° 569.

Cart B., Verley E., 2005, « Les non-diplômés : de la catégorisation institutionnelle à la diversification des récits d’insertion », 12es journées d’étude Cereq-Lasmas-Institut du longitudinal, Toulouse 26-27 mai 2005.

Cart B., De Besse M., Gasquet C., Lopez A. , Mora V., Mouy P, Orivel E., Verley E., Sauvageot, 2005, Quelle formation qualifiante différée pour les jeunes non diplômés ? Note d’évaluation, DEP, (à paraître).

Chatel E. et al, 2004, Capacités d’agir et formation scolaire, rapport pour le CGP, p. 82-84.

Couppié T., Lopez A., 2003, « Quelle utilité les CAP et BEP tertiaires ont-ils aujourd’hui ? », Céreq Bref n° 196.

Testenoire A., Trancart D., 2005, Des femmes diplômés de niveau V, un accès difficile à l’emploi qualifié, In : Des formations pour quels emplois, J.-F. Giret, A. Lopez, J. Rose, Paris, La Découverte, (à paraître).

Trancart D., Testenoire A., 2003, Emploi non qualifié et trajectoires féminines, Les données longitudinales dans

l’analyse du marché du travail, 10es journées d’étude Cereq-Lasmas- Institut du longitudinal, Caen 21-22-23 mai

Outline

Documents relatifs