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Partie 3 Analyse des représentations et de la formation collective

3. Démarches pour la mise en place d’une éducation plurilingue et interculturelle

Causa insiste (2012a) sur la nécessité de proposer une formation des enseignants moins morcelée et plus définie/affichée dans les programmes de formation. Cette formation doit faire le lien entre la notion de « plurilinguisme » et la modification des représentations sociales qui entravent/retardent son développement. Elle doit travailler sur trois niveaux : aller d’une appropriation globale de la notion (savoir et savoir-comprendre) à la transmission située en classe (savoir-faire) en passant par un travail de réflexion sur soi-même (savoir- être).

3.1. La prise de conscience de la notion générale de plurilinguisme comme valeur positive

Le premier niveau de formation correspond donc à la prise de conscience de la notion de plurilinguisme qui doit mener les enseignants à reconnaître comme positives plusieurs valeurs : la pluralité des langues et des cultures, les répertoires plurilingues et la variété/complexité de ces répertoires et leur caractère évolutif.

Clerc-Conan (2018) constate que les enseignants sont peu conscients des effets de l’imposition de normes linguistiques dominantes sur le développement langagier, la construction identitaire et l’estime de soi de leurs élèves. Ces normes linguistiques sont décrites par Blanchet (2016) et tendent à inculquer que seules les langues standardisées sont légitimes et celles qui n’ont pas de grammaire prescriptive ne sont pas de vraies langues (d’où les termes péjoratifs de « dialecte » ou « patois » pour les désigner). Elles sont liées aux ILL précédemment mentionnées et notamment, dans l’Éducation nationale, à l’idéologie de « la maîtrise de langue » évoquée par l’auteur. Les enjeux liés aux questions de langues sont méconnus et les activités de formation se doivent de développer des attitudes hospitalières envers la diversité linguistique.

3.2. La prise de conscience de sa propre « compétence plurilingue »

Comme tout psychanalyste qui doit lui aussi passer par l’analyse, l’enseignant de langues d’aujourd’hui ne peut plus faire l’impasse d’un travail profond sur lui-même en termes d’identité linguistique et culturelle. Il doit passer par une prise de conscience de son propre plurilinguisme (manifeste ou latent) ainsi que de son propre pluriculturalisme et des implications que le changement, le choc culturel, la confrontation à l’autre ont sur le modelage identitaire (Carrasco Perea & Piccardo, 2009, p. 20)

Cette idée est reprise par Causa : les enseignants doivent prendre conscience de leur « compétence plurilingue ». Cette compétence comprend la capacité à communiquer dans plusieurs langues mais aussi et surtout à réfléchir sur la (les) langues présentes dans son environnement. C’est ce que la chercheuse appelle « la face cachée » de la compétence plurilingue (2005, p. 214). Ce travail réflexif passe par une conscientisation de ses représentations et croyances et du rapport que les enseignants entretiennent avec les langues de leur répertoire verbal et celles de leurs élèves.

Clerc-Conan (2018) ajoute qu’en l’absence d’une approche sensible et intime des questions de langues, les enseignants tendent à s’appuyer sur leurs propres modèles d’apprentissage des langues et sur des discours épilinguistiques non scientifiquement étayés. Elle précise que « l’enseignant qui accueille dans sa classe des êtres pluriculturels, peut percevoir une histoire commune faite de migrations, d’acculturations, d’a-culturations et de métissages, et être ainsi dans une posture plus compréhensive et empathique » (2018, p. 107).

3.3. Accompagnement et étayage dans cette prise de conscience

L’accompagnement nécessaire à cette démarche réflexive par celui qui accompagne peut être définie comme une interaction de tutelle selon la formule de Bruner (1983), c’est- à-dire une action d’étayage, de guidage, d’accompagnement et de médiation. L’apprentissage demande deux niveaux d’interactions : le rôle facilitateur dans l’apprentissage de la matière et celui de construction conjointe de cet apprentissage. Causa (2012a) précise que le rôle de l’expert est de mener graduellement, à travers la régulation, la correction et l’évaluation, l’enseignant à la construction d’un savoir-faire opérationnel et professionnel – le répertoire didactique.

Causa (2012b) ajoute que pour cette prise de conscience ait lieu, il faut la mise en place de Contextes Potentiellement Formatifs (désormais CPF) selon la formule de Cambra Giné (2007). En formation initiale, la mise en place de ces CPF passe par un travail ciblé, progressif, explicite et explicité – une alternance d’apports théoriques et d’action sur le terrain, des activités autobiographiques, des séances d’observation/réflexion/échange entre les pairs et les experts. Les enseignants doivent être partie prenante et non pas seulement observateurs ou observés pour élaborer des projets de recherche-action.

Cette première partie nous a permis de nous rendre compte de la nécessité d’une connaissance des principes théoriques dans une meilleure prise en compte des problématiques liées au plurilinguisme des élèves allophones. Ces problématiques s’inscrivent dans un cadre institutionnel et historique particulier qu’il faut connaître pour mieux comprendre les réalités et les enjeux dans les écoles. En outre, elles se réfèrent à des cadres notionnels en mouvement liés aux avancées de la recherche en sociolinguistique et didactique des langues. Ces cadres théoriques doivent pas être connus des formateurs et des enseignants, et de manière générale des professionnels de l’Éducation, pour permettre une réelle démarche réflexive et faire évoluer les représentations et les pratiques.

Associer les termes inclusion et Éveil aux langues n’est pas un pari aisé dans le cadre actuel de l’Éducation nationale tant les représentations et les idéologies monolingues sont installées. Cette situation impose une réflexion sur la démarche de recherche à adopter et la manière d’atteindre des objectifs de formation des enseignants. En outre, il a fallu situer cette démarche dans un contexte précis et ce, dans un souci d’efficacité et de prise en compte des besoins des enseignants. Allier démarche de recherche et démarche de formation dans le contexte d’une école dans laquelle je travaille m’a aussi permis d’endosser des postures différentes et un positionnement spécifique comme nous le verrons dans la partie suivante.

Partie 2

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Chapitre 4. Le contexte et le projet Éveil aux langues

Nous avons vu plus haut que la culture du contexte est importante pour comprendre les freins ou au contraire les leviers pour une approche type Éveil aux langues dans une école. En outre, en Ingénierie de la formation, agir dans une organisation suppose de la connaître et de l’investiguer à partir d’un mandat qui s’inscrit généralement dans une dynamique propre à cette organisation. Le mandat est lié, dans ma recherche, aux besoins en formation qui sont apparus dans le cadre de mon accompagnement en tant qu’enseignante UPE2A. Je donnerai quelques éléments de compréhension de ce contexte sans entrer dans une description détaillée.