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Partie 3 Analyse des représentations et de la formation collective

3. Les représentations des élèves allophones et de leur inclusion

Nous l’avons vu dans la partie théorique, l’inclusion a remplacé l’intégration dans les discours institutionnels, les distinctions FLM/FLE/FLS/FLSco prennent en compte la reconnaissance de l’allophonie et du bi-plurilinguisme de ces élèves dans l’espace scolaire. Qu’en est-il de l’influence de ces évolutions sur les représentations qu’ont les enseignantes de leurs élèves EANA et de leur inclusion ?

3.1. Confusion dans la désignation des élèves allophones

Comme nous l’avons déjà évoqué, les désignations de l’élève allophone dans l’Éducation nationale permetentt de mettre à jour des représentations sur ces élèves. Les occurrences sur les termes choisis par les enseignantes montrent la confusion qui règne dans la désignation des élèves allophones et reflète le tâtonnement institutionnel. A la question 16 du questionnaire33, elles cochent majoritairement le terme « élèves allophones » (5 fois) et le

terme primo-arrivants (3 fois) et enfants nouvellement arrivés en France (3 fois). Les termes « étranger » et « de nationalité étrangère » sont utilisés chacun une fois, ces termes induisent

33 Plusieurs expressions sont utilisées dans le système éducatif pour désigner les enfants venant de l’étranger

et scolarisés en France. Parmi les différentes expressions ci-dessous, laquelle ou lesquelles employez-vous ? Cochez les cases correspondantes.

une désignation selon un critère juridique qui ne correspond pas toujours à la réalité dans la mesure où des élèves allophones peuvent être français (par exemple les élèves venant des territoires d’outre-mer).

Lorsqu’on demande quelle est l’expression qu’elles utilisent majoritairement, c’est le terme « élève allophone » qui est plébiscité (5 sur 6 enseignantes). Seule L4 dit utiliser le terme « ENAF » car c’est celui qui est utilisé au début de sa carrière et qu’il représente au mieux la vision qu’elle a des élèves qui arrivent. L2 justifie son choix en disant que c’est le terme utilisé par l’équipe. L5 précise qu’avec les enseignants, elle parle d’élèves allophones et qu’avec les élèves elle parle d’élèves nouvellement arrivés en France. L3, L4, et L6 ne justifient par leurs choix. Et finalement, lorsqu’on leur demande si elles connaissent le terme EANA 3 sur 5 disent que non et seule L4, qui est remplaçante en UPE2A, l’explique. Il semble que le terme EANA soit réservé dans son utilisation à des « spécialistes » comme les enseignants UPE2A et que les enseignants de classe ordinaire utilisent le terme « allophones » plus commun.

Tous ces éléments montrent que les enseignantes ne sont pas sensibilisées à la portée des termes qui peuvent être utilisés pour désigner ces publics et l’utilisation du terme « allophone » ne révèle pas forcément une portée symbolique pour ces enseignantes. Il serait donc intéressant de proposer un moment de formation à ces enseignantes durant lequel elles pourraient connaître l’évolution de ces désignations et leurs incidences afin de s’approprier ces notions qui restent complexes pour des non-spécialistes.

3.2. Quelle inclusion ?

Les missions qui sont attribuées à l’UPE2A par les enseignantes sont les suivantes : « favoriser l’intégration de l’élève et son entrée dans la langue française » (L2) « accompagner les élèves allophones/renforcer l’apprentissage du français courant (vie de tous les jours) » (L4) « apprendre le français les bases afin de suivre la scolarité le plus paisiblement » (L6) « apprendre le français parlé, lu, écrit aux enfants nouvellement arrivés » (L5) et « (…) ils apprennent la langue française comme langue du quotidien pour leurs relations avec les autres et dans le quotidien et comme langue de scolarisation pour favoriser leur intégration progressive dans leurs classes d’inclusion » (L3)

Les enseignantes montrent qu’elles n’ont pas saisi la spécificité du « français » qui doit y être enseigné car elles donnent une définition du français langue de référence selon la définition de Dabène (1994). Pour L4 et L5, il s’agit « du français courant » « des bases ».

