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Partie 3 Analyse des représentations et de la formation collective

1. Discordance entre les discours et les pratiques

Avant tout, l’analyse a permis de dégager une discordance entre les discours et les pratiques déclarées. C’est dans l’écart entre la volonté d’afficher un discours officiel correspondant à « ce qu’il faudrait dire et faire » et les pratiques déclarées que les résistances liées aux représentations se mesurent.

1.1. Une vision positive du plurilinguisme et une tolérance des langues des élèves dans l’espace scolaire

Dans les questionnaires, lorsqu’on demande aux enseignantes ce qu’elles pensent du fait de parler plusieurs langues : le mot « richesse » est cité 3 fois. Il est même associé au mot « chance » par L2. L4 souligne les avantages : cela permet de voyager et comprendre les autres cultures. Dans l’entretien, L2 ajoute « j’le fais pas forcément beaucoup mais j’trouve que c’est génial aussi de pouvoir faire des liens avec leurs langues et même entre eux comparer des fois on peut les entendre » (E1L2-TP64). Ces résultats justifient l’idée d’une vision positive du plurilinguisme dans cette école notamment expliquée, en partie, par l’accompagnement qui a été réalisé depuis l’ouverture de la classe UPE2A. Les langues des élèves allophones ne sont pas forcément perçues comme des handicaps.

Toutes les enseignantes disent accorder une place à ces langues (sauf une qui n’a pas répondu). L2 et L3 veulent les valoriser. L5 use des superlatifs « très grande importance ». L’intérêt d’accorder de l’importance aux langues des élèves est vu sous divers angles : valoriser les cultures, les langues et les compétences des élèves, les mettre en

30 Les réponses aux questionnaires sont jointes dans les annexes 12 à 16 : pour L2, annexe 12 p 118, L3 annexe 13 p 120, L4 annexe 14 p 122, L5 annexe 15 p 124 et L6 annexe 6 p 126) – les locuteurs sont appelés L1 L2 L3 L4 L5 et L6 - L1 désigne le chercheur

confiance, ne pas faire table rase de ce qu’ils connaissent et ce qu’ils pratiquent, s’enrichir et ouvrir les élèves à d’autres cultures et traditions, créer un lien école-famille, permettre un appui pour la compréhension du français avec un renforcement de l’apprentissage du vocabulaire.

Lorsqu’on les interroge sur les pratiques favorisant le plurilinguisme, les enseignantes montrent une tolérance de ces langues dans l’espace scolaire : elles ne jugent pas négativement l’alternance codique utilisée par les EANA et n’interdisent pas aux élèves l’utilisation de leurs langues. Elles laissent faire les pratiques d’alternance codique, essaient de comprendre les mots dans l’autre langue et valorisent les efforts réalisés. Elles reformulent et incitent à faire répéter les phrases en français. Seule L3 reconnaît qu’elle a tendance à demander de parler français, à tort, mais selon les situations elle laisse faire les élèves pour les ramener vers le français. Ces discours montrent que les enseignantes ont pris conscience des préconisations officielles sur l’utilisation des langues des élèves en classe. Elles sont révélatrices de l’effort de formation qui a été réalisé dans cette école depuis l’ouverture du dispositif UPE2A et du pragmatisme de ces enseignantes qui ne peuvent contester l’existence de ces pratiques langagières de leurs élèves bi-plurilingues.

1.2. Une méconnaissance des répertoires verbaux des élèves

Les enseignantes disent toutes connaître les élèves qui parlent d’autres langues dans leur classe mais cette connaissance reste néanmoins très approximative et partielle.

- L4 : 6 élèves qui parlent « portugais, italien et arabe » - L6 : 5 élèves qui parlent « polonais, arabe et « congo » » - L2 : des élèves qui parlent « Italie, arabe, mooré et anglais »

- L3 : tous ses élèves d’UPE2A et en CP 5 ou 6 sur les 12 élèves – « l’italien, le portugais, l’arabe (différentes origines) dialectes africains »

- L5 : 3 élèves qui parlent « arabe »

On peut aussi noter des approximations sur les langues des élèves : le « congo », « l’arabe » et les « dialectes africains » ainsi que sur le nombre d’élèves (L2 ne donne pas de nombre et L3 parle de 5 ou 6). L6 donne le nom d’un pays « congo » et ne sait pas de quelle langue il s’agit. Même remarque pour « l’arabe », on ne sait pas de quel arabe il s’agit (L3 précise « origines diverses »).

Il serait intéressant de savoir comment les enseignantes ont donné cette réponse : en fonction de données qu’elles ont en leur possession ou de suppositions sur la pratique d’une langue en fonction de l’origine ethnique des élèves. Dans son entretien L4 nous donne un

élément de réponse « ce matin je leur ai fait un p’tit sondage pour savoir qui parlait une autre langue que le français et qui parlait plusieurs langues » (E1L4 p TP64). Cette réaction montre que L4 se rend compte de cette méconnaissance et effectue ce sondage pour y pallier. Dans les entretiens compréhensifs d’auto-confrontation, il aurait aussi été intéressant de confronter ces déclarations aux répertoires verbaux réels des élèves.

1.3. Écart/discordance entre les déclarations et les pratiques

Il y a un écart entre les discours des enseignantes et les pratiques déclarées. Les pratiques de classes de ces enseignantes ne sont pas à la hauteur de l’importance qu’elles déclarent donner à ces langues. En effet, il semble que cet espace laissé aux langues des élèves soit ponctuel et associé à des difficultés de compréhension (le recours à la langue de l’élève pour expliquer une interférence, à la demande d’un élève). Dans les questionnaires, on comprend que, ponctuellement, L5 et L6 mobilisent les répertoires plurilingues de leurs élèves pour aider à la compréhension. Dans les entretiens, L4 ajoute « quand on est bloqué qu’on n’arrive pas à se faire comprendre j’lui dis ben dis-moi en portugais (…) je vois si j’arrive à comprendre en espagnol ou quoi les ressemblances avec l’espagnol » (E1L4TP38). Les enseignantes se fixent des objectifs de « maîtrise de la langue » fixés par les programmes et qui est devenue une idéologie dans l’Éducation nationale selon Blanchet (2016). Cette « maîtrise de la langue » relève de la même conception selon laquelle une personne est bilingue si elle maîtrise parfaitement deux langues. Cette idéologie est en fait en contradiction avec les pratiques effectives des personnes utilisant usuellement ou efficacement plusieurs langues.

En outre, le conseil donné aux parents concernant l’usage du français à la maison reflète aussi cet écart mais va plus loin, on peut alors parler de discordance. Les enseignantes sont partagées. L6 conseille de valoriser la langue maternelle, L3 les encourage à ne pas s’empêcher de parler leur langue d’origine mais s’ils souhaitent (peuvent) parler français c’est bien, L2 conseille de communiquer dans la langue d’origine au quotidien si le français n’est pas maîtrisé. Les autres conseillent d’utiliser prioritairement le français : L4 « s’ils peuvent utiliser un maximum le français » - L5 « lire, inscrire l’enfant à des activités pour être en immersion ». Ce conseil donné aux parents est un « révélateur » des conceptions des enseignantes et fait partie de la fiche repère « 10 idées reçues sur l’apprentissage de la

langue française » consultable sur Éduscol32. Ces conseils visent aussi à permettre cette « maîtrise de la langue » qui est devenue le cœur et le socle de l’Éducation nationale depuis plusieurs décennies.

Ces écarts et cette méconnaissance des répertoires verbaux de leurs élèves montrent que la compétence plurilingue n’est pas appréhendée dans sa complexité et sa variété comme nous allons le voir ci-après.