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Partie 3 Analyse des représentations et de la formation collective

4. L’insécurité des enseignantes face à une certaine diversité linguistique

Même si le plurilinguisme peut être un moteur de transformation dans les pratiques des enseignantes, il reste « une forme de dépossession » pour le parlant natif qui prend conscience des limites de ses connaissances comme le rappelle Dahlet (2008)

4.1. Prise de conscience des limites de sa connaissance : sentiment de peur et « barrière de la langue » avec les parents d’élèves

« La barrière de la langue » est une expression utilisée dans le langage courant, il a été intégré dans le questionnaire dans la dernière question « Pensez-vous que le fait que les

parents allophones parlent une autre langue que le français soit une barrière à la communication avec eux ? » A cette, question, les enseignantes ne sont pas d’accord. Deux

d’entre elles répondent que ce n’est pas une barrière et arrivent malgré tout à établir une communication avec ces parents même s’il manque parfois « les nuances et les précisions » (L5). Deux autres pensent que c’est une barrière selon la langue, à savoir si elle est maîtrisée ou pas par l’enseignante. Dans l’entretien, L5 précise « pour moi c’est un peu handicapant sachant que pour l’instant j’parle pas tous ceux que j’ai eu euh j’parlais pas leur langue » (E1L5 TP95). Certaines réactions des enseignantes montrent une peur liée au fait de ne pas pouvoir comprendre et parler avec les parents et cette peur est « différenciée » selon les langues connues ou pas. Elle est donc est liée à la méconnaissance de certaines langues, les langues minorées des parents comme nous l’avons vu plus haut (désignées par « les dialectes africains » « l’arabe »). La prise de conscience des limites de sa connaissance a pour réaction de définir les langues des parents comme des barrières. Or, il y a antinomie entre ces deux termes « barrière » et « langue » : la barrière rompt la communication alors que la langue la favorise. Ces barrières semblent donc être celles que les enseignantes se créent avec des langues méconnues et minorées dans l’espace social.

Cette notion de « barrière » est une expression assez présente dans les discours enseignants. Lors d’un séminaire à l’Ifé (Institut Français de l’Éducation) en février 2020 « Coopérer avec les parents les plus éloignés de la culture scolaire », j’ai été saisie par la récurrence de cette expression dans les réponses au questionnaire préalable et réalisé par les formateurs de l’IFE à destination des enseignants et formateurs de l’Éducation nationale et communiqué par les organisateurs35. A la question « Citez vos difficultés pour mettre en

œuvre la communication avec les familles », certains enseignants et formateurs répondent «

la barrière de la langue (2), problème de communication lié à la langue, la langue et la culture, la langue maternelle des familles différente du français ». Rappelons que ces enseignants travaillent pour la plupart en REP et les langues qu’ils évoquent sont les langues qui ne jouissent pas d’un statut social valorisé.

4.2. La prise de conscience des limites de sa connaissance et sentiment de frustration/honte concernant les langues d’enseignement

Tout d’abord, on remarque que les enseignantes considèrent que leurs compétences en langues d’enseignement (anglais, espagnol, italien) ne sont pas satisfaisantes et utilisent de manière récurrente des termes pour minorer leurs compétences : « un peu » « c’est tout » « pt’ite conversation » …L3 regrette le manque de formation à l’IUFM « à part une ou deux formations didactique des langues vivantes j’ai pas eu de :: enfin j’ai plus eu d’apport théorique ni pratique » (E1L3-TP 28). Pour certaines enseignantes, la solution pour améliorer leur niveau serait le bain linguistique car il ne demanderait pas les efforts qu’elles ne peuvent fournir du fait du manque de temps et de la fatigue. L3 dit « si j’étais vraiment baignée je pense que ça reviendrait (…) je me rends compte que en fait les restes sont là et que finalement enfin il suffirait de quelques jours de bain :: » (E1L3-TP40) L5 avait insisté sur ce bain linguistique dans sa réponse au questionnaire, elle ajoute dans l’entretien « quand je voyage j’reparle tout de suite » (E1L5 TP70).

La prise de conscience de ses limites crée un sentiment de frustration : elles aimeraient avoir un niveau suffisant et utiliser ces compétences dans la vie personnelle mais aussi dans le contexte scolaire pour communiquer avec les parents allophones et dans l’enseignement de la LVE. L3 parle de son niveau d’anglais et dit « (…) malheureusement à mon grand désespoir » (E1L3-TP12) elle ajoute pour l’italien « j’suis jamais allée au bout malheureusement » (E1L3-TP38). L2 dit « voilà après si j'pouvais j'parlerais plein de langues

35 Padlet consultable à l’adresse https://padlet.com/coopereraveclesparents/bzp0gasliqyj consulté le 12/06/2020

si (rires) mais voilà j'me suis jamais lancée dans là-dedans mais c'est vrai que c'est + quelque chose qui me fait envie et que j'aurais aimé » (E1L2-TP46). Ce sentiment de frustration n’est pas forcément associé aux langues des élèves sauf pour L4 qui déclare « alors j'aimerais bien un peu plus l'arabe parce que + je je pense que avec le milieu voilà dans lequel on enseigne euh j'aimerais bien connaître plus de mots pour euh + pour être un peu rassurante sur certaines de mes connaissances (…) » (E1L4 -TP48).

Le sentiment de honte est aussi présent dans les discours de ces enseignantes. Les termes utilisés pour désigner leurs compétences partielles dans les langues d’enseignement sont péjoratifs le « baraguoin » est utilisé par plusieurs enseignantes : «j’le baragouine » (E1L2-TP04) - « l’anglais j’le baragouine » (E1L4- TP12). La définition du Larousse (2020) du mot « baragouin » est la suivante : langage incompréhensible par suite d’une mauvaise

prononciation, d’un vocabulaire impropre, d’une syntaxe incorrecte. Ce sont donc les

erreurs que font les enseignantes qui sont ici pointées. En outre, la peur du regard de l’autre et du jugement qu’il pourrait faire sur ces erreurs est clairement exprimée par L4 « le fait qu’il y ait un autre adulte qui écoute peut-être les erreurs que j’fais en langue du coup ça ça me : bloque un pt’it peu » (E1L4- TP38). Cette peur est à associer à la notion de face de Goffman (1974) qu’il définit comme l’image qu’un sujet met en jeu dans une interaction donnée. L4 a peur de perdre la face, de ne plus être celle qui détient le savoir lorsqu’elle utilise ses compétences partielles en anglais.

À travers cette analyse, nous avons pu dégager les représentations des enseignantes et décrire le sentiment d’insécurité. Nous allons désormais analyser la formation collective qui s’est appuyée sur une partie de ces représentations et sur ce sentiment d’insécurité.

Chapitre 7. Analyse de la formation collective

Le contenu de la formation n’a pu être élaboré qu’à partir du recueil des représentations des enseignantes présentes dans les questionnaires et les entretiens. En effet, afin de répondre aux besoins de formation de ces enseignantes, il était nécessaire de cibler les axes sur lesquels le travail réflexif devait s’orienter. Nous analyserons la conception de cette formation ainsi que son déroulement et son évaluation.