Pour L2 et L5, c’est « la langue française » « le français parlé, lu et écrit ». Seule la définition de L3 se rapproche de la définition du FLSco de Verdelhan (2002). Rappelons que L3 est remplaçante en UPE2A et en pleine préparation de la certification FLS lorsqu’elle répond à ce questionnaire.

Les enseignantes n’associent pas non plus la mission d’inclusion au plurilinguisme des élèves sauf pour L4. Dans les entretiens, elle dit en parlant d’un élève allophone lusophone :

C'est d'venu un élève français on va dire classique et et en même temps par exemple tout à l'heure on lui a demandé oui mais on dit comment ver de terre en portugais parce que euh il était venu me voir en disant mais je ne l'ai pas touché enfin voilà donc je ne veux pas nier ces langues-là et en même temps je me dis que plus on lui parle français plus ce sera facile pour lui de communiquer (…) (E1L4 TP 64).

Elle semble prise dans un dilemme au niveau de l’inclusion linguistique et langagière : valoriser la langue de cet élève tout en lui permettant d’apprendre le français, ces deux éléments sont perçus comme en opposition. Elle se pose des questions sur comment prendre en compte le plurilinguisme des élèves tout en visant la maîtrise du français.

Les perceptions des enseignantes des missions de l’UPE2A intègrent la mission d’accompagnement dans l’inclusion et la mission d’enseignement sauf pour L5 et L6 qui ne mentionnent pas l’accompagnement dans l’inclusion. Ces dernières démontrent une vision seulement linguistique de l’inclusion et non pas langagière.

3.3. Les EANA : des élèves en difficulté ?

Les enseignantes pensent que les élèves allophones se sont pas forcément des élèves en difficulté. À la question « Êtes-vous d’accord avec l’affirmation « un élève allophone est

un élève en difficulté » ? », 4 sur 5 répondent qu’elles ne sont pas d’accord. Seule L5 répond

dans l’affirmative en justifiant qu’il a besoin d’acquérir le langage pour avoir moins de difficultés. Elle utilise le mot « langage » au lieu de « langue », cette confusion est courante dans l’Éducation nationale comme nous l’avons précisé dans la première partie. L2 L3 L4 et L6 expliquent leurs positions :

L6 : Il n’a pas simplement pas encore le vocabulaire pour tout comprendre et être autonome, allophone ≠ pas en réussite

L4 : La difficulté de la langue ne pose pas forcément de problème pour l’apprentissage d’autres notions (en maths notamment)

L2 : les difficultés sont dues à la barrière de la langue et non au niveau, aux capacités de l’enfant

L3 : un élève allophone est un élève qui a un besoin particulier, celui d’apprendre le français. Mais ce n’est pas nécessairement un élève en difficulté. Il peut arriver avec de très bonnes compétences en mathématiques, en lecture dans sa langue d’origine, ou dans d’autres disciplines scolaires. De plus, l’enfant peut être un bon élève dans son pays d’origine.

Les enseignantes arrivent donc bien à distinguer les difficultés liées à l’apprentissage d’une nouvelle langue à d’autres difficultés plus « structurelles ». Elles soulignent les réussites de ces élèves dans d’autres disciplines notamment en Mathématiques. Elles mettent aussi en valeur « les capacités » de ces élèves ainsi que les compétences acquises et les parcours de réussite dans leurs pays d’origine.

Lorsqu’on leur demande alors si elles ont déjà signalé des élèves allophones au RASED, L6 et L4 répondent dans l’affirmative. Elles le justifient pour des troubles du langage et une difficulté à entrer dans la lecture après plusieurs mois (plus de 6 mois) et un problème de logique en Mathématiques pour L6. L2, L3 et L5 répondent non mais seule L2 le justifie en écrivant « je pense qu’il est important de laisser du temps à l’enfant ». Cette absence de justification de la part de L5 et L3 peut être interprété comme un oubli ou comme un malaise par rapport à cette question car le signalement au RASED semble être une solution pour certaines enseignantes même si elles ne le déclarent pas forcément (Thamin, 2015). Dans un temps relativement court, les enseignantes de classe ordinaire et l’enseignante UPE2A doivent permettre de rendre ces élèves les plus autonomes possible ce qui rend la tâche difficile et le signalement au RASED peut être perçu comme une solution pour renforcer l’acquisition de la langue grâce à une aide supplémentaire.

Dans son entretien, L4 traduit les difficultés que peuvent vivre les EANA dans l’apprentissage du français mais aussi les progrès qu’ils peuvent faire

« j'adore voir le processus d'apprentissage voir comment ça se débloque euh j'ai l'impression qu'il y a un déclic à un moment donné et là le p'tit francisco c'était hyper dur en début d'année et là ça y est euh enfin main'nant il ne parle plus qu'en français euh il parle bien » (E1L4-TP 64).

De même L2 dit « j’trouve que c’est + enfin on voit les progrès ils sont + immenses quoi sur une année » (E1L2-TP 64).

3.4. Les EANA : des élèves comme les autres ?

On se rend compte que de l’interprétation des textes officiels sur l’inclusion et la question de la classe d’âge soulèvent des questionnements et des débats dans cette école. Il y a un conflit entre des représentations fortes et les préconisations institutionnelles. Ce conflit traduit l’oscillement du traitement de l’altérité dans notre système éducatif : entre la stigmatisation potentielle et l’indifférence aux singularités (Goï, 2013). Il permet aussi de se rendre compte du dilemme que peuvent vivre ces enseignantes : répondre aux besoins des élèves tout en leur permettant d’évoluer « comme les autres ».

En effet, lorsqu’on leur demande une définition de la mission de l’inclusion, des enseignantes répondent que c’est un moyen de répondre aux besoins des élèves en s’adaptant à eux (L6, L2) et en permettant une inclusion progressive (L4). L5 et L4 insistent sur la socialisation avec les pairs qui va leur permettre d’être « comme les autres ». En même temps, L3 et L4 utilisent à leur tour (déjà utilisé par L2 plus haut) le terme « intégrer » qui reflète bien la concurrence qu’il y a entre les termes inclusion et intégration dans l’Éducation nationale. C’est à la question sur les bénéfices de l’inscription dans la classe d’âge que les enseignantes se divisent : 2 enseignantes répondent oui, 2 se positionnement pour le oui ET pour le non et une enseignante ne se positionne pas. L4 dit que c’est une manière d’apprendre de manière « intuitive » au contact de ses camarades, L2 dit que c’est une bonne intégration avec ses camarades de son âge, distingue le niveau scolaire du niveau de maîtrise du français et insiste ainsi sur les compétences dans les autres matières que le français (les mathématiques notamment). L6 et L3 sont partagées : pour L6 « c’est socialement bien » mais au niveau des apprentissages l’élève peut « être en fort décalage avec sa classe d’âge », L3 écrit que si son niveau est trop en décalage avec sa classe d’âge, c’est le mettre en difficulté alors même qu’il a besoin de prendre confiance et de s’intégrer dans un nouveau système scolaire. L5 ne se positionne pas et écrit que « c’est selon ses difficultés ». Et elle ajoute : « je pense que c’est plutôt bénéfique de les mettre en classe en fonction de ses capacités », sa position n’est donc pas en adéquation avec les recommandations institutionnelles.

Les interprétations sont donc nombreuses, rappelons la règle de la circulaire de 2012 : inclure dans la classe d’âge et au début pour les matières où les compétences en français sont les moins convoquées. Les compétences en français ou dans la langue d’origine ne sont

pas prises en compte pour déterminer le niveau de classe34. L’idée des textes est d’éviter une stigmatisation : permettre à l’EANA d’évoluer avec ses pairs tout en lui donnant la possibilité de progresser dans les matières où les compétences en français sont les moins convoquées (les mathématiques notamment